LE CONTEXTE POLITIQUE
En réalité, le Mali vit une crise socio-politique latente depuis les premières années de l’ère démocratique, crise régulièrement ponctuée par les velléités sécessionnistes d’une rébellion touarègue à multiples facettes. Cette crise socio-politique a fait grandir chez le tenant du pouvoir une grande phobie du coup d’état militaire qui a conduit à une déstructuration de l’armée nationale au moyen de pratiques aujourd’hui connues de tous. Lorsque la énième rébellion éclate à la fin de l’année 2011, l’armée est dans un tel état de délaissement et de démotivation que tout le nord du pays tombe sans coup férir. Les nombreux replis stratégiques auront finalement raison du pouvoir d’ATT qui échoie entre les mains de soldats eux-mêmes surpris par la vacuité du pouvoir. Grâce à l’implication de la communauté internationale autour de la CEDEAO, une transition est mise en place qui permet d’organiser l’élection présidentielle au mois de juillet 2013, mettant ainsi fin à la crise politique et institutionnelle mais gardant presqu’en l’état le dossier de la rébellion.
En fait, l’élection présidentielle de 2013 présente une grande particularité car elle est d’abord l’affaire de la société civile malienne qui s’est impliquée à un niveau jusque-là jamais atteint. Face à la menace de partition du pays, à la faillite de l’Etat consécutive à des malversations de tous genres, les populations désabusées par la vénalité de la classe politique et de l’administration se sont mobilisées dans un réflexe de survie pour confier leur sort à IBK qui, de tous les candidats du moment, présentait le meilleur profil à leurs yeux pour défendre la république. C’est la seule explication des 77% de voix accordées à IBK au second tour face à Soumaïla Cissé. Le vote de 2013 n’est donc pas un vote « IBK pour IBK » mais plutôt un vote « IBK, homme de la situation ». Beaucoup de personnes ont encore du mal à le comprendre. C’est une victoire de la mobilisation collective pour une cause nationale dont aucun groupe ne peut réclamer à lui seul la paternité. Une telle victoire, pour nette qu’elle soit, comporte des risque certains puisque les attentes des électeurs sont nombreuses et légitimes. La première année d’exercice du pouvoir politique d’IBK en fournira la preuve.
IBK A-T-IL JETE LE MANCHE APRES LA COGNEE ?
Entre les mois de septembre 2013 et 2014, certains faits significatifs ou même d’importance relative peuvent être retenus pour se faire une idée du processus engagé par le pouvoir. Le ton sera donné le jour même de l’investiture du président de la république où, entre le protocole et les problèmes d’organisation, l’énervement et la migraine ont soufflé sur le stade du 26 mars. Ceux qui ont fait le déplacement ce jour ont pu s’en rendre compte. Pour participer à l’investiture, de nombreux ressortissants de la diaspora malienne ont fait allègrement le déplacement de Bamako à leurs frais, après s’être dépensés sans compter lors de la campagne électorale, avec le secret espoir d’être au moins reçus et remerciés par IBK. C’est la moindre des choses d’autant que cela constitue une aubaine pour un président en début de mandat qui a ainsi l’occasion de consolider sa base électorale au sein de la société civile expatriée. Malheureusement, IBK ne sera pas au rendez-vous, causant une grande déception chez ceux qui ont pourtant fait des centaines, voire des milliers de kilomètres pour le soutenir. Certains se sont sentis carrément floués pensant déjà aux quolibets qui les obligeraient à faire profil bas à leur retour.
Puis arriva le premier gouvernement dirigé par le banquier Oumar Tatam LY, un technocrate inconnu du sérail politique. Des grincements de dents sont alors perceptibles car on ne voit aucun des ténors de la campagne électorale dans le lot, ni du côté du RPM le parti présidentiel, ni du côté des différents regroupements de la société civile. IBK aurait-il jeté le manche après la cognée ? La question taraude les esprits. De grands changements sont annoncés dans des déclarations solennelles tels la création de la Haute Cour de Justice avec la prochaine mise en accusation d’ATT, l’année 2014 décrétée année de la lutte contre la corruption, la promesse de requinquer l’armée nationale pour faire face à la menace sécuritaire, la lutte contre l’impunité avec la judiciarisation du dossier des responsables du CMRDRE, l’acquisition d’un avion présidentiel et la signature de contrats d’équipement au profit de l’armée.
