«L’État doit prendre ses responsabilités par rapport aux syndicats qui, ces
derniers temps, prennent le pays en otage pour un rien du tout» ! Le coup de
gueule est d’un compatriote dépité de la diaspora qui a pris l’initiative
d’échanger avec nous sur «le dangereux glissement de la liberté syndicale»
qui menace de plus en plus la stabilité politique et socioéconomique d’un pays
déjà sérieusement éprouvé par une crise multidimensionnelle.
Vous avez sans doute compris que ces échanges ont été motivés par la grève
du syndicat national des banques, assurances, établissements financiers,
microfinances, entreprises pétrolières et commerces du Mali (SYNABEF).
Cette organisation syndicale a en effet mis en exécution sa menace de
paralyser le pays avec une grève de 72 heures à partir du jeudi 17 avril 2025
sur toute l’étendue du territoire national. Un mouvement qui devait être
reconductible à 120 heures à compter du 22 au 26 avril 2025. Heureusement
que le pragmatisme du Premier ministre a permis de concilier les positions et
de mettre fin à cette grève à la fin du second jour. La raison ? Parmi les
doléances syndicales, on peut citer la reprise des travailleurs dans plusieurs
sociétés, la libération des deux de leurs camarades d’Ecobank arrêtés dans
l’affaire d’EDM-SA «alors qu’ils ont agi conformément à la réglementation
bancaire»…
Ce dernier point constitue le vrai point d’achoppement entre le gouvernement
et le Synabef, les syndicalistes qui exigeant la libération pure et simple de
leurs collègues. Le Secrétaire général du Synabef et vice-président de l’Union
nationale des travailleurs du Mali (UNTM), Hamadoun Bah, en fait un point
d’honneur syndical. Or, la justice ne l’entend pas de cette oreille. Même si la
surenchère des syndicalistes devant un problème de justice (arrestation de
deux agents de Ecobank sur la plainte d’EDM-SA) constitue un véritable nœud
gordien pour le Parquet.
Le Synabef a donc décidé encore de prendre le pays en otage suite à une
nouvelle affaire judiciaire touchant l’un de ses membres. Cette tendance à
faire pression sur la justice à coups de grèves, selon de nombreux
observateurs, pose une question brûlante : la solidarité syndicale peut-elle
primer sur les principes de justice et de responsabilité ? En tout cas, n’ayons
pas peur des mots ! Cette grève est du chantage syndical visant à plonger
l’économie dans le chaos !
La justice, jusqu'à preuve du contraire, étant rendue pour tout le monde, la
bonne foi syndicale voudrait qu’on la laisse faire son boulot en prenant soin de
trouver les meilleurs avocats pour ses membres inculpés. Si le verdict n’est
pas satisfaisant, il faut épuiser toutes les voies de recours avant de prendre le
peuple à témoin. Les Maliens ne sont pas dupes. Tout comme «l'ordre public
et la quiétude sociale sont de la responsabilité de chacun d'entre nous».
Nous avions déjà dénoncé en son temps le cas de Hamadoun Bah comme un
précédent dangereux. Arrêté et mis sous mandat de dépôt suite à un différend
syndical le 5 juin dernier, le leader syndical avait été libéré le 10 juin 2024
sous la pression du Synabef et de l’UNTM dont il est le 1er vice-président. Et
là encore, le combat du syndicat pouvait être compris car nous étions
nombreux à nous demander : Comment une querelle syndicale peut-elle se
retrouver au Pôle économique et financier de Bamako ? Mais, on aurait dû
laisser la justice aller au bout de sa logique pour mieux comprendre ses vraies
motivations. Malheureusement, le temps nous a donné raison, car récemment,
ce sont tous les hôpitaux du pays qui ont été paralysés par une grève liée à un
litige foncier, donc «une affaire strictement privée». Et pour la seconde fois,
les banques et les établissements de la microfinance sont entrés dans la
danse. Les magistrats pouvaient faire de même puisque c’est leur
indépendance, donc leur crédibilité, qui est menacée. Imaginez que chaque
corporation déclenche une grève (sans service minimum) chaque fois que l’un
de ses membres a maille à partir avec la justice ? Que restera-t-il de la
stabilité du pays ?
