Le médiateur de la CEDEAO pour le Mali, l’ancien président nigérian Goodluck Jonathan, a une nouvelle fois quitté Bamako après une visite de deux jours sans obtenir le consensus sur une date des élections pour un retour au pouvoir des civils, malgré des concessions faites par les autorités maliennes. Du coup, les Maliens se demandent ce que veulent finalement les chefs de la CEDEAO pour le Mali ?
Après la remise des recommandations des Assises nationales pour la Refondation aux chefs d’Etat de la CEDEAO en fin décembre 2021, ayant conduit aux sanctions contre le Mali, c’est la première fois que les autorités font de véritables concessions pour une sortie de crise.
S’interroger sur la question en vaut la peine. Car malgré la bonne foi exprimée par les autorités de la Transition malienne, notamment par le président Assimi Goita, l’on a l’impression que la CEDEAO continue de jouer avec un esprit de vengeance retord dont la finalité, si les Maliens devaient les suivre dans cette voie, serait de priver le pays de son indépendance et de sa souveraineté, le replongeant, sans conteste, dans les mêmes travers que par le passé.
Du 18 août 2020 à nos jours, beaucoup de choses ont été faites par les autorités maliennes. D’abord pour éviter qu’on en vienne à la rupture avec la CEDEAO, et ensuite pour essayer de recoller les morceaux et parvenir à une vision commune partagée sur les défis à relever et le temps qu’il en faut en vue de mettre fin aux sanctions qui n’arrangent ni le Mali, ni la CEDEAO, enfin.
De la note verbale du médiateur de la CEDEAO, Goodluck Jonathan, sur une proposition unilatérale de chronogramme électoral de 12 à 16 mois au 36, puis 29 mois proposés par le gouvernement malien, ramené à 24 mois par le président de la Transition, le colonel Assimi Goita, dans le seul et l’unique but de pouvoir enfin mettre fin à la souffrance des Maliens et des peuples de l’Afrique de l’Ouest qui souffrent également de ces sanctions “inhumaines et illégales’’ imposées, la CEDEAO donne aujourd’hui l’impression, avec son intransigeance, d’œuvrer effectivement pour et au compte d’intérêts inavoués et non pour les peuples de la Communauté.
On se souvient en effet que le médiateur Goodluck Jonathan avait quitté Bamako, le 25 février dernier, après deux jours de négociations avec le gouvernement malien sans succès. L’ancien président nigérian, non moins médiateur de la CEDEAO était porteur d’un message de l’espace sous régional, proposant un délai de 14 mois de son plan A et de 16 mois pour son plan B pour la durée de la Transition. Des propositions qui ont été rejetées pour la simple raison que la situation actuelle du pays nécessite d’être résolue avant l’organisation d’une quelconque élection.
Cette fois-ci, c’est le Mali qui a pris l’initiative, de son propre chef, d’inviter le médiateur de la CEDEAO pour donner un coup d’accélérateur aux négociations en vue d’un compromis rapide. Mais hélas, de 36 mois préalablement proposés, le président Assimi Goita a consenti à ramener à 24 mois la prorogation de la transition.
Malgré ces efforts, la CEDEAO reste campée sur sa position. L’on se demande pourquoi une telle intransigeance contre le Mali. La question mérite d’être posée quand on sait qu’au Burkina voisin, la CEDEAO vient d’accepter les 36 moins proposés par ceux qui ont chassé Kaboré du pouvoir, alors qu’en Guinée voisine, l’on ne parle toujours pas de calendrier électoral !
Dommage qu’on se refuse à tirer les enseignements des crises qui secouent l’espace CEDEAO, malgré qu’en deux ans, elle a enregistré trois coups d’Etat dans trois pays, tous des anciennes colonies françaises. Cela dénote, sans conteste, d’une crise de démocratie ayant atteint ses limites car le système est calqué sur l’occidentale. Cette démocratie s’imposant comme un masque aux véritables problèmes des citoyens.
Il faut comprendre que ce qu’on vit en ce moment en Afrique de l’Ouest, n’est que le corollaire d’une crise de gouvernance. Et face à celle-ci, les organisations régionales et la Communauté internationale semblent privilégier la simple condamnation et le recours aux sanctions, en lieu et place d’un diagnostic clair.
On ignore ainsi le fait que les priorités s’orientent désormais vers la qualité des processus électoraux, la limitation des mandats, mais aussi la performance économique et la reddition de comptes politiques et économiques, auxquelles se heurtent les chefs d’Etat de la Cedeao, à des degrés divers de répression, de cooptation et de consolidation du statu quo face aux grognes sociales essentiellement traduites par des manifestations. Très peu d’attentions sont ainsi portées aux principes de réactivité, de transparence, de reddition de comptes et de responsabilité civique.
Pourtant, tous reconnaissent que les changements inconstitutionnels de gouvernement et les soulèvements populaires tirent leurs causes profondes des carences en matière de gouvernance. Malheureusement, il s’est développé au sein de l’UA et d’autres organisations régionales, notamment la CEDEAO, une conception de la démocratie limitée à la tenue des élections et au respect, ou non-respect, de la limitation de mandats, au mépris de la qualité des processus électoraux qui demeure la principale source de tensions en Afrique.
C’est justement ce qui a été le cas au Mali depuis 2020, lors des élections législatives controversées, initialement prévues en 2018. Ainsi, en donnant la priorité à un symptôme, à savoir un coup d’État, plutôt que de s’attaquer aux causes profondes, telles que la légitimité douteuse et la corruption de gouvernements controversés, la réponse de la CEDEAO ressemble davantage à une prime au président sortant. Ainsi, il devient beaucoup plus aisé de condamner un coup d’État que d’avoir le courage politique d’en traiter les causes profondes.
Sans donc parler du cas du Mali, qui démontre qu’une telle accélération du calendrier électoral peut reproduire des gouvernements défaillants, les cas guinéen et burkinabè interpellent aujourd’hui les responsables, les peuples d’Afrique et les partenaires extérieurs sur l’impérieuse nécessité d’adapter la démocratie aux réalités africaines, plutôt que de rester figée sur des modèles occidentaux qui ne marchent plus.
Bazoumana KANE, journaliste