Puis patatras ! Le premier ministre Ly démissionne en dénonçant des dysfonctionnements graves. La rue s’en mêle et les débats se transposent dans les « grins » avant que le FMI, bousculant les habitudes ne vienne regarder dans la bouche de quelques grilleurs d’arachides. Mara qui a remplacé Ly à la primature saisit alors les structures internes de contrôle des finances publiques. Un rapport officiel de la Cour Suprême sur les contrats d’équipement est même publié en ligne. Du jamais vu au Mali et même nulle part en Afrique ! Il faut rappeler que c’est un voyage de Mara à Kidal qui a permis de prendre la pleine mesure de ce qui se tramait dans cette partie du pays, notamment la création d’une véritable enclave devant échapper au pouvoir malien en prélude à une partition du pays. Mara, à la différence de Ly est politique et il a pleinement conscience du fait qu’il est investi de la gestion technique des choses mais pas de leur orientation, ni de leur dénouement politique. C’est pourquoi, il situe toutes ses actions dans le cadre de la vision et de la politique du président de la république qui est en définitive le seul vrai décideur au plan politique. Voilà comment fonctionne l’attelage et il semble bien tenir.
LES CONTRATS DE TOUS LES DANGERS
Le code des marchés publics, les règles régissant la gestion des finances publiques ont été violés, des ententes illicites entre fournisseurs et intermédiaires de l’Etat sont avérées, des cautionnements bancaires complaisants ont été accordés par l’Etat à des opérateurs privés en dehors de toute concurrence. Les faits constatés relèvent du droit pénal qui a ses principes. C’est pourquoi, lorsque le Vérificateur Général, à la suite de la Cour Suprême aura rendu son rapport, tout le monde sera suspendu à la décision d’IBK qui, tel le bon maçon, est fermement attendu au pied du mur par ses compatriotes. Dans cette affaire des contrats toxiques, se limitera-t-il aux sanctions administratives ou donnera-t-il une suite pénale aux actes posés ? En arrivant au pouvoir, il a promis de changer les choses, de ne placer personne au dessus des lois, de préserver le bien public ; les Maliens continuent de lui faire confiance mais il doit savoir que la confiance sert rarement plus d’une fois. Les affaires en cours l’ont sérieusement fragilisé parce que ceux qui sont en cause et en première ligne dans la conclusion de marchés douteux sont ses plus proches collaborateurs, des hommes et des femmes qu’il a choisis et dont il répond.
Toutefois, un traitement approprié de la question devrait permettre au président de garder la main et surtout, de veiller à ce que pareille déconvenue ne se reproduise plus. C’est le lieu de féliciter tous ceux qui ont été vigilants dans cette affaire, hommes de presse et hommes politiques, même si parfois les interpellations ont frisé la malveillance. En tout état de cause, entre les pourparlers d’Alger et ces contrats d’équipements qui sentent le soufre, la société civile qui a le tournis a décidé de s’impliquer pour parer à toute éventualité. Si les bonnes décisions ne suivent pas, sa riposte pourrait être nettement plus redoutable que celle de l’opposition politique. En effet, comment comprendre que l’Etat entretienne des fonctionnaires à grands frais qui se permettent d’organiser une saignée en règle des finances publiques dès qu’une opportunité se présente ? Comment comprendre que, plutôt que de penser à outiller convenablement l’armée pour faire face à la sécurité nationale, des pervers, des apatrides de la pire espèce s’adonnent à de telles pratiques ? Jusque-là, le président a donné l’impression de ne pas avoir d’emprise sur la réalité des choses et le gouvernement (par les ministres concernés) est constamment resté sur la défensive, plus hésitant que tranchant, ajoutant à la confusion générale.
Dans cette affaire des contrats d’équipement militaire avec beaucoup de milliards à la clé, tout se passe au sommet de l’Etat. Pour le citoyen lambda, cela sent la connivence des élites. Plaise à Dieu qu’IBK trouve et dise la parole qui guérit, c’est-à-dire celle qui sanctionne convenablement les coupables, préserve les deniers publics et ouvre les yeux sur des pratiques qui remontent certainement plus loin dans le temps.
Mahamadou CAMARA
camara_m2006@yahoo.fr
DiasporAction.com 2014-10-20 16:01:55