Tous les grands secteurs de l’État sont en panne : l’économie est en chute libre avec une perte de l’ordre de dix milliards de F CFA par mois rien que pour les recettes douanières.
Une chute imputable tout autant aux destructions et aux pillages infligées aux infrastructures de l’administration par des soldats mutins qu’au refus des compagnies d’assurances de garantir les transferts financiers des opérateurs économiques maliens, en raison du climat d’insécurité.
L’administration douanière a dû d’ailleurs entreprendre, en toute urgence, la remise en état de son réseau informatique dont les serveurs et les câbles de liaison avaient tous été volés ou détruits lors des pillages qui ont suivi le coup d’État.
Le secteur du BTP pâtit aussi de l’insécurité et de l’incertitude ambiantes : les chantiers de modernisation de l’aéroport international de Bamako-Sénou, tout comme le « Millenium Challenge Account »(MCA), un programme d’investissement spécial des Etats-Unis, ont été suspendus dans l’attente de la restauration de la démocratie.
A cela s’ajoute une crise alimentaire du fait de la sécheresse prolongée dans le nord du pays, se superposant au marasme économique consécutif d’une crise alimentaire générée par le refus des banques de financer les importations des produits alimentaires de première nécessité (sucre, riz et autres produits de grande consommation).
Cependant, nul ne devrait plaider la surprise !
Nul ne saurait être surpris, tant la chronique de ce désastre était annoncée, même pour l’observateur le moins avisé.
En cinquante ans d’indépendance, le Mali n’aura connu qu’un seul mandat de bonne gouvernance, celui du premier président du Mali indépendant, Modibo Keita (1960-1968)
Au cours de cette gouvernance, toutes les grandes institutions formatrices de la conscience nationale se sont déployées avec l’aide des pays de l’Est, notamment l’École Normale Supérieure, don du parti communiste de l’URSS (PCUS) au parti socialiste malien (US-RDA) et l’École Nationale d’Administration, ainsi que les grandes coopératives de production mises sur pied avec l’aide de la Chine, de la Yougoslavie, de l’URSS, de Cuba, entre autres : conserveries, coopératives de distribution des produits alimentaires, usine d’égrenage du coton, huilerie, usine textile, centre d’odontostomatologie, etc.
Le renversement de Modibo Kéïta par un coup d’État d’un lieutenant fantasque – Moussa Traoré, va inaugurer une ère de plus de quarante années de mensonges et de corruption, dont le Mali ne connaitra l’épilogue tragique qu’avec le régime calamiteux de Amadou Toumani Touré (ATT) et le coup d’État pathétique du capitaine Ahmadou Haya Sanogo.
Plus de quarante années de mensonges et de corruption à la cadence militaire et en tenue para, camouflée en civile sur la dernière décennie, aussitôt après un intermède « franchement civil »sous Alpha Oumar Konaré (AOK) de 1992 à 2002.
Puis, la sanction inévitable de tant de dérives !
Les non-dits et la fuite en avant :
Tout Bamako, de même que tous les Maliens conscients, savaient que les élections présidentielles du 29 avril 2012 n’auraient pas lieu. Pourtant, tous, ou du moins la plupart, faisaient semblant d’y croire toujours.
Tous, ou les principaux acteurs, savaient que le Pouvoir était déconnecté des réalités du pays, que l’armée était démotivée par le népotisme et le formidable étalage de sa cupidité, que la classe politique, enfiévrée devant les privilèges du pouvoir, n’était intéressée que par l’avidité, tandis que la population demeurait plongée dans la désespérance.
Mais tout ce monde était taiseux avec le secret espoir d’y parvenir à son tour et de jouir au sommet des bienfaits du vœu d’or.
Avec la prévision démoniaque, une fois leur forfait accompli, de se prémunir d’un sauf conduit vers l’exil et le pardon, loin du peuple et ses lamentations.
Le dictateur (1968-1991) Moussa Traoré, parricide du symbole de l’indépendance malienne, deux fois condamnés à mort, puis gracié, vit aujourd’hui une retraite pieuse mais très confortable aux frais de l’État, à Bamako, narguant de sa présence aux cérémonies les proches de ses victimes, sans s’encombrer de leurs fantômes ou de remords.
