L’ŒIL DE LE MATIN : La souveraineté n’empêche pas le pragmatisme

Après le discours tenu par le président de la Transition devant les forces vives
de la nation à l’occasion de la présentation de vœux du Nouvel an au palais
de Koulouba le 6 janvier 2025, même les plus optimistes ont compris que nous
n’allons pas sortir de si tôt de l’impasse de l’actuelle crise énergique. Et cela
d’autant plus que les sommes à mobiliser pour revitaliser la production
d’Énergie du Mali (EDM-SA) sont faramineuses et objectivement hors de notre
portée. Ce n’est pas bien sûr de la faute des dirigeants actuels du pays parce
que cette situation est née de la très mauvaise gestion antérieure de la société
(abandon de l’entretien des barrages pour s’enrichir sur les factures
d’hydrocarbures…) et surtout du manque de vision pour anticiper en prônant
le mix-énergétique.
Selon nos investigations, la solution la moins coûteuse et à court terme serait
de reprendre langue avec la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE). Un pas
que le gouvernement ne serait pas prêt à franchir pour des raisons de
souveraineté. Ce qui est une grave erreur dans la gouvernance d’un pays. Il
est vrai que depuis la rectification de la transition, les relations se sont
compliquées entre Bamako et Abidjan. Mais, nos décideurs doivent savoir
qu’on ne gouverne pas un pays avec le cœur, mais avec la raison, le
pragmatisme… Et même l’opportunisme est accepté dans la gestion d’un Etat.
Les mandings disent qu’il n’y a pas de mal à retourner dans le champ de son
ex-époux car cela ne permet que de découvrir qu’on est très connu sur ce
trajet. Nous ne devons pas avoir de scrupule à reprendre langue avec la CIE
d’autant plus qu’elle ne nous offre pas gratuitement le courant. C’est une
entreprise comme les autres. Filiale du groupe Eranova, la  CIE est en fait liée
à la Côte d’Ivoire par une convention de concession de type affermage pour
l’exploitation des ouvrages de production ; de transport  et de distribution ; de
commercialisation ; d’importation  et d’exportation d’énergie électrique
Avec un capital évalué en 2015 à 14 milliards de F CFA, la CIE exporte de
l’électricité vers le Bénin, le Burkina Faso, le Ghana, le Togo, le Mali et la
Guinée. Selon nos informations, l’Etat ivoirien n’est pas actionnaire majoritaire
dans le capital de la société. Même si le président Alassane Dramane
Ouattara a souvent utilisé ses prérogatives pour augmenter le quota vendu à
notre pays. Objectivement, nous ne voyons pas de raisons de ne pas discuter
avec la CIE. Même si cela ne signifie pas que nous devons accepter des
pressions politiques ou diplomatiques nous tenant à la merci des puissances
impérialistes comme la France.
Nos décideurs doivent comprendre que les intérêts du pays dépassent les
sentiments. Et comme le disait si bien feu le Général Charles de Gaulle, «les
États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts». Il suffit pour s’en convaincre
de regarder la politique des Etats-Unis qui viennent de blanchir Ahmed al-
Charaa (le nouvel homme fort de la Syrie) un redoutable terroriste (dont la tête
a été mise à prix pendant de longues années) pour préserver leurs intérêts en
Syrie et au Proche Orient.  «Les États n’ont pas d’amis, ils ont des intérêts. Il
leur appartient de les défendre», conseillait (en 2013) aussi aux Etats africains

l’ancien président de la Banque africaine de développement (BAD), le
Rwandais Donald Kaberuka. Son pays est un bel exemple de pragmatisme
diplomatique en Afrique. De nos jours, il faut savoir faire preuve de
pragmatisme pour mieux défendre les intérêts de son pays. Certes, il est
intéressant de fixer une ligne rouge à ses partenaires, mais il faut aussi savoir
tirer le meilleur profit de chaque opportunité, quelle que soit le partenaire qui
l’offre.
Nous savons tous que, depuis l’antiquité, les relations entre les États ont
toujours été un rapport de forces. D’une façon ou d’une autre, nous le disait
récemment un diplomate chevronné, «ceux qui ne savent pas préserver leurs
intérêts finissent toujours par se faire phagocyter par les puissants».  Selon lui,
dans la «jungle des relations internationales», on peut se faire respecter et
tirer son épingle du jeu sans rupture et sans se fâcher avec les autres. La
gouvernance témoigne donc bien d’une véritable refondation d’un État tout en
ayant aussi une portée plus pragmatique, illustrée par l’inflexion des principes
d’organisation et d’action de l’État. Un Homme qui a faim ou qui est loin de voir
le bout du tunnel n’est pas un citoyen libre pour aspirer à l’autonomisation, à
l’indépendance. Laissons donc la souveraineté retrouvée se manifester dans
d’autres domaines ou dans d’autres relations comme refuser par exemple le
diktat des Institutions de Breton Woods (Fonds monétaire international et la
Banque mondiale) en acceptant plus leurs «aides» ( ???) dans n’importe
quelle condition.
Elle peut aussi s’exprimer dans la «renaissance culturelle» en nous
débarrassant des symboles du colonialisme comme rebaptiser nos rues et
artères principales du nom de nos héros et personnalités emblématiques ;
renoncer aux perruques et toges de style colonial pour nos magistrats, les
universitaires… Il faut rappeler que, le  28 avril 2023, le Burkina a adopté un
décret portant promotion du port du «Faso Dan Fani», du «Koko dunda» et
autres tissus traditionnels du pays par les magistrats, les greffiers et les
fonctionnaires de la justice. Depuis son arrivée au pouvoir en septembre 2022,
le capitaine Ibrahim Traoré a fait de la souveraineté du pays le principe de sa
gouvernance.
Et il n’a pas seulement remis en cause la présence de l’ancienne puissance
coloniale, mais il a pris des initiales pertinentes (car elles commencent à porter
leurs fruits) pour asseoir une souveraineté alimentaire voire économique
(expérimentations de plusieurs types de culture comme le blé, les agrumes…)
afin de réduire la dépendance des Burkinabé de la production de certains pays
voire  des importations de denrée de première nécessité. Pour consolider une
souveraineté, il faut l’être d’abord dans son assiette, dans le ventre !
Moussa Bolly

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