Républicain : Depuis quelques temps, on constate que de plus en plus d’auteurs maliens mettent des livres sur le marché. Cela traduit-il une redynamisation de la filière du livre au Mali ?
Ismaël Samba Traoré : Ce phénomène est peut être dû au fait qu’à tout moment de grand silence dans la production littéraire succède une période de grande production. Aussi, nous sommes peut être dans une période de revitalisation de l’activité littéraire. Cependant, il faut comprendre que le livre ne naît pas de lui-même. Le travail des éditeurs maliens est sûrement pour beaucoup. L’existence d’un espace d’édition et de promotion donne aujourd’hui envie aux écrivains d’éditer. Par ailleurs, il faut dire que la disponibilité des éditeurs est aujourd’hui doublée d’un professionnalisme qui les amène à développer des stratégies pour contourner l’absence de moyens financiers pour sortir des livres. Personnellement, je ne peux pas dire qu’il y a un boom de l’activité littéraire. Le jour qu’on aura une véritable politique incitative, nous pourrons facilement multiplier le nombre de sorties de nouveaux livres par 20 voire 40. Donc, ce qui se passe aujourd’hui est l’expression de la résistance des éditeurs qui refusent de disparaître.
Mais, à quoi bon multiplier le nombre de sorties des livres par 20 ou 40, quand il est unanimement reconnu que les Maliens ne lisent pas ?
On entend cela un peu partout et je me demande si ça ne relève pas du registre des idées reçues. C’est peut être une réalité. Mais, est-ce que ce ne sont pas des questions d’accessibilité aux livres par rapport aux prix et par rapport à l’emplacement des bibliothèques dans les quartiers ? Est-ce que le fond de nos bibliothèques correspond aux thématiques qui intéressent les Maliens, quand on sait que dans tous les pays du monde la préférence des lecteurs va aux textes dont les thèmes sont en relation avec leur vécu quotidien. Il faut aussi se demander si des écrivains africains ne sont pas dans la logique d’accrocher des lecteurs d’ailleurs. Si seulement les auteurs et les éditeurs produisaient des textes qui répondent aux attentes des parents et des élèves, dans une démarche qui prend en compte les questions de coût, est-ce qu’on n’allait pas avoir beaucoup plus de Maliens lecteurs. Je m’interroge. Je doute que les Maliens n’aiment pas lire et quoi qu’on dise le problème de l’accessibilité du livre reste réel au Mali. Pour que le livre soit une réalité au Mali, il faut qu’on le voit. Certains vont même jusqu’à nous dire qu’ils ne savaient pas qu’il y a des maisons d’éditions au Mali. Peut être qu’on a affaire à une société qui n’intègre pas au maximum le livre comme un instrument de transmission de la connaissance, alors que le livre aide l’enfant à grandir. Il faut se méfier des idées reçues et travailler comme un militant qui ne décroche jamais.
Votre maison d’édition joue un rôle important dans l’offre littéraire au Mali. Quelle est votre stratégie ?
Nous avons canalisé des préoccupations d’attente des lecteurs que nous avons structurés en trois collections. La collection « Frifrini » offre des textes illustrés à des enfants de 0 à 6 ans et de 6 ans à 12 ans. Cette collection composée d’une dizaine de livres est un capital pour tous les écoliers du Mali. La collection « 50 voix » est consacrée aux textes littéraires, les comptes rendus de travaux de recherches, les témoignages, les biographies, la réflexion critique et la protestation citoyenne. La collection « La dune verte » veut contribuer à la résolution du conflit récurrent du Nord-Mali en favorisant l’émergence de leaders pacifistes et la connaissance de soi et de l’autre à travers le livre. Aujourd’hui, nous recevons des auteurs qui veulent que leurs livres soient publiés dans telle ou telle autre collection.
Votre travail d’éditeur ne se fait pas sans difficultés. Mais qu’elles sont celles qui vous tiennent à cœur ?
Nous sommes une structure du secteur privé et comme telle nous avons les mêmes problèmes que les autres sociétés. Mais du fait de la spécificité de notre filière, nous sommes confrontés à un grave problème de la mévente qui s’est aggravée avec le classement de certaines parties du pays en zones rouge. Cela a provoqué un crash dans la vente des livres au Mali. A travers ce problème, nous avons senti que les voyageurs avaient un apport exceptionnel dans la circulation des livres. Par ailleurs, les politiques éducatives du Mali qui prévoyait l’achat de livres d’auteurs maliens n’a jamais fonctionné. Il faut une véritable politique de bibliothèque de classe constituée de livres qui parlent de l’environnement de l’élève.
Assane Koné
Le Républicain 14/10/2011