Dans les sources d’inquiétude apparues à propos du Mali, ces derniers jours, le retour de quelques djihadistes ne peut être tenu pour accessoire. « Les groupes armés se sont réorganisés au sud de la Libye et à l’extrême nord du Niger », confirmait, fin septembre, un chercheur allemand lors d’un séminaire fort intéressant intitulé « Le Maghreb et son Sud », organisé à Paris par l’Institut français de relations internationales, l’Ifri. Des djihadistes auraient déjà fait des incursions dans la région de Gao, proche de la frontière nigérienne, une ville où ils disposent encore de complicités. Et selon certaines informations, ils auraient reconstitué un « centre de formation et d’endoctrinement » rudimentaire de futurs jeunes kamikazes non loin de la frontière malienne.
Coup spectaculaire
L’attentat à la voiture piégée du 29 septembre à Tombouctou montre qu’ils peuvent de nouveau se montrer actifs. Les quatre futurs kamikazes sont arrivés par le désert par des moyens de locomotion rudimentaires (âne ou mobylette). Dans la ville, ils ont trouvé un véhicule acheté par un complice une semaine auparavant. Il leur a servi à se faire exploser, à l’intérieur de la caserne de Tombouctou, tuant 16 personnes dont deux civils. Cet attentat, revendiqué par al-Qaida au Maghreb islamique, survient quelques jours après que l’Agence mauritanienne de presse a annoncé la nomination, par Abdelkader Droukdel, l’émir d’Aqmi en Algérie, de deux nouveaux chefs de katibate (des unités combattantes) en remplacement de ceux qui ont été tués, en février dernier, par les forces françaises de Serval, dont le fameux Abou Zeid. L’un est un Algérien, Saïd Abou Moughati ; l’autre, un Mauritanien, Abderrahmane, alias Talha. Il serait un des premiers Mauritaniens ayant rejoint Aqmi en 2006. Une longévité exceptionnelle dans des contrées où la vie est courte pour les djihadistes.
On pouvait donc craindre que les nouveaux chefs de guerre n’inaugurent leur « règne » par un coup spectaculaire. Il a eu lieu. Le choix de Tombouctou, la ville aux 333 saints, peut s’expliquer : Talha, en 2012, était le responsable des djihadistes qui occupaient la ville. Il a pu y conserver des accointances. La présence des soldats français de l’opération Serval, dans le nord du Mali (ils sont encore 3 500 dans le pays et 1 000 resteront après décembre), est « l’arme de dissuasion massive » contre le retour des terroristes, explique un observateur africain au Mali.
Profond malaise
Deuxième source d’inquiétude, peut-être la plus sérieuse, pour le président IBK : les Touareg. Ils ont rompu la semaine dernière les pourparlers avec Bamako. Le Mouvement national de libération de l’Azawad revendique l’indépendance ou, au minimum, une large autonomie dans un cadre fédéral. Le nouveau président refuse l’idée d’une fédération, comme tous les Maliens originaires du sud du pays. Il craint le démembrement du Mali. Kidal, « capitale » des Touareg à l’extrême nord-est du pays, où leurs troupes sont cantonnées mais non désarmées, est une poudrière. Dimanche, elle a explosé à la suite d’un incident.
Touareg et armée malienne se sont affrontés à la mitrailleuse lourde tandis que les soldats français (ils sont 100 à Kidal) et les Africains de la Minusma (Mission des Nations unies) tentaient de ramener le calme. La situation reste explosive. Il ne va pas être aisé de calmer les Touareg en armes du Mouvement national de libération de l’Azawad, de leur faire accepter l’administration venue de Bamako et de leur faire reprendre le chemin des négociations. Un exemple : à Kidal, ils squattent les bureaux du gouverneur et ont obligé celui-ci à se replier dans ceux du maire…
Dernier problème, et pas des moindres : l’armée. Le 29 septembre, de jeunes sous-officiers de l’entourage du capitaine putschiste Amadou Sanogo ont pris les armes à Kati, la caserne où s’était replié Sanogo. Ils sont furieux d’avoir été oubliés dans la récente distribution des grades. Car cet été, Sanogo a été bombardé général de corps d’armée par le président par intérim Diacounda Traoré. Les jeunes soldats qui l’ont aidé dans son putsch en mars 2012 ont voulu lui rappeler qu’ils existaient. Ils ont même blessé et pris en otage son directeur de cabinet, un colonel, que Sanogo venait de leur envoyer comme médiateur.
Le malaise est profond. Le Mali n’a plus d’armée digne de ce nom depuis sa débandade devant les djihadistes en 2012. Elle est à reconstruire et à former. Une tâche à laquelle la France et l’UE se sont attelées. Et comble de l’ironie, c’est Sanogo qui, au printemps, avait été nommé à la tête de la commission chargée de repenser l’institution militaire… On savait que les ennuis fondraient vite sur IBK, on ignorait qu’il aurait si peu à attendre.
Par Mireille Duteil
Libération 2013-10-04 16:46:41