MAHAMADOU HAWA GASSAMA SE PRONONCE SUR LA TRANSITION :

« Les militaires doivent se méfier des gens qui tournent autour de tous les plats de tous les régimes et qui viennent leur dire de procéder comme- ci et comme- çà ; ceux-ci sont des opportunistes »

Infosept : Pouvez- vous vous présenter  à nos lecteurs ?

Mahamadou Hawa Gassama : Je m’appelle Mahamadou Hawa Gassama, né en 1958 à Komowulu, commune de Tambacara  dans le cercle de Yélimané, en première région. Député pendant  plus de 20 ans, ancien émigré, je ne  suis revenu au Mali qu’après le coup d’Etat contre le Général Moussa Traoré en 1991. Vice-président de l’Union pour la République et la Démocratie, URD, alphabétisé en arabe, je suis l’un des témoins oculaires de l’histoire récente du Mali, pour avoir vécu tous les coups d’Etat depuis 91.

Le Mali vient de connaitre le 18 Août 2020 son quatrième coup d’Etat depuis l’indépendance. Beaucoup d’observateurs pensent que celui perpétré par le CNSP a été le plus élégant. Quelles sont vos impressions ?

Avant de répondre à votre question, permettez-moi de saluer ces jeunes officiers du CNSP pour leur travail salvateur. Ils font la fierté de la jeunesse pour avoir libéré le peuple du joug de ce régime corrompu. Ils font la fierté, car ce sont eux qui ont eu  le courage de dire non au régime et d’agir en conséquence, alors même qu’il y a une pléthore de généraux. Je salue ces jeunes officiers pour avoir  fait leur opération avec intelligence, courage  et  sans effusion de sang. Je les salue car ils ont pu réunir tous les corps d’armes et ont pu obtenir du Président de la République, IBK sa démission sans contrainte. Les jeunes officiers regroupés au sein d’un Comité National pour le Salut du Peuple, CNSP, ont tout simplement allégé la souffrance du peuple qui, pendant des années durant n’a connu que turpitudes, déshonneurs et souffrances.

Le CNSP organise des concertations nationales les 10, 11 et 12 Septembre 2020 pour l’adoption d’une charte de la transition, son architecture et le profil du futur président de la transition. Que proposeriez-vous au CNSP pour une bonne transition ?

Je salue au prime abord Assimi Goita et ses frères d’armes qui ont été reconnaissants en disant qu’ils ont parachevé le travail du M5 RFP, nous devrions les féliciter pour cela. Mais il serait bon de rappeler qu’avant le M5 RFP, c’est d’abord mon parti l’URD qui a commencé le combat contre IBK. Si les gens se souviennent, c’est Soumaila Cissé qui est allé féliciter IBK jusqu’à son domicile après son élection en 2013. Je profite de votre micro pour implorer  le bon Dieu  afin qu’il facilite le retour de Soumaila Cissé sain et sauf. La suite des événements politiques est connue, nous avons assisté, pendant 5 ans à la gabegie, à  la mal gouvernance avec son corollaire de corruption, de népotisme et de clientélisme. C’est pourquoi en 2018 IBK a été battu, mais n’a pas voulu céder le pouvoir à Soumaila Cissé. La crise post-électorale qui s’en est suivie a été inédite dans l’histoire de notre démocratie. Des centaines de milliers sont sortis pour contester la victoire d’IBK.  Comme si cela ne suffisait pas, le régime IBK a organisé une farce d’élections,  une nomination des députés en 2020.

Donc, le M5 RFP a pris le relai de l’URD et du FSD. Pour rappel, le M5 RFP au départ était composé de trois mouvements, le FSD, la CMAS et l’EMK avant de devenir un vaste mouvement hétéroclite comprenant des partis politiques, des associations de la société civile, des religieux  et des syndicats. Le Mouvement  a, durant des mois,  organisé des manifestations pour demander la démission d’IBK0 Le bilan macabre est lourd avec 23 morts et plus de 150 blessés. Les militaires sont venus parachever ce travail donc s’ils  ont un allié,  c’est  bien le M5 RFP. Ils doivent travailler avec le M5 RFP tout en impliquant tout le monde. En somme, Je salue l’initiative des journées de concertations surtout son inclusivité.