Son Excellence Alpha Oumar Konaré (AOK) : 2 mandats successifs de 5 ans. Le professeur – enseignant de son État, démolisseur attitré de l’éducation nationale et des mœurs, qui, après avoir transformé son parti politique en groupement d’intérêt économique (GIE) et modifié tous les seuils de concession (de gré à gré) des marchés publics, concéda à la corruption ses lettres de noblesses en élevant le clanisme, la perversion et la trahison à un tel degré de raffinement qu’un chroniqueur politique national titra à son sujet « Pourquoi, l’Histoire ne retiendra pas Alpha Oumar Konaré » (Quotidien Sud-Info N° 59 du 24 avril 1998)
Pour sa propre succession, AOK finit par nier au parti qui l’a porté au pouvoir la qualité et les capacités de promouvoir et soutenir une candidature à l’élection présidentielle, préférant s’en remettre à un « non-partisan » – le général ATT.
Et, du 17 janvier à ce jour, nul n’a encore entendu AOK placer un seul mot sur l’actualité si brûlante du Mali, de laquelle il est tout de même directement et personnellement comptable au moins pour 10 ans !
Qu’en sera-t-il du colonel Gamou, en charge de la base de Kidal jusqu’à sa chute en février 2012, actuellement réfugié au Niger avec cinq-cents soldats prêts pour le combat à ce qu’il paraît ? Pour quel bord entend-il combattre ?
Quid du colonel Maydoun, qui assumait, dans les mêmes circonstances, des prérogatives similaires à Gao ?
Ces officiers supérieurs sont-ils toujours dans « le repli tactique ou stratégique » recommandé à l’époque ou recèlent-ils des caractéristiques de l’irrédentisme, sans le courage et l’honnêteté de l’affirmer ?
Enfin, dernier et non le moindre, le mutique général stratège ATT, principal responsable de ce chaos absolu, en retraite tranquille à Dakar.
La mafia politico-militaro-administrative à l’œuvre :
Un procès aurait sans doute démontré l’incurie administrative et l’impéritie politico-militaire :
Que le dispositif militaire déployé dans le Nord du Mali était factice avec des chars désarmés. De crainte d’un coup d’État contre le pouvoir à Bamako ?
Que l’armée constituait le principal ascenseur social et le principal prédateur du pays, avec une poignée d’officiers généraux affectés à des postes diplomatiques sensibles dans les pays du BRIC disposant d’un droit de véto (Russie, Chine) et la ceinture névralgique de la périphérie du Mali (Burkina Faso, Côte-d’Ivoire). D’autres, en faction dans chaque ministère, ombre portée du ministre, en tant que contrôleur occulte pour le compte de l’institution militaire.
Que d’anciens diplomates en poste dans le Golfe, par endoctrinement ou lubrification par les pétromonarchies (?), s’étaient transformés en chefs rebelles, tels Abder Rahman Galla, ancien diplomate du Mali en Arabie saoudite, et Iyad Ag Ghaly, ancien Consul général à Djeddah, chef actuel du mouvement « Ansar Eddine », interpelé en Arabie saoudite pour trafic de drogue, puis relâché en raison de son immunité diplomatique, sans qu’il ait été établi si les stupéfiants étaient destinés à son usage personnel ou au financement de son futur mouvement.
Que le MLNA, le vecteur d’une certaine revendication touarègue dans le Nord du Mali, ne fait pas le poids face à la mobilité des partisans expérimentés de l’Aqmi. Que ses tentatives, soutenues par des chaînes de télévision et radios étrangères, d’offrir une image moderniste de tolérance à son combat se heurteront à la rigidité dogmatique du Mujao – une branche sahélienne d’Al-Qaida.
Les larmes des victimes toisent les armes des rebelles :
L’accord de paix de 1992 prévoyait l’intégration des rebelles Touaregs dans les rangs de l’armée en signe de réconciliation nationale entre la province dissidente et le pouvoir central. Il a donné lieu à la plus formidable opération de recyclage d’une classe politique dévoyée dans l’affairisme, au sein des deux seules institutions nourricières (l’administration publique et l’armée), pour lesquelles la paie était régulièrement versée à la fin de chaque mois. Sans le moindre souci de pacification des esprits.
L’accord d’Alger de 2006, décrié en son temps par la jeunesse malienne comme un accord de haute trahison, a suscité des manifestations de contestation dans les rues de Bamako, de Paris et d’ailleurs, au motif que l’État malien s’était « totalement aplati » en signant pour se désengager militairement des régions du nord au profit des seuls militaires Touaregs.
