L’IMAM MAHMOUD DICKO   Retourner au minbar d’Imam sans perdre son influence politique

Né vers 1954 à Tonka (Tombouctou), l’imam Mahmoud Dicko est un leader religieux d’obédience salafiste originaire de la région de Tombouctou. Avant de grossir les rangs des opposants au président Ibrahim Boubacar Kéita, il a présidé le Haut conseil islamique du Mali (HCIM) de janvier 2008 à avril 2019.

 

Leader politico-religieux, considéré en 2020 comme l’une des personnalités les plus influentes du pays, il s’est toujours proposé à être médiateur entre le gouvernement malien et des groupes jihadistes dans le nord du pays. Après avoir soutenu le président Ibrahim Boubacar Kéita lors des élections de 2013, il est passé dans l’opposition en 2017.

En effet, après avoir «transformé les mosquées en QG de campagne» pour le faire élire, Mahmoud Dicko est passé dans l’opposition pour d’abord redresser sa gouvernance avant d’exiger sa démission. A son premier appel d’opposant, 30 000 à 50 000 (500 000 selon des organisateurs) personnes ont manifesté contre le président Kéita et son gouvernement le 5 avril 2019 à Bamako. Dans la foulée, il obtient la tête du charismatique et influent Premier ministre : Soumeylou Boubèye Maïga devenu la bête noire de l’opposition pour avoir été le principal artisan de la réélection d’Ibrahim Boubacar Kéita.

Si l’insécurité grandissante dans le pays, notamment dans le centre, a servi de prétexte à cette marée humaine, il fallait être dupe pour ne pas comprendre que l’Imam voulait faire d’une pierre deux coups : se débarrasser aussi du puissant Soumeylou Boubèye Maïga dont la démission a d’ailleurs été réclamé par des manifestants !

Nommé Premier ministre en avril 2017, Abdoulaye Idrissa Maïga (AIM) a sollicité en mai le président du HCIM pour prendre la tête d’une «Mission de bons offices» pour accélérer l’application de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale et «apporter une réponse crédible et durable à la situation à Kidal et dans le centre du pays». En janvier 2018, Soumeylou Boubèye Maïga lui succède à la Primature et met fin à cette mission. «Environ 300 millions de F CFA ont été dépensés par Dicko. Pour quels résultats ? Aucun», a déploré un proche de SBM pour justifier sa décision.

Selon de nombreux observateurs, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et la rupture entre le leader religieux et le président de la République qui n’avait pourtant hésité à sacrifier Soumeylou pour rester dans les bonnes grâces de Mahmoud Dicko et de son parrain : le Chérif Mohamed Haïdara dit Bouyé de Nioro du Sahel. Lors de la campagne pour la présidentielle de 2018, l’Imam refuse de donner une consigne de vote à ses fidèles. Ce n’est qu’un secret de polichinelle qu’il a tout fait pour convaincre IBK de ne pas briguer un second mandat et n’a rien ménagé pour qu’il ne soit pas réélu.

Le 7 septembre 2019, ses partisans ont lancé la Coordination des Mouvements, Associations et Supporteurs (CMAS) qui a été la pièce maîtresse des records de mobilisation atteints par le Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP). Il convoque, en 2019 et 2020, plusieurs manifestations importantes contre le président Kéita.

Au fil des années, auréolé du prestige de guide spirituel, Dicko s’est forgé une image de gardien des bonnes mœurs en appelant régulièrement à défendre les «valeurs sociétales et religieuses» du Mali et en pourfendant «la mauvaise gouvernance». C’est ainsi qu’il a acquis une capacité de mobilisation indéniable que lui envient bien des hommes politiques qui trouveront en lui un bouclier confortable et une glaive efficace contre Ibrahim Boubacar Kéita qui leur a coupé les vivres.

C’est ainsi que, en juin 2020, sa CMAS s’unit à une large plateforme d’opposition, le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP). «Beaucoup d’opposants qui n’auraient eu aucune chance d’accéder au pouvoir ont décidé de s’appuyer sur l’imam et ses milliers de fidèles, lui conférant un grand pouvoir politique», a alors analysé Aly Tounkara, un chroniqueur politique.

N’empêche que, contrairement à ses alliés politiques, l’Imam n’était pas prêt à brûler le pays pour s’offrir la tête d’IBK.  C’est ainsi que, le vendredi 19 juin 2020, il a évité au pays ce qui aurait pu être l’une des pires tragédies de son histoire politique quand les leaders du M5-RFP ont demandé à une marée humaine de les suivre à Koulouba pour remettre au président Kéita leur demande de démission. Conscient des conséquences de cette démarche périlleuse, l’Imam Dicko a préféré que ce soit juste une délégation qui soit mandatée. Et quand celle-ci est revenue à la Place de l’Indépendance pour déclarer qu’elle a été empêchée d’accéder à Koulouba, il a courageusement demandé à cette foule déterminée en découdre avec le régime de rentrer tranquillement à la maison et attendre le nouveau mot d’ordre. Une sagesse, une clairvoyance et surtout un leadership qui a été apprécié et salué par ses pires détracteurs.

Aujourd’hui qu’il a réussi à avoir la tête de son ex-ami et allié, IBK, Mahmoud Dicko désire naturellement retrouver son Minbar (chaire) d’Imam et se positionner au-dessus de la mêlée. C’est de bonne guère parce que la nation aura toujours besoin de lui comme régulateur, comme référence morale pour prévenir de nouvelles crises sociopolitiques !

Naby