Réinstallé à Bamako, Amkoullel a poursuivi sa carrière. En 2011, il a participé au Festival au Désert, à Essakane, pendant que se tournait un documentaire sur l’importance sociale de la musique. Après plusieurs tournées en pays anglophones et francophones, il a voulu faire découvrir la nouvelle tendance musicale malienne au-delà du continent. C’est pour cela que, depuis juillet 2013, il est temporairement installé aux USA. Outre ses concerts, il nous parle de son engagement social à travers la musique, l’art et la culture au Youth Leadership Retreat, dans le Vermont. Très prochainement, Amkoullel présentera «The Last Song before the War», le documentaire sur le Festival au Désert, à New York, au Lincoln Center Global Fest. Il est aussi avec plusieurs l’un des fondateurs du Mouvement Hip-up malien. C’est avec ce jeune rappeur pétri de talent de comédien, parce qu’il a fait sa première comédie musicale au Blonba avec Ramsès et King Massassy, que nous nous sommes entretenus.
Comment expliquez-vous qu’en 2012 le Mali se soit écroulé en quelques semaines ?
Amkoullel : En fait, c’est une longue histoire. Au Mali, pendant la colonisation et depuis les indépendances, nous évoluons dans un cadre que nous ne maîtrisons pas, qui ne ressemble pas à notre héritage traditionnel. À l’école, les nouveaux codes auraient dû être enseignés et le lien avec notre culture aurait dû être tissé. Les aînés n’ont pas su accompagner les jeunes. Après la dictature, lorsque la démocratie a été proposée aux Maliens, les populations n’ont pas eu conscience que la corruption et l’enrichissement illicite des hautes sphères étaient associés à cette démocratie. Ce que les gens constataient, c’est que leur vie devenait progressivement plus difficile. Les institutions se fragilisaient en même temps que l’incompétence des dirigeants augmentait. Tout se désagrégeait. Certes, cette dégradation était aussi provoquée par les exigences imposées à l’Etat par le Fmi, mais nos dirigeants auraient pu décider de se battre. Ils ne l’ont pas fait. Ils ont choisi de baisser les bras, en s’arrangeant pour tirer profit de cette situation.
Au Mali, le défaut majeur est la politique de la main tendue. Dans tous les domaines. Même à l’échelle artistique, beaucoup attendent les subventions pour se produire. Ce qui asservit leur création aux objectifs des bailleurs de fonds qui, souvent, se préoccupent plus de politique au sens large, que de culture. Aujourd’hui, rien n’a changé. 75% de la population sont des analphabètes, la télévision ne diffuse pas de programmes éducatifs ; l’école malienne est dans un état catastrophique ; les écoles privées prolifèrent. Seule une petite élite comprend les tenants et les aboutissants des décisions, parfois occultes, prises par certains dirigeants irresponsables. L’impunité dont ils ont toujours joui et l’injustice sociale ont fait le lit de ce qui est arrivé en 2012. Le terreau de cette crise est la médiocrité. Quand la corruption et le mensonge sont considérés comme les outils pour trouver des solutions, il faut s’attendre à le payer un jour. C’est ce prix que nous payons aujourd’hui. Quand on ne choisit pas ceux qui ont les compétences requises pour assumer leurs fonctions pleinement, l’Etat est affaibli. Un Etat n’a pas le droit d’être faible, car il met toute la population en danger, alors qu’il a la responsabilité de la protéger, comme des parents protègent leurs enfants.
Les autorités maliennes ont failli dans cette mission là. En 2003, dans mon album, «Pots-de-vin», je disais qu’on ne peut pas reprocher à un père qui travaille honnêtement de céder à la corruption quotidienne lorsque l’Etat ne lui permet pas de nourrir, de scolariser et de soigner ses enfants. Huit mois avant le coup d’Etat, je lançais un «SOS». L’explosion allait arriver, c’était évident. Je posais juste la question quand et qui allait la provoquer ? Je condamne toujours le coup d’Etat militaire de mars 2012, mais finalement, les gens n’y ont pas perdu grand-chose socio-économiquement. Cela faisait longtemps que l’Etat ne les nourrissait plus et ne les protégeait pas.
Peut-on dire que l’occupation des régions nord du Mali a changé le Mali ?