Les concertations devraient aboutir à des recommandations fortes qui seraient une sorte de bréviaire pour la junte. Selon vous, qui du militaire ou du civil est à même de bien gérer la transition et pendant combien de temps ?  

Je commencerais par remercier IBK qui a rendu la tâche facile au CNSP en démissionnant et avant de démissionner il avait d’abord dissout l’Assemblée Nationale et le Gouvernement, toute chose qu’ATT n’avait pas  fait avant  son départ du pouvoir ce qui a compliqué la tâche au CNRDRE du capitaine Sanogo. Donc, IBK a facilité la tâche au CNSP. A la question de savoir, s’il faut un Président de transition civil ou militaire, disons-nous la vérité, il serait difficile que la classe politique et la société civile puissent s’entendre sur quelqu’un. Car, il y a plus de 207 partis et autant d’organisations de la société civile. Donc, faute de consensus autour d’un civil, le mieux serait de  permettre aux militaires de diriger la transition. En tout cas, c’est ma position pas celle de mon parti l’URD, et je l’assume.

Selon vous quelle est la durée idéale pour une bonne transition et quels peuvent être ses organes ? 

D’abord, permettez-moi de donner quelques raisons qui pourraient, à mon avis, expliquer le choix des militaires pour diriger la transition. La première raison, c’est parce que les hommes politiques et les organisations de la société civile ne pourront jamais s’entendre sur quelqu’un. Il n’y a même pas d’organisations de la société civile car elles sont toutes politisées. La deuxième raison, c’est la montée en puissance de l’armée depuis le coup d’Etat, pour lutter efficacement contre les terroristes. La troisième raison est celle relative à l’autorité de l’Etat, ainsi  pour mettre de l’ordre dans le pays, il faut un peu d’autorité. Donc,  les militaires sont les mieux indiqués pour cela. De mon point de vue, acceptons que les militaires dirigent la transition, mais le Premier ministre ou alors le vice-Président, devrait être des civils. A mon humble avis, il faut laisser les militaires gérer la transition, même si la CEDEAO, ne voudrait pas cela.

Ils ont déjà commencé à nommer des militaires au sein de l’armée, ils peuvent continuer ce travail de toilettage. Que l’on sache qu’Ils ont pris un gros risque. Donc, c’est leur responsabilité et celle du M5 RFP qui sont engagées et en cas d’échec, ils seront les seuls coupables. Maintenant concernant les postes ministériels certains peuvent revenir aux militaires comme ceux de la Défense, de la Sécurité et de l’Administration Territoriale. Les autres postes stratégiques peuvent être occupés par des bons technocrates civils. Les affaires étrangères l’économie et surtout la Justice. Je tiens à rappeler au CNSP que pour renouer avec les bailleurs de fonds, il faut nommer Malick Coulibaly comme Ministre de la Justice. Car quand Malick Coulibaly a été nommé comme Ministre, il a engagé une lutte implacable  contre la corruption et la délinquance financière. En plus de Malick, on peut nommer Mamadou Igor Diarra comme ministre des Finances, Abdoulaye Daffé comme ministre du commerce. Si ça ne tenait qu’à moi on pourrait nommer l’ancien Premier ministre Younoussi Touré comme Premier ministre de la transition ou encore Oumar Tatam Ly. Il y a plein d’autres cadres compétents à l’intérieur comme  au sein de la diaspora qui peuvent être nommés comme ministres. Pour la durée, je suis d’accord avec la proposition de la CEDEAO qui a fixé à 12 mois, mais qui pourrait être revue.

Pensez-vous que les militaires doivent travailler  seulement avec le M5 RFP ou bien avec toutes les forces vives du pays sans distinction de couleur, de religion et d’obédiences politiques ?

