Les mœurs, coutumes et lois votées dans le cadre de l’émergence du pays doivent être respectés par l’ensemble des citoyens. Même en l’absence des autorités, chaque citoyen a le devoir de ne pas violer les décisions prises par les autres, sans quoi, l’anarchie risque de s’installer, puisque les citoyens manqueront de cette vertu qui, de par sa contrainte morale, constitue pourtant le socle même de la démocratie qui diffère des autres pouvoirs : monarchie, despotisme…Mais au Mali, on assiste plutôt au contraire en longueur de journée.
En effet, rares sont les citoyens maliens qui respectent les valeurs démocratiques qui sont pourtant le fruit de longues concertations entre toutes les forces vives du pays. Chacun se plaît à faire ce qu’il veut sans tenir compte des impacts négatifs de leurs actes sur les autres et sur l’Etat lui-même qui ne peut pourtant rien sans le concours du peuple. C’est ainsi que de nos jours, on assiste à un incivisme grandissant, sous diverses formes et dans tous ses états. Devenue actuellement monnaie courante, gangrène tous les secteurs de développement de la Nation. Ce n’est plus un acte uniquement perpétré par les jeunes : plus que ces derniers, les personnes âgées excellent aussi dans l’incivisme.
Sur le plan politique
L’incivisme fait que les jours de vote, le peuple ne sort pas pour choisir les hommes et femmes qui, à leurs yeux, sont capables de gérer correctement le pays. Bien d’électeurs ayant déjà retiré leurs cartes refusent d’aller voter jusqu’à ce que « des politiciens malhonnêtes » viennent leur donner de l’argent pour qu’ils choisissent leurs candidats. Généralement, ce sont des sommes modiques qui leur sont proposées pour cette tâche : 1000 ou 2000 FCFA. Mais ironie du sort, ce sont ces mêmes électeurs qui ont pris de l’argent pour voter qui finissent par se plaindre de ceux qu’ils ont pourtant élus, sans penser que leur élection n’est le fruit de leur incivisme. C’est aussi cet incivisme qui amène certains à voter avec les cartes des autres à leur insu, ou à voter plusieurs fois pour un candidat généralement impopulaire. L’incivisme pousse d’aucuns également à falsifier en catimini les résultats des élections, défavorisant ainsi les plus méritants, comme cela se passe à chaque élection chez nos cieux.
Sur le plan économique
L’incivisme est très fréquent. Au-delà de la corruption, de la délinquance financière et de la malversation de certains nos dirigeants qui se plaisent impunément dans cette situation et qui font régresser le progrès du pays, il y a également le refus ostensible d’une bonne partie des citoyens de payer les différentes taxes, surtout celles du développement régional et local (TDRL). Mais ils oublient qu’en principe, c’est l’argent recouvré par les agents des impôts qui permet aux dirigeants de poser des actes de développement durable (routes, ponts, hôpitaux, écoles, vaccination, etc.) et de payer convenablement et à temps les travailleurs. Notons par ailleurs que des travailleurs des services des impôts et des mairies falsifient les vignettes pour les vendre à des prix moins chers : cet argent ne rentre pas alors dans les caisses de l’Etat.
Sur le plan sanitaire
Lors des PEV (Programme élargi de vaccination), des parents refusent que leurs enfants soient vaccinés pour les immuniser contre des maladies dangereuses (poliomyélite, pneumonie, etc.). Par paresse, des mères, après l’accouchement, ne reviennent plus à l’hôpital pour faire vacciner leurs bébés ou ne le font pas régulièrement. Par incivisme, des médecins quittent très tôt leurs lieux de travail pour aller donner des prestations dans d’autres centres de soins privés. D’autres prennent également de l’argent aux malades qui ignorent complètement les réalités des hôpitaux. L’incivisme est tellement réel dans nos hôpitaux que les consultations et les soins sont donnés par affinité.
