Limogeage du ministre de la santé:Ce qu’on lui reproche

Votre journal, à l’origine de la toute première révélations sur les interpellations se fait aujourd’hui un devoir de rappeler les péripéties de l’affaire.

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5.500 pièces à conviction, toutes accablantes ; une dizaine de personnes arrêtées à ce jour et qui menacent de parler si jamais…. L’histoire ne fait pourtant que commencer.

L’affaire, rappelons-le, porte sur le détournement de plusieurs centaines de millions de nos francs issus des ressources allouées par le Fonds mondial à notre pays. L’un des principaux protagonistes de l’affaire n’est autre que le sieur Mohamed Berthé, Adjoint de la coordinatrice du programme National de lutte contre la tuberculose (PNLT). Que s’est-il réellement passé ?

Marché fictif, surfacturation…

Tout est parti de la découverte du pot-aux-roses relatifs à un marché de gré à gré entre le PNLT et un fournisseur de la place répondant au nom de Mamadou Ousmane Bâh. Le marché portait sur la livraison de matériels de laboratoire pour un montant de 230 millions F CFA.

Afin de légitimer la transaction, ses auteurs ont adressé une correspondance à la direction générale des marchés publics expliquant l’urgence de la livraison et surtout, les très bonnes relations de travail existant entre eux et leur traditionnel fournisseur, à savoir, le sieur Mamadou Ousmane Bah , un jeune opérateur de 25 ans.

Les justifications ainsi portées ont tôt fait de convaincre les responsables de la Direction Générale des marchés publics. Après tout, il s’agissait d’une question de santé, donc d’une urgence et en croire la correspondance, le fournisseur a déjà fait preuve d’efficience lors des précédentes transactions aussi bien en termes de qualité, de prix que diligence. Feu vert alors !

Mais suite à la plainte introduite par le ministre de la Santé, sur instruction du président de la République en personne et consécutive à la vive protestation du Fonds mondial, le juge d’instruction, M Samba Sarr découvrira quelques anomalies et non des moindres. Il existe beaucoup, beaucoup trop d’écarts entre les montants de la facture et les prix réels sur le marché. Un frigo de 250.000 F CFA était par exemple acquis à 650.000 F CFA ; un autre matériel accessible sur le marché en France au prix de 6 millions F CFA aurait été payé à 20 millions… Excessif ! La surfacturation sautait aux yeux. Et puisqu’on y est, s’interrogea le magistrat, et si le marché lui-même s’avérait lui-même fictif ? Il n’y a rien de mieux qu’un contrôle physique pour s’en convaincre.

Pauvre magasinier !

Le juge instructeur, M Samba Sarr est du genre teigneux. Il demanda donc   à Mohamed Berthé, l’adjoint de Mme du Dr. Halima Naco, la Coordinatrice du Programme National de Lutte contre la Tuberculose (tous deux détenus en prison), de voir les matériels litigieux afin de se convaincre de leur existence. Les fournitures, dira son interlocuteur, se trouvent encore dans les magasins de l’INRSP. Quoi donc ? Ne devraient-ils plutôt se trouver dans le labo étant donné que leur acquisition avait été jugée urgente selon la correspondante adressée à la direction générale des marchés publics ? Qu’à cela ne tienne, un coup d’?il au magasin en question ne ferait du mal à personne. Mais puisqu’il faisait déjà tard, la visite fut donc remise au lendemain à l’INRSP. A l’INRSP, les enquêteurs ne trouvèrent pas grand-chose. Berthé révéla plus tard que c’est au niveau du service d’hygiène. Qu’importe !

Des matériels étaient bien là. Le magasinier aussi. Mais quels matériels ? Pour la plupart, ils avaient peu de chose en commun avec ceux indiqués sur les factures d’achat et les bordereaux de réception. Pis, certains étaient usagés.

La colère du juge d’instruction se justifiait dès lors. Il venait d’être tourné en bourrique ou presque. Furieux, il se tourna vers le magasinier lequel évalua très vite les risques pour lui d’être le dindon d’une grosse, très grosse farce. Il craqua.

– Ecoutez, monsieur le juge, dira-t-il, c’est bien mon magasin. Mais ces matériels ont été transportés ici nuitamment. Ils sont ici seulement depuis quelques temps. J’ignore leur provenance et les raisons de leur présence ici. Je suis un simple magasinier et…

Qui donc les a transportés là et à quelle fin ? Notre magasinier ne se fit pas prier :

C’est le sieur Mohamed Berthé qui les a transportés ici peu avant son arrestation, répondit-il.

Sans commentaire !

En quoi le ministre Touré est donc concerné ?

A l’évidence, les différents marchés étaient, à l’image de celui relatif à la fourniture de matériels de labo, fictifs et, dans le meilleur des cas, les montants y étaient surfacturés. Il se trouve que c’est le ministre de la santé en personne qui a autorisé et dûment signé le contrat d’achat. Et c’est encore avec son accord qu’une correspondance a été adressée à la direction générale des marchés publics afin de diligenter l’acquisition des matériels en question avec un fournisseur bien indiqué. A-t-il été abusé par ses cadres et agents ? Possible ! Mais, qui mieux que lui-même pour infirmer ou confirmer les allégations ? De forts soupçons de favoritisme pèsent sur lui. C’est la raison pour laquelle son interpellation par le juge d’instruction Samba Sarr s’impose. Ce dernier va-t-il franchir le Rubicon ?

Mais évidemment, un Ministre de la République n’est pas n’importe qui. Il existe une procédure ne serait-ce que pour l’écouter. En la matière, il revient au ministre de la justice, garde des sceaux, d’introduire une demande à la suite d’une requête motivée du juge d’instruction auprès du Conseil des ministres, seul habileté à autoriser son interpellation. Mais on n’en n’est pas encore là.

A ce niveau, l’on peut s’attendre très logiquement à un accord de principe du gouvernement. Le président de la République en personne n’a-t-il récemment fait cas de sa grande déception dans la même affaire et à propos des cadres dont la responsabilité a été établie lors de l’interview qu’il a accordée à nos confrères de RFI, TV 5, Monde ? Aussi, il importe de donner, non seulement, l’occasion au ministre de la Santé de se blanchir, mais aussi et surtout, l’Etat malien dont la crédibilité en a déjà pris un sacré coup.   Il faudra signaler en tout état de cause et contrairement a ce qui a été écrit, que le Fonds mondial dont les enquêteurs sont en ce moment présent au Mali, n’ont produit le moindre rapport, du moins pour l’instant.

L’enquête, quant à elle, progresse d’une manière vertigineuse. Chaque jour avec son lot de découvertes. Les enquêteurs ont pu mettre la main sur 26 tampons qui permettaient à nos vampires de faire des fausses factures et des décaissements. Le préjudice frôle le milliard !

C’est Florentin qui disait que le génie de la politique se trouve dans la rencontre entre la fortune et la vertu.

Adama Dramé

 

Le Sphinxs 28/12/2010