Un ministre de la santé, sur le compte de qui ont été régulièrement pointés des manquements à la bonne gestion des fonds mondiaux, a été contraint de démissionner un dimanche. Un ministre du développement social et des personnes âgées est sur la sellette pour l’acquisition par son département d’un serveur au prix exorbitant de plus d’un milliard de nos francs, coût sur lequel plane une forte senteur de surfacturation. Un autre ministre est indexé pour s’être octroyé une parcelle de 68 hectares avec de l’argent de provenance suspecte. Bref, la liste sera longue à dresser et l’on doit se contenter de l’odeur nauséabonde qui exhale de partout pour se convaincre que sans la présence de cadavres putréfiés on n’aurait pas tant de raison de se boucher le nez. Voilà, ainsi va le Mali.
Le poisson pourrit par la tête, on le sait depuis que le monde est. Mais le consommateur est-il vraiment obligé de le bouffer tel ? C’est la question à poser à la société civile malienne, mais pas à elle seule. A Bamako comme partout dans le pays, tout le monde connaît les verbes du tableau de conjugaison de la corruption. Suborner ou soudoyer, voler ou marauder, tricher ou subtiliser, etc., sont, entre autres mots, des synonymes que l’on trouve à celui de la corruption. La réalité n’échappe à personne.
Selon la Convention des Nations Unies, «la corruption est le fait de commettre ou d’inciter à commettre des actes qui constituent un exercice abusif d’une fonction pour laquelle on est payé, même par omission, dans l’attente d’un avantage, direct ou indirect promis, offert ou sollicité, ou à la suite de l’acceptation d’un avantage directement accordé à titre personnel ou pour un tiers. » C’est dire tout simplement qu’il s’agit d’un phénomène de société dont le monde est conscient. En Afrique, presque personne n’y échappe. Intellectuels et analphabètes, gouvernants et gouvernés, urbains et ruraux ont contribué, pour la plupart, à l’érection de la corruption en civilisation : les uns étant les corrupteurs et les autres les corrompus. Il y a comme une sorte d’appel généralisé à participer massivement à la foire aux délits. Etre civilisé, c’est, désormais, savoir corrompre ou se laisser corrompre ; c’est quitter la malédiction de la probité morale et de la droiture pour élire domicile dans la félicité du vol et des perversités. Un état d’esprit qui va malheureusement perdurer parce que la société civile ne fait pas grande chose pour le changer.
La réalité, du reste, tranche avec un certain bon sens en Afrique où une certaine opinion croit que la corruption n’existe que chez les dirigeants et les administrateurs, à l’exclusion du petit paysan ainsi innocenté et qui, du coup, ne peut prendre conscience du gouffre dans lequel le fléau plonge son pays. Il est donc temps que les mécanismes de la corruption soient largement expliqués à nos masses laborieuses. Le paysan n’est pas meilleur au chef d’arrondissement, ou au juge, ou à l’agent des Eaux et forêts ou même au ministre qui reçoit de lui quelques billets de banque pour tordre le coup à la vérité, pour arranger une situation malsaine, voire illégale, ou pour avoir une faveur quelconque. Le commerçant qui donne un million de francs à un douanier pour passer frauduleusement la frontière avec des chargements suspects sinon délictueux, ou qui donne cinq cent mille francs à un inspecteur des impôts pour ne pas avoir à payer au trésor public trois millions, ne vaut pas mieux que les fonctionnaires qu’il corrompt ainsi.
Corruption partout
La corruption, aujourd’hui présente dans tous nos secteurs d’activités, n’existerait pas sans corrompus et sans corrupteurs. Quand nous graissons la patte à un policier pour bénéficier de son indulgence lorsque nous sommes pris dans une infraction, il y a corruption. Payer de l’argent à un enseignant ou à un responsable de l’administration scolaire pour qu’il modifie positivement la note d’un élève, c’est aussi de la corruption. Le journaliste qui accepte de l’argent d’un tiers et, en contrepartie, diffuse une fausse et même une calomnieuse information ou se fend d’un commentaire dithyrambique sur un fait ou sur un personnage qui n’en mérite pas, est également un corrompu. Que faut-il penser de ceux qui payent pour accéder à la Fonction publique ou pour retirer rapidement un papier à la mairie ? Disons que le même masque se prête à jouer tous les monstres.
Ce qu’on appelle communément les dessous de table, la chose de la nuit ou « se débrouiller » est devenu le principe, pour ne pas dire l’ordre normal des choses, et la loi l’exception. La corruption n’a pas non plus épargné les magistrats. C’est d’ailleurs à ce niveau que se situe le grand drame de l’Afrique. Personne n’a confiance en la justice et la justice elle-même ne fait rien pour gagner la confiance des justiciables parce que tout simplement toute sa confiance à elle va à l’argent, au pouvoir et aux relations personnelles. Le droit et l’équité sont devenus de vains mots. Voler l’Etat, ce n’est pas voler : c’est être béni. Voilà pourquoi, aussi paradoxal que cela puisse être, les perles rares que nos avons en la personne de dirigeants farouchement opposés à la corruption sont plutôt les cibles de la société civile sensée les épauler. Paradoxe troublant quand personne ne nie la nécessité de vaincre la corruption sous toutes ses formes.
On en vient alors à tomber dans la légitimation de l’abus des biens publics, comportement entretenu par certaines races d’intellectuels et de dirigeants engagés dans la course effrénée aux conforts, luxe…meilleur paraître. Ces gens n’hésitent jamais à saper ce que l’effort commun s’échine à bâtir. Comme le poisson commence toujours à pourrir par la tête, les analphabètes et la masse des gouvernés ne font donc que suivre qu’emboîter le pas aux experts. Alors, la gabegie, les malversations, la concussion, le détournement des fonds publics, la fraude, les fausses déclarations de valeurs en douane, etc. sont devenus des voies royales pour se changer de statut social, pour s’enrichir.
On n’appellera donc jamais assez la société civile à jouer son rôle dans la lutte contre la corruption. Si l’Etat se montre complaisant ou laxiste à combattre le fléau, à s’attaquer résolument au mal, c’est à elle de l’y contraindre. Mais il faudrait, avant, qu’elle s’assure qu’elle est elle-même sans reproche.
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Le National 03/02/2011