Sur le plan hygiénique
L’incivisme y est présent, car rares sont les citoyens qui se soucient de la propreté de la ville. Des déchets liquides ou solides sont déversés partout dans les rues. Des tuyaux de toilettes sont directement connectés au dehors ou aux fossés qui, d’une part barrent le chemin des passants (certains tombent même dans ces fossés, et des engins qui s’enfoncent dans ses eaux usées salissent d’autres passants), et d’autre part, deviennent des nids de moustiques qui infectent toute la population. Ce qui est encore plus grave et insensé, et uniquement propre aux animaux, c’est qu’y a des gens qui se permettent de mettre leurs déchets solides dans les fossés pourtant uniquement réservés à l’écoulement facile des eaux de pluies pendant l’hivernage. Mais ceux qui le font (et dont les maisons font pourtant face à ces fossés) oublient qu’en cas de fortes pluies, ce sont eux qui sont les premières victimes. En effet, durant la saison sèche, ce sont des endroits qui dégagent de mauvaises odeurs. Mais ceux qui s’adonnent à cette pratique rétorquent à ceux qui s’y opposent que ce sont des endroits publics, et chacun a le droit d’en faire ce qui l’arrange.
Sur le plan éducatif
L’incivisme fait que beaucoup de parents n’envoient pas leurs enfants à l’école sous prétexte qu’ils les aident à subvenir à leurs besoins. Ces parents oublient qu’ils sont en train de gâcher l’avenir de leurs enfants. C’est par incivisme que sans aucune raison, des apprenants refusent souvent de rester en classe pour étudier. Et dès qu’ils sortent, ils s’adonnent pendant de longues heures à des casses ou des barrages sur les routes. L’incivisme fait que certains responsables scolaires soutirent de l’argent aux élèves ou à leurs parents pour les aider à passer. L’incivisme fait que ces responsables détournent l’argent destiné aux différentes formations des enseignants qui sont sur le terrain. Avec l’ère des écoles privées, au niveau de l’enseignement secondaire, des professeurs mentent en prétendant qu’ils sont malades ou qu’ils ont des problèmes, mais sèchent les cours des écoles publiques pour aller dispenser des cours dans les établissements privés !
Des agents d’académies ferment également leurs bureaux pour aller dispenser des cours dans des écoles privées, alors qu’on a toujours besoin d’eux dans leurs lieux de travail. L’incivisme de certains est également à l’origine des problèmes liés à l’école, mais ces problèmes constituent le dernier de leurs soucis. A cause de problèmes connus de tous, les élèves passent toute l’année à ne pas travailler ; et l’Etat ne vient à leur secours que lorsque l’année est menacée. Même si l’on parvient à sauver tant bien que mal les années scolaires, on ne sera jamais capable de combler le retard accusé par les programmes d’enseignement : des apprenants passent, certes, mais avec peu de connaissances. Au moment des orientations et des transferts, l’incivisme fait que des écoles privées sont plus favorisées que d’autres.
Pour casser le rythme des mouvements syndicaux des enseignants, on procède à des mutations injustes de leaders qui font qu’ils ne reculent que jusqu’à satisfaction des points de revendication soulignés aux autorités scolaires. C’est cas à Bla où on a fait muter quatre responsables syndicaux SYPESCO au compte de l’année scolaire 2010-2011, comme s’il n’y avait pas d’autres enseignants capables d’enseigner leurs matières. Mais force est de reconnaître que ces mutations abusives et inciviques sont fréquentes dans presque tous les services étatiques. De plus, à cause de l’incivisme, les étudiants les plus méritants ne perçoivent pas de bourses d’études pour approfondir leurs connaissances : chaque fois que les bourses arrivent, ce sont plutôt d’autres personnes qui les perçoivent. C’est le cas des majors des promotions de l’Ecole normale supérieure (ENSup) qui sont là, mais qui n’ont jamais reçu de bourse de la part de l’Etat. Pourtant, ces bourses d’études sont octroyées chaque année. Aussi, pour récompenser ces majors, le Président de la République les appelle chaque année pour leur donner seulement…25 000 FCFA, un petit dictionnaire et un téléviseur ! Et le reste ne concerne plus personne !
