Introduction
La Commission des Lois Constitutionnelles, de la Législation, de La Justice et des Institutions de la République a été saisie pour l’étude au fond du Dépôt N° 2012/05 IV L, ayant pour objet le «Projet de loi portant amnistie des faits survenus lors de la mutinerie ayant abouti à la démission du Président de la République».
Ce projet de loi, initié par le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, a été adopté par le Conseil des Ministres en sa séance du 09 mai 2012.
La Commission, après le choix de son Rapporteur et l’étude du document mis à sa disposition, a procédé à l’écoute des personnes ressources (civiles et militaires), élaboré et adopté le présent rapport qui s’articule comme suit:
I – Contexte et Justification
II – Du projet de loi
III – Champ d’application
IV – Synthèse des Ecoutes
V – Observations et recommandations
VI – Conclusion
I – Contexte et Justification
Le 21 Mars 2012, une violente mutinerie a éclaté dans la garnison militaire de Kati. Elle a abouti à l’attaque du Palais présidentiel de Koulouba.
Dans la nuit du 21 au 22 Mars, les mutins se sont constitués en Comité National de Redressement de la Démocratie et de la Restauration de l’Etat (CNRDRE) et ont proclamé la suspension de la Constitution et la dissolution de toutes les Instituions de la République.
Ce coup de force a été vigoureusement condamné par l’ensemble de la communauté internationale et la plupart des partis politiques et des organisations représentatives de la société civile.
Suite à la médiation de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le CNRDRE s’est engagé le 1er Avril 2012, à travers une Déclaration solennelle, à rétablir l’ordre constitutionnel normal.
Un Accord-cadre a été signé à Bamako le 06 Avril 2012 entre la CEDEAO et le CNRDRE pour la mise en œuvre de l’engagement solennel de celui-ci en date du 1er Avril 2012.
Ledit accord-cadre prévoit en son article 7 l’adoption d’une loi d’amnistie au profit des membres du CNRDRE et de leurs associés.
L’accord -cadre a effectivement permis le retour à l’ordre constitutionnel, notamment par la prestation de serment du Président intérimaire, la nomination d’un Premier ministre, la mise en place du Gouvernement etc… C’est donc dans la continuité de l’application de l’accord-cadre, et pour parvenir à un apaisement du climat politique et social, qu’est proposé à la délibération de notre Auguste Assemblée, le présent projet de loi.
II – Du projet de loi
Le projet de loi comprend 3 articles.
L’article 1er traite des infractions, de leurs tentatives et leurs complicités concernées par la loi d’amnistie et de la période qu’elle couvre.
L’article 2 prévoit l’extension de la loi d’amnistie aux fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles que ces infractions peuvent engendrer.
L’article 3 détermine les personnes bénéficiaires de la loi d’amnistie.
III – Champ d’application de la loi
Le projet de loi prévoit d’amnistier un certain nombre d’infractions. Il s’agit des infractions suivantes: mutinerie, atteinte à la sureté intérieure de l’Etat, atteinte à la sureté extérieure, destruction d’édifices, opposition à l’autorité légitime, violences et voies de fait, embarras sur la voie publique, homicide volontaire, homicide involontaire, coups et blessures volontaires, blessures involontaires, enlèvement de personnes, arrestations illégales, séquestrations de personnes, dommage volontaire à la propriété mobilière et immobilière d’autrui, incendie volontaire, pillage, extorsion et dépossession frauduleuse, vol qualifié, vol, atteinte à la liberté du travail, atteintes aux biens publics.
Toutes ces infractions doivent être en lien avec la mutinerie ayant abouti à la démission du Président de la République. L’amnistie couvre également les fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles éventuellement induites par ces infractions. Celles-ci doivent avoir été commises entre la période allant du 21 Mars 2012, date du début de la mutinerie, au 12 Avril 2012, date de prestation de serment du Président de la République.
Il s’agit d’une amnistie réelle, couvrant indistinctement toutes les infractions visées dans la loi pour la période qu’elle concerne.
Toutefois, l’article 3 du projet introduit une notion personnelle en prévoyant une catégorie de personnes visées par la loi, notamment les Officiers, sous Officiers, hommes de rang et toutes autres personnes ayant pris part à quelque titre que ce soit.
Le champ d’application de la loi, tant en ce qui concerne les infractions que les personnes concernées, a fait l’objet de nombreuses critiques et réserves lors des écoutes.
IV – Synthèse des Ecoutes
La liste des personnes écoutées est annexée au présent rapport.
Les critiques et réserves formulées par la plupart des personnalités, professionnels du droit et représentants des associations et organisation de la société civile, de défense des droits de l’homme, et des confessions religieuses, sont essentiellement relatives:
aux infractions visées
aux personnes concernées
aux droits des victimes
au fondement juridique de l’amnistie.
1 – Les infractions visées
La plupart des personnes écoutées ont émis des réserves sur le domaine des infractions visées qu’elles jugent trop large. Elles estiment que certaines infractions notamment les homicides volontaires, les vols qualifiés, les atteintes aux biens publics et privés etc. … ne devraient pas être couvertes par l’amnistie.
2 – Les personnes concernées
Nombre des personnes écoutées ont déploré que la liste des membres du CNRDRE et des personnes concernées par la loi d’amnistie n’ait pas été jointe au projet de loi. Elles estiment en outre que la référence à «toutes autres personnes y ayant pris à quelque titre que ce soit» doit être supprimée pour éviter que n’importe quel délinquant ou criminel de droit commun puisse se prévaloir de la loi d’amnistie.