Ainsi, comme on pouvait s’y attendre, les prébendes et les sinécures ont mission de calmer les appétits, mais jamais vocation à forger une conscience nationale !
Ah, quel extraordinaire sens de l’État qu’un aspirant bachelier soit propulsé, sans la moindre protestation, à la tête des douanes avec le titre de Major (commandant) !
Quel remarquable sens de l’État que cette flopée de combattants Touaregs directement intégrés dans l’armée au rang de Major ! D’autres, déserteurs en Libye, récupérés sans le moindre questionnement, mais plutôt avec tous les égards : galons, vivres, indemnités en sus !
Que l’on ne s’étonne pas ensuite que des groupes de jeunes officiers maliens formés jusqu’à ce jour dans les académies militaires étrangères (France, Allemagne, États-Unis, Russie, Chine) aient décliné l’offre du nouveau chef militaire du Mali de rejoindre actuellement les rangs !
Quelle vigoureuse et vertueuse jeunesse que celle-ci, née dans les milieux de magouille d’État et nourrie au seul lait avarié des spéculations foncières, des détournements de deniers publics et des trafics d’influence !
Bruyante jeunesse, lisse et incolore, à l’apparence courageuse et combative, déployée selon les besoins comme chargé de mission (dans un tel ou tel département ministériel) ou responsable du club de soutien d’un candidat recommandé suivant l’épaisseur de son portefeuille ou le clinquant de ses extravagances !
La vénération de la divine corruption :
Les Évêques du Mali, dans un message circonstancié, questionnaient déjà en 2002 : «Peuple du Mali, dis-moi qui est ton Dieu ! » (Pâques 2002, Message des Évêques du Mali à l’occasion des élections générales 2002)
À l’évidence, le Dieu des travailleurs maliens, honnêtes et entreprenants, n’est pas un Dieu de corruptions, de vols ou de mensonges, ni de surfacturations et encore moins d’escroqueries et de guerres. Ce Dieu, est-il le même que celui qui est adoré par ceux qui ont dirigé ou prétendent guider le Mali vers le bonheur ?
Osons l’affirmation sans fausse honte : la corruption gangrène toutes les strates de la société. «Le virus est déjà implanté dans le fœtus à peine constitué dans le ventre de sa mère», selon le constat désabusé le plus fréquent dans nombre de conversations privées au Mali. Terrible constat, couvrant un lourd aveu de culpabilité !
Viennent ensuite se rajouter les dommages collatéraux de la déstabilisation de la Libye par l’alliance atlantique.
Le Mali est, là aussi, victime des turpitudes de sa propre classe politico-militaire, qui aura été, dans une belle inconscience, le meilleur terreau au prosélytisme dogmatique de la branche la plus obscurantiste de l’islam pétro monarchique – le meilleur propagateur, par ricochet, de l’islamophobie à travers le monde.
Dans ces conditions, quoi de moins étonnant que de jeunes soldats malmenés et désappointés, mal conseillés et très souvent manipulés, déferlent dans les rues, avec la molle prétention de s’arroger le droit de se servir de ce gâteau de la République (le pouvoir et ses privilèges), dont ils ne percevaient, jusques ici, que la couleur tout en ignorant aussi bien la consistance que la saveur ?
Quoi de plus prévisible que, dans la foulée, de vieux charognards bataillant de jeunes hyènes haussent ensemble le hurlement et montrent leurs serres et crocs, au détriment du peuple et sa quiétude ? Que, ce faisant, ils s’entourent des mêmes caméléons et pique-assiettes, puis s’entredéchirent au sujet d’une légitimité politique qui, de toutes les façons, n’échoira aux uns à l’exclusion absolue des autres ?
Que des « religieux » en manque de spiritualité et d’inspiration s’imaginent que ce pourvoir reste à ramasser, puisque mis à terre et ne semblant plus appartenir à personne, et concluent en se pourléchant que « l’affaire est dans le sac » ?
Osons espérer que ces faiblesses de la chair et ces crises cumulées aboutissent, cette fois, à la consécration de la véritable Nation du futur au Mali par la formation d’une conscience nationale.
Une conscience nationale toujours laïque et authentiquement démocratique, à l’abri des intégristes de tout bord, des corrompus de tout poil et de leurs insatiables appétits.
Ce ne sera certes pas la chose la plus aisée à réaliser par les temps qui courent, mais c’est sans doute la seule qui vaille d’être retenue pour cible !
P / FNC
La Coordination
L’indicateur Le Renouveau 09/10/2012