Au niveau des services de l’Etat
L’incivisme ne constitue plus une violation du Code du travail. Les travailleurs arrivent rarement à l’heure à leurs lieux de travail, et beaucoup d’entre eux y arrivent à 9 h passées. Et s’ils y arrivent, c’est pour quelques temps seulement : ils rentrent ensuite paisiblement et impunément à la maison. Souvent, ceux qui ont besoin d’eux pensent qu’ils sont en déplacement ou en congé. Le comble, c’est que responsable du service ne peut pas les sanctionner dans la mesure où lui-même les imite. En plus, beaucoup sont ceux qui ne reviennent plus au service après la pause de 12 h30 : chez eux, la ponctualité et l’assiduité au travail n’est pas de mise. Pire, ces travailleurs ne sont pas du tout accueillants : ils font comme s’ils ne sont pas là pour le peuple. C’est pourquoi beaucoup d’entre eux préfèrent les services publics aux services privés où il y a trop de rigueur : là, il n’y a pas de sentiment, et ceux qui ne respectent les règles du travail sont inévitablement remerciés. Par ailleurs, par incivisme, des travailleurs font sciemment traîner les dossiers des citoyens au niveau de la signature jusqu’à ce que l’on leur donne des pots de vin !
Au niveau du commerce
L’incivisme fait que des commerçants augmentent les prix des produits, surtout de premières nécessités, quand et comme ils veulent sans que des sanctions soient prises contre eux par l’Etat. Souvent, ce sont des produits subventionnés par l’Etat lui-même ; mais la cherté de la vie ne lui dit rien puisqu’il ne réagit pas. Et c’est toujours cet incivisme qui amène certains de nos commerçants à faire sortir nos céréales vers d’autres destinations jugées financièrement plus porteuses que chez nous.
Quant à l’octroi des marchés de l’Etat, rares sont les méritants qui parviennent à être retenus : c’est un véritable réseau. Ces marchés sont octroyés par affinités et pour d’autres raisons qui ne peuvent être que d’ordre purement économique : ceux qui les attribuent ont leur part de pourcentage dans ces marchés. C’est ainsi que les délais de constructions ne sont jamais respectés, alors que nos autorités restent inertes face à cette situation et pour cause : elles en sont complices et les entrepreneurs font ce qu’ils veulent.
Au niveau de la justice
Il est impossible d’y parler de civisme dans la mesure où des personnes sont injustement incarcérées, dépossédées de leurs biens, licenciées de leur travail à cause des décisions de nos juges qui sont pourtant mieux placés pour savoir si un acte est civique ou non. De nos jours, il n’est pas surprenant de croiser dans les rues ceux qui méritent réellement la prison et au même moment voir des innocents qui crèvent en taule. Le non respect de la déontologie du métier de juge constitue un incivisme inqualifiable.
Sur le plan de l’adoption des lois
Au niveau de l’Assemblée nationale, les députés pensent rarement à ceux qui les ont choisis : une fois élus, ils disent adieu à leurs électeurs. A cause de leur incivisme, quand arrive le moment de l’adoption des lois, au lieu de venir consulter leurs bases, ils agissent en fonction de leurs propres intérêts. C’est ainsi que ces lois adoptées sont perpétuellement remises en question par le peuple qui ne s’y reconnaît réellement pas. C’est ce même comportement incivique qui amène certains élus à dormir lors des sessions du parlement, alors qu’ils sont convoqués pour donner leurs points de vue sur une éventuelle adoption d’une loi. Souvent, ils s’absentent à ces rencontres sans aucun motif valable. D’autres passent même tout leur mandat sans se prononcer sur une question de la Nation soumise à leur appréciation : à vrai dire, ils ne savent pas le rôle qu’ils doivent jouer à l’hémicycle. Pire, ils ignorent même ce que c’est qu’être député. Pour eux, c’est comme si faire la restitution à leurs militants après une rencontre parlementaire constitue « un crime » : c’est qu’ils n’ont plus besoin des électeurs puisqu’ils sont déjà élus et pourraient éventuellement les gagner encore à leur cause grâce à la puissance de l’argent. Tout cela constitue des actes d’incivisme.