Oui, complètement, et j’espère en bien. Les gens ont dû comprendre que la négligence se paye toujours. Malheureusement, ce sont les gens au Nord qui ont payé le plus cher tribut. Les responsables, incompétents et médiocres, se trouvaient à Bamako. Ils n’ont pas été touchés dans leur chair. Tout le monde savait que, dans le septentrion, depuis plus de quinze ans, des prêcheurs, venus d’ailleurs, endoctrinaient les plus jeunes. L’Etat aurait dû agir.
Les gens vivant au Nord se sentent-ils représentés par les groupes qui viennent de siéger à Alger ?
Au Mali, nos familles sont quasiment toutes multiculturelles. J’affirme que le Mnla n’a aucune légitimité, il ne représente personne. Si ce groupuscule avait des demandes à faire, pourquoi n’a-t-il pas utilisé les voies démocratiques ? Tous les Maliens, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, ont toujours élu des représentants dans les institutions régionales et nationales. Ce mouvement s’appuie sur des visées géopolitiques et géostratégiques étrangères. Ces gens prétendent s’occuper du bien-être des populations, alors qu’ils n’ont pas hésité à les sacrifier en s’associant aux narcotrafiquants qui les ont martyrisés. Ces indépendantistes ne pensent qu’à positionner leur propre agenda sur l’échiquier international. Ce qui est le plus stupéfiant, c’est que les Etats occidentaux déclarent qu’ils ne négocient jamais avec les terroristes, et pourtant, le Mali est contraint à le faire avec ces gens qui ne sont rien d’autres que des terroristes assassins. Quelles que soient les pressions subies, nos dirigeants auraient dû refuser de négocier avec eux. Concernant l’accord de coopération militaire, avant de prendre quelle que décision que ce soit, nos dirigeants auraient dû en publier le contenu pour que le peuple malien en prenne connaissance et se sente associé à cette décision. Ils ne l’ont pas fait. Ils ne le font jamais. Ils courbent l’échine devant la loi du plus fort.
Comment tout ceci peut-il changer ?
Nos dirigeants doivent nous regarder dans les yeux et arrêter de nous mentir. C’est à nous, peuple malien, qu’ils ont des comptes à rendre en priorité, à personne d’autre. Les Maliennes et les Maliens ont besoin de la vérité. Ils doivent être informés. Nos dirigeants ne sont là où ils sont que grâce à nous. En tant que président, il vaut mieux choisir d’être l’esclave de ton peuple qui t’a élu démocratiquement, que d’être celui d’un maître étranger qui te dicte le comportement que tu dois avoir pour bien servir ses intérêts. De tout temps, nos dirigeants ont su que c’était le pays qui allait rembourser leurs propres servilités. Comment peuvent-ils, encore aujourd’hui, engager le peuple malien sans lui dire la vérité ?
C’est à nous, Maliennes et Maliens, qui souffrons des conséquences de leur comportement, de faire en sorte qu’eux, nos dirigeants, subissent les mêmes choses que nous, le peuple, afin qu’ils ressentent l’envie et le besoin de mettre un terme aux souffrances du Mali. Le changement émergera de la volonté populaire à exiger démocratiquement que les promesses de campagne électorale soient tenues. Le président IBK a promis des choses, il a donc la responsabilité de mettre tout en œuvre pour atteindre les objectifs qui ont convaincu l’immense majorité des votants. Certes, rien n’a encore changé, mais le Mali était dans un tel gouffre que j’estime qu’il faut lui accorder plus de temps pour redresser le Mali. Le peuple, qui ne croyait déjà plus à la classe politique, a été déçu à plusieurs reprises depuis le début de ces crises.
C’est d’ailleurs pour cette raison que les leaders religieux ont de plus en plus de pouvoir. La nature a horreur du vide. Donc, c’est à nous, Maliennes et Maliens, sans nous laisser distraire, sans reporter les responsabilités sur qui que ce soit d’autre, de contraindre nos élus, nos représentants, nos leaders de faire leur travail. Entre deux élections, un peuple déterminé et uni reste très puissant. Nous, artistes, avons notre rôle à jouer pour accompagner nos frères et sœurs dans leur mission citoyenne. Depuis mes débuts, je parle de l’importance de l’Ecole et de la Justice. Ce sont les deux fondations indispensables qui permettront de construire enfin un Mali solide et équitable. Je le répète, l’Ecole pour tous, la Justice pour tous.
Réalisée par Françoise WASSERVOGEL
Source: Le Reporter Mag 2014-08-02 18:30:42