Car plus notre démocratie prend de l’âge, plus la bombe foncière menace les fondements d’une société où le toit est à la fois abri, assurance-risque et indice sociologique d’une vie qui n’a pas été vécue pour rien. Le paradoxe prend plus de relief sous la décennie Att qui a vu, non seulement, le diagnostic le plus complet jusque-là de la situation foncière au niveau national, mais surtout d’un boom sans précédent des logements sociaux qui, sont certes perfectibles mais qui ont permis un toit -le rêve d’une vie- à des milliers de Maliens et de Maliennes peu fortunés.
Le cas de Tabakoro dont les populations furent déguerpies dans le cadre d’un ambitieux programme de logements sociaux aurait pu, certes, être mieux négocié pour éviter les excès que nous avons connus en 2009 tant de la part des manifestants que des forces de sécurité. Mais il ne doit pas être confondu avec les litiges qui culminent à Bamako mais qui sont de plus en plus signalés, également dans les capitales régionales, le cas enflammant présentement Mopti – et sur lequel nous revenons plus tard- en étant la toute dernière illustration. Parce que la mafia foncière, il n’y a pas d’autre mot, ne vise pas l’intérêt général comme le programme de Tabakoro. Elle ne roule que pour ses seuls intérêts égoïstes. Elle ne cherche pas à construire la seule maison de son existence.
Elle cherche plutôt à accumuler, soit pour le blanchiment, soit pour la spéculation plus tard. Portrait robot de ces nouveaux gangs qui écument le patrimoine foncier : un opérateur économique qui ne peut justifier sa fortune ou des fonctionnaires qui ne peuvent être que corrompus ; des rabatteurs civils ou militaires intouchables ; les maires et/ou leurs conseillers ; le service des domaines.
Et le procédé invariablement est le même. Comme dans le cas de l’imam Oumar Traoré de Baco Djikoroni qui, usé par les recours et permanemment victime de l’intimidation, n’eut d’autre choix que de solliciter la protection et l’arbitrage du président de la République dans une lettre pathétique datant de juillet dernier. A quatre vingt ans passés, le vieil homme se vit du jour au lendemain interdit d’accès au verger familial qu’il a hérité de son père, devant des témoins dont certains sont vivants. Le terrain d’un peu plus d’un hectare longe le fleuve.
Mopti dans la rue
Les pieds dans l’eau, en somme. Pas de quoi impressionner un manguier. Mais un nouveau riche qui sait l’Etat à sa merci ne peut pas cracher sur ce microclimat. Alors, Traoré qui, comme la plupart des « premiers occupants » n’a pas de papier (ni lettre d’attribution, ni titre foncier) s’est alors vite trouvé devant une situation surréaliste. Un jour, une escouade de Ninjas débarque dans le verger ancestral, exfiltre les enfants de l’imam au motif que le lieu appartient à deux gros bonnets : un industriel du textile, Bakari Cissé, et un homme d’affaires connu de la place, Yatassaye. Ils ne montrent pas les papiers qu’il faut. Mais ils en ont plus que l’imam spolié. La mairie, à travers un conseiller zélé, jure par les dieux que le vieux est un imposteur. Le tribunal semble aller vers les mêmes conclusions.
Sauf que l’imam a aussi son avocat et que la bataille judiciaire est engagée. Dans la même zone, un autre bras de fer engage Mantala Sangaré et une société immobilière Somapim. Les populations sont sur les nerfs mais elles sont trop pauvres pour se payer les services d’un avocat longtemps. Le pot de terre donc contre le pot de fer. Même scénario à Mopti ? Personne ne sait. La population de la Venise qui a fait hier une marche pacifique de plusieurs milliers de manifestants n’entend pas rester les bras croisés dans l’affaire qui oppose la richissime famille Guitteye aux riverains de Taïkiri, le quartier qui abrite le stade Barema Bocoum. De quoi s’agit-il ? Il y a deux semaines, Mamadou dit Vieux Guitteye s’est présenté avec une sommation exigeant à des occupants du lieu de déguerpir sous 72 heures. Il se heurte à leur refus. « Nous avons hérité ces terres de nos pères et de nos grands pères », s’insurge Zouberou Coulibaly, 70 ans et chauffeur de l’unique corbillard de la ville. Infirmière à la retraite,
Oumou Telly, elle, soutient : « nous habitons ici depuis cinq ans ». Pas d’exception : même Badou Maiga, conseiller municipal dont la famille réside sur les lieux depuis 1952 est sommé de quitter. C’est lui qui usera de son influence pour que Me Garba Tapo ne défende pas la cause de Guitteye. Les « premiers occupants » ont-ils tort une fois de plus ? En tout cas, au tribunal de première instance, le 8 août, le juge Coulibaly fait gagner Guitteye constitué en partie civile et fort de son récent « titre foncier » – le directeur des domaines qui l’a délivré est encore en poste à Mopti- que les autres, avec l’appui de Me Sidibé, veulent faire annuler au tribunal administratif où le juge Kané est « officieusement saisi du dossier ».
Tout le monde montre le muscle. Défendus par Me Amadou Khisso Cissé, maire sortant, -est-il impliqué dans certains des litiges en cours ?- les Guitteye ne veulent pas céder. Les occupants des lieux non plus, malgré l’ordre d’expulsion et de démolition qui leur a été porté par voie d’huissier. Barricades sur l’artère principale et bruyantes manifestations devant le domicile du maire Bathily et de son adjoint Samassekou. La démission des deux édiles est réclamée avec énervement. La police use des grenades lacrymogènes. Légères blessures et arrestations. La médiation n’a pas donné les fruits attendus. Haut Conseil Islamique, chefs de quartier, rien n’y a fait. Il restait une seule solution proposée par le maire : que les occupants sommés de déguerpir remboursent, en présence du directeur des domaines, les Guiteye qui ont le titre foncier.
Refus catégorique des occupants qui semblent bénéficier de la bonne compréhension du préfet Niaré derrière lequel le Gouverneur se retranche. Mais les populations ne veulent pas lâcher. Sauf quatre veuves qui, contre promesse de lot de recasement, sont d’accord de quitter les lieux. Au grand dam de Ousseni Tapo qui conduit le mouvement de contestation contre les Guitteye présentement en conflit avec des riverains de trois quartiers de la Venise : Médina Coura, Bas-Fonds, Ottawa. Tout cela peut sembler normal, car les conflits font partie de la vie. La seule chose, c’est qu’en entendant le président de la République lui-même lors des Etats généraux du foncier, et en prêtant attention aux histoires de litiges qui naissent un peu partout dans le pays, on a l’impression que « la moyenne a dépassé le total général ». L’enjeu, à moyen terme, c’est la valeur même du titre foncier.
Adam Thiam
Le Républicain 17/08/2011