Sur le plan de la sécurité
L’incivisme est tout aussi présent. Non seulement la police ne fait pas correctement son travail d’éducation et de protection de la population en général et des usagers de la route en particulier, mais elle leur soutire de l’argent sans leur donner de reçu en cas de fautes ou infractions qui ne le sont généralement pas. Par exemple à Sébougou (Ségou), les câbles de la SOTELMA sont constamment volés ; mais jusqu’à présent, la police n’a pas pu mettre la main sur les coupables. N’est-ce pas un cas d’incivisme dans la mesure où elle a failli à son devoir d’appréhension des vagabonds ? Le respect des droits des auteurs est également bafoué au Mali que les artistes n’ont même plus envie de produire des œuvres à cause de la piraterie qui profite impunément à d’autres personnes. Ceux qui excellent dans le domaine sont connus, mais l’on ne les arrête pas ; ce qui constitue aussi un acte d’incivisme.
Une pratique devenue « normale »
Lorsque que l’Etat ne dit pas la vérité à son peuple, on ne parle plus d’incivisme, mais plutôt de crime de lèse populations, car c’en est un dans la mesure où, concernant la satisfaction des doléances des travailleurs, l’Etat prend incessamment des engagements qu’il n’honore jamais, sinon difficilement ou tardivement. Le plus souvent, il faut que les travailleurs se révoltent ou partent en grève pendant des jours pour que l’Etat s’y mette enfin. Les déplacements du Président de la République pour poser la première pierre d’une construction ou inaugurer un forage sont peut-être nécessaires. Mais ce qui l’est moins et constitue un acte incivique, c’est qu’il soit inutilement accompagné d’une très forte délégation, surtout quand que les frais de carburant et de mission de ces « accompagnateurs » et de leurs chauffeurs peuvent économiquement être utiles ailleurs, puisque le Mali est un pays pauvre. Ce fut le cas lors de la réfection des salles de théâtre de Ségou et de l’inauguration de l’électrification de Markala, Pélengana et Sébougou où presque tout Koulouba était à Ségou !
Au Mali, l’incivisme est tellement devenu une pratique courante qu’elle est rarement sanctionnée que la majorité des Maliens qui ignorent le sens même du civisme et les principes de la démocratie sans lesquels celle-ci est inéluctablement vouée à l’échec. Mais la faute incombe à l’Etat qui, face aux cas d’incivisme ne prend pas ses responsabilités pour des raisons généralement personnelles : histoire de garder son poste le plus longtemps possible (puisqu’au mali, il y a des « intouchables »), de se rendre populaires (parlant des politiciens) en vue de mieux préparer les futures échéances électorales.
Ce qui est certain, c’est que la population malienne ne pourra jamais incarner les vertus de la démocratie tant que certains de nos dirigeants les foulent au pied en excellant impunément dans l’incivisme le plus ostentatoire. Tant que des mesures de sensibilisation (large diffusion des ouvrages, organisation d’émissions radiophoniques ou télévisées sur les droits et devoirs de tous les citoyens avec explication du sens du pouvoir démocratique) et des sanctions draconiennes ne sont pas prises contre ceux qui commettent des actes d’incivisme, non seulement l’avenir de notre démocratie sera compromis, mais notre démocratie se transformera indubitablement en anarchie : ce qui constitue le pire des pouvoirs qu’aucun pays qui veut se développer ne souhaite. Certes, la démocratie prône la liberté de tous les citoyens ; mais elle doit aussi mettre des garde-fous pour circonscrire efficacement cette liberté pour s l’intérêt de chaque citoyen.
Sidi Dembélé, Correspondant à Ségou
Le Patriote 11/05/2011