Bonne question, mais avant de la répondre, je me propose d’être un conseiller sans rémunération pour le CNSP, afin qu’il évite des erreurs. Oui il faut reconnaitre que le M5 RFP s’est bien battu pour que le régime puisse tomber, mais une fois l’objectif atteint, il devrait mettre un peu d’eau dans son vin en acceptant que la transition soit la plus inclusive. Pour vous répondre, oui le CNSP doit travailler avec tout le monde. Je profite de votre micro pour répondre à certains qui pensent qu’il faut écarter la vieille génération. De mon point de vue c’est un faux débat, par contre ce qui est logique, c’est d’écarter tous ceux qui traînent de bruits de casseroles et non stigmatiser un groupe d’âge. Il y a des bons jeunes comme des mauvais jeunes, il y a des bons vieux et de mauvais vieux.  Je demande aux militaires de travailler avec  tout le monde et je réitère mon appel  au M5 RFP pour qu’il facilite  la tâche aux militaires. Mon souhait est qu’il  faille  même travailler avec les anciens dignitaires du régime d’IBK, les gens de l’ADEMA, du RPM sans oublier les maliens de la diaspora. J’ai même émis un souhait, celui de rencontrer tous les anciens présidents, les anciens premiers ministres, les anciens Présidents de l’Assemblée Nationale et les anciens ministres pour avoir leur point de vue pour une sortie de crise. J’aurais appris que les membres du CNSP ont rendu visite à l’ancien Président de la Transition  Dioncounda Traoré, aux anciens Présidents de la République Moussa Traoré et Amadou Toumani Touré, je leur propose d’aller voir également l’ancien Président  Alpha Oumar Konaré.

Quels conseils donneriez-vous au CNSP et à toute la classe politique pour une transition apaisée et inclusive ?

Une mise au point est nécessaire car j’aurais appris que certains députés ont attaqué la décision de dissolution de l’Assemblée par IBK, auprès des juridictions nationales et sous régionales. Qu’ils comprennent que c’est le peuple malien qui a dissout l’Assemblée Nationale pas IBK, bien que la loi lui donne cette autorisation. Pour rappel, si IBK avait accepté de dissoudre l’Assemblée Nationale, le Gouvernement de Boubou Cissé, comme demandé par le M5 RFP, la crise n’allait pas atteindre ce niveau. C’est Dieu qui a voulu qu’ils ne soient élus que pour trois mois, donc s’ils veulent revenir, ils n’ont qu’à aller se préparer pour les prochaines échéances. C’est valable pour les cadres politiques du M5 RFP  et pour  tous les partis politiques qui veulent être élus d’aller se préparer  à la base.

Je réitère mon souhait de laisser les militaires diriger la transition. Maintenant pour la durée, la CEDEAO a proposé 12 mois. Pourquoi pas ? Mais cette date pourrait être revue en fonction des priorités de la transition. A titre d’exemple, comme on avait prolongé le mandat des députés à deux reprises on pourrait  procéder de la même manière pour la transition en allant jusqu’à dix-huit mois. Je conseille aux militaires de ne pas s’amuser avec le pouvoir et d’éviter le syndrome Amadou Haya Sanogo. Donc, qu’ils gèrent leur transition, mais en écoutant tout le monde, à commencer par trois autorités morales, à savoir le Chérif M’Bouyé de Nioro, l’imam Mahmoud Dicko et Soufi Lassana Kané de Ségou.

Les militaires doivent se méfier des gens qui tournent autour de tous les plats de tous les régimes et qui viennent leur dire de procéder comme- ci et comme- çà ; ceux-ci sont des opportunistes. C’est le lieu pour moi de féliciter certains barons de l’ancien régime comme Bocari Tréta, Mamadou Diarassouba qui sont prêts à travailler pour la réussite de la transition.

Propos transcrits par Youssouf Sissoko