3 – Les droits des victimes
Toutes les personnes écoutées ont posé le problème des droits des victimes. Elles estiment que l’amnistie ne doit pas préjudicier aux droits des victimes, et demandent que les dispositions adéquates soient prises pour l’indemnisation de toutes les victimes.
4 – Le fondement juridique de l’amnistie
Le fondement juridique de l’amnistie est contesté par certains, qui estiment que les faits de mutinerie invoqués ont en réalité conduit à un coup d’Etat, qui constitue, aux termes de l’article 121 de la Constitution du 25 février 1992, un crime imprescriptible contre le peuple.
Au regard de ces critiques et réserves, la Commission formule les observations et recommandations suivantes.
V – Observations et recommandations
L’amnistie, qui signifie à l’origine «oubli», se définit comme une loi qui efface le caractère criminel ou délictueux des faits en faisant obstacle aux poursuites pénales, ou en effaçant les condamnations pénales.
Elle peut être réelle, en ce sens qu’elle ne concerne que des faits susceptibles de poursuites pénales, ou personnelles en ce sens qu’elle vise des personnes ou catégories de personnes déterminées, ou mixte, lorsqu’elle combine les deux systèmes.
En ce sens, le présent projet de loi d’amnistie est de nature mixte, dans la mesure elle vise dans son article 1er des infractions, et une catégorie de personnes, dans son article 3.
La Commission propose un amendement de cet article pour préciser sa portée et éviter une extension abusive de la catégorie de personnes pouvant bénéficier de l’amnistie.
Par le reste, il ya lieu d’observer qu’il appartient au juge pénal d’apprécier en cas de poursuites si les faits reprochés sont en lien avec la mutinerie et entrent dans les cas prévus par la loi d’amnistie, et si les personnes poursuivies peuvent ou non invoquer le bénéfice de l’amnistie.
Ce pouvoir d’interprétation du juge est une garantie fondamentale contre les risques d’extension abusive du domaine et de la portée de la loi d’amnistie.
En ce qui concerne les droits des victimes, il faut observer que l’amnistie ne fait pas obstacle à l’action civile tendant à la réparation des préjudices subis par les victimes des infractions amnistiées.
En outre, dans le cas d’espèce, l’accord-cadre prévoit l’élaboration et l’adoption d’une loi d’indemnisation des victimes.
La Commission recommande au Gouvernement d’initier ce projet de loi dans les meilleurs délais.
Enfin, en ce qui concerne le fondement juridique de l’amnistie, la Commission propose un amendement incluant dans les visas de la loi, l’accord-cadre CDEAO CNRDRE endossé par l’Union Africaine et l’ONU afin de conforter le fondement juridique de l’amnistie.
La Commission estime, en accord avec l’unanimité des personnes écoutées, que malgré la pertinence de toutes les critiques ou réserves, l’intérêt supérieur de la nation commande l’adoption du présent projet de loi d’amnistie en vue de contribuer à l’apaisement du climat politique et social indispensable au retour de la paix et de la concorde entre tous les enfants du pays.
VI – Conclusion
En conclusion, et sous réserves des observations et recommandations qui précèdent et de l’acceptation des amendements proposés, la Commission des Lois Constitutionnelles, de la Législation, de la Justice et des Institutions de la République recommande à notre Auguste Assemblée l’adoption du présent projet de loi.
Bamako, le 17 Mai 2012
Le Rapporteur
Honorable Me Kassoum TAPO
La Présidente
Honorable Mme Camara Saoudatou DEMBELE
Propositions d’amendements
Amendement N°1
Après le visa de la constitution, ajouter un autre visa ainsi libellé:
Vu l’Accord Cadre entre la CEDEAO et le CNRDRE en date du 06 avril 2012.
Motivation
Renforcer la base juridique de l’amnistie
Amendement N°2
Article 3 in fine.
Au lieu de
La présente amnistie bénéficie aux officiers, sous officiers, hommes de rang et toutes autres personnes y ayant pris part à quelque titre que ce soit.
Lire :
La présente amnistie bénéficie aux officiers, sous officiers, hommes de rang et toutes autres personnes leur ayant apporté un concours.
Motivation :
Pour plus de précision.
Bamako, le 17 Mai 2012
La Présidente
Honorable Mme CAMARA Saoudatou DEMBELE
Liste des personnes-ressources écoutées
Abbé Jean FOE, Eglise Catholique
Mme TRAORE Saran CAMARA, Eglise Protestante
Toubaye KONE, Sylima
Modibo T Tiéoulé DIARRA, SAM
Me Moctar MARIKO, AMDH
Sékou KONARE, AMDH
Me Kadidia SANGARE, CNDH
Fatouma TOURE, CNDH
Aboubacar CAMARA, HCIM
Malick COULIBALY, Ministre de la Justice
Boya DEMBELE, Conseiller Technique Ministère de la justice
Boubacar SAMAKE, Conseiller Technique Ministère de la Justice
Mamadou DEMBELE, Directeur National des Affaires Etrangères
Colonel-Major Yamoussa CAMARA Ministère de la Défense et des Anciens Combattants
Le 22 Septembre 21/05/2012