Que les choses soient claires dès le départ. Nous ne sommes pas opposés à
la liberté syndicale ni à une corporation si le but est réellement de défendre
ses intérêts. Et loin de nous toute prétention de vouloir donner une leçon de
patriotisme à qui que ce soit. Notre interpellation, comme toujours, c’est
d’exhorter chacun de nous à privilégier l’intérêt national en ne laissant pas les
considérations personnelles ou de groupe le piétiner. Chacun de nous, chaque
composante socioprofessionnelle, a un rôle majeur à jouer dans la
réhabilitation de la justice. Et on n’y contribuera pas par la méfiance, mais par
la confiance. On ne peut pas vouloir une justice transparente et libre de la
pression politique, et souhaiter que le gouvernement fasse pression sur elle
pour obtenir la libération de ses militants.
Comme s’est si pertinemment interrogé un confrère de la place, «les syndicats
sont-ils encore les gardiens des droits des travailleurs ou dérivent-ils vers un
corporatisme aveugle» ? Comme lui, nous pensons qu’il est temps d’ouvrir un
vrai «débat national sur l’éthique syndicale, la bonne gouvernance et la
responsabilité partagée». Et, surtout dans le cas du Synabef, nous pensons
que ses responsables devaient avant tout penser aux conséquences de leur
mouvement (sans service minimum) sur leur clientèle, dont la majorité n’a rien
à avoir avec le gouvernement.
Ainsi, comme souhaité par notre interlocuteur au début de cette chronique,
l'État doit s'assumer car «on ne saurait prospérer dans cette anarchie dans
laquelle chaque corporation fait sa démonstration de force pendant que les
populations sont dans toute sorte de détresse». Mais, il faut reconnaître que
cela n’est possible que si chacun de nous est prêt à consentir sa part de
sacrifice pour soutenir nos autorités dans un éventuel bras de fer avec les
syndicats dont les justes motivations ne sont pas forcément syndicales.
Ce soutien est indispensable d’autant plus que, dans ce contexte dans lequel
la population malienne survit au jour le jour, les responsables du syndicat
gréviste misent sur «le risque réel d’une explosion sociale» pour pousser l’État
à interférer dans une affaire de justice. À nous maintenant de comprendre cela
et de manifester notre soutien aussi bien à l’État qu’à notre justice. Exaspéré
par les menaces de grève et de marches, pendant la transition de 91-92, feu
le président Amadou Toumani Touré dit ATT avait déclaré que ceux qui le
souhaitent peuvent marcher jusqu’à Gao !
Il est ainsi temps de dire niet au chantage syndical. «La liberté syndicale ne
signifie pas que les syndicats et leurs responsables peuvent agir sans limites.
Cela ne permet pas de faire ce qu’on veut quand on veut, ni de ne pas
respecter les règles de l’entreprise, y compris les règlements de travail et les
mesures de sécurité», dénonce un ancien leader syndical dont nous avons
choisi volontiers de taire le nom. Les syndicats doivent éviter de détourner
leur mandat pour exercer des pressions indues sur les employeurs, sur l’État
ou sur d’autres institutions de la République comme la justice. Et cela d’autant
plus que la liberté syndicale n’est pas une absence de règles. Elle doit
s’exercer dans un cadre juridique bien balisé pour éviter les glissements
périlleux comme ceux auxquels nous assistons ces derniers temps dans notre
pays.
Les actions syndicales ne doivent pas mettre en danger la sécurité des
personnes, la continuité des activités essentielles au développement d’un
pays ni être une excuse pour régler des comptes personnels. La liberté
syndicale est essentielle pour garantir «un dialogue social équilibré».
Toutefois, elle doit toujours s’inscrire dans un cadre
légal et éthique qu’employeurs et syndicats doivent respecter. Cela n’est un
secret pour personne que toute liberté a une limite dans son expression. Ainsi,
nous devons apprendre à défendre nos droits, farouchement même s'il le faut,
sans forcément que les autres deviennent des dommages collatéraux
récurrents, sans piétiner ou sacrifier l’intérêt général.
Moussa Bolly