Cette démocratie malienne est à refonder, par les urnes ou, peut être auparavant, par une réunion rapide des forces vives du pays.
Nous sommes dans une période de transition, et une double crise. Or les délais et obstacles diplomatiques et techniques à la constitution éventuelle d’une force de reconquête du territoire sont tels que la partition de facto du pays a de bonnes chances de se prolonger dans les mois à venir. On ne sait toujours pas avec clarté qui commande au Sud ! L’évolution de cette double crise institutionnelle et politique est en grande partie conditionnée par les choix des acteurs nationaux et internationaux engagés depuis le coup d’Etat dans une intense activité diplomatique.
C’est un secret de polichinelle que le manque de légitimité du président intérimaire Dioncounda Traoré – adoubé plus par ses pairs africains et le gouvernement français que par le peuple, ainsi que d’un premier ministre, Cheick Modibo Diarra (CMD) dont les succès universitaires américains dissimulent mal le retour galopant aux commandes des hommes du dictateur Moussa Traoré, son beau-père. A quoi donc a servi la lutte en 1991, dans le sang des martyrs, pour installer une démocratie aujourd’hui introuvable ?
Car les interventions extérieures, sous forme de pseudo « médiations », ont été, il faut bien le dire, catastrophiques ! Ainsi le président Blaise Compaoré avait cherché à préserver son statut de médiateur incontournable des conflits régionaux dont il tirait le soutien international nécessaire à sa survie politique dans l’espace national burkinabè.
Si nul ne doute de sa parfaite connaissance du terrain, son influence politique sur le dossier malien n’a pas du tout été appréciée par la classe politique malienne et la société civile dans sa quasi-totalité, pour avoir été trop bienveillant envers les putschistes au lendemain du coup d’état. Ce qui avait donné le sentiment d’une influence disproportionnée du médiateur sur la transition malienne pour nombres de Maliens.
Ainsi, la formation du premier gouvernement de transition et le choix du premier ministre malien, Cheick Modibo Diarra (CMD) n’ont pas fait l’objet d’aucune consultation au sein de la classe politique.
Or cette question de la démocratie dans le pays légal est un préalable, et conditionne la reconquête du Nord, et la légitimité à empêcher les mouvements islamistes à étendre leur territoire. Et ce n’est pas en confortant comme ailleurs des hommes de paille et des marionnettes, ou pire en faisant un « putsch » légal à Bamako (via les forces spéciales françaises ou l’armée de « tirailleurs » de la Cédéao) que l’ancienne puissance coloniale confortera le pouvoir légal : par son intervention militaire, la France ne risque t’elle pas au contraire d’abattre ce qu’il reste de l’Etat malien ?
Des lors, dans la perspective d’élections rapides (fussent elles dans le « Mali légal »), seule la solution d’une « Conférence Nationale » représentant les forces vives et l’opposition civile offre une alternative à un pouvoir d’opérette et une mise sous tutelle militaire ! Cette Conférence pourrait en outre créer les conditions d’une négociation avec les acteurs armés non terroristes et les représentants des communautés du Nord, y compris ceux que le conflit a repoussé hors des frontières maliennes.
Et cette conférence nationale pourrait enfin nommer un pouvoir exécutif issu d’un large consensus ! Une prise en compte large de l’expression de l’ensemble des composantes de la société doit être promue tant il est crucial que soit reconstituée la légitimité de l’Etat. La mise en place rapide d’un véritable gouvernement d’Union Nationale, à l’issue de consultations larges avec les principaux partis politiques et les organisations de la société civile, afin de consolider la légitimité des autorités de transition
Oumar Keïta, historien EHESS, chercheur associé au GSPR (Groupe de Sociologie Pragmatique et Réflexive)
Le Monde.fr 25/10/2012