L’Essor : vous revenez d’un périple qui vous a conduit successivement dans les Régions de Tombouctou, Taoudenit, Gao et Ménaka ainsi que dans les Communes de Taoussa et Tessalit, à la tête d’une forte délégation composée de représentants du Conseil national de Transition (CNT), des membres de votre cabinet et de représentants du ministère de la Réconciliation nationale. Quels étaient les objectifs de cette mission ?
Lieutenant-colonel Abdoulaye Maïga : Merci infiniment pour cet entretien. Il s’agissait de soulager les souffrances de nos populations à travers le retour de l’administration et des services sociaux de base comme l’indique suffisamment la vision anthropocentrique de son Excellence le colonel Assimi Goïta, chef de l’état, président de la Transition.
Une vision qui permet de mettre le bien-être du Malien au cœur de ses actions. évidemment, cette vision est matérialisée par le chef du gouvernement, son Excellence Dr Choguel Kokalla Maïga. C’était notre principale mission, bien entendu. Quand vous regardez la composition de la mission, cela vous donne assez d’éléments et d’indication sur le but recherché.
Vous savez, le retour de l’administration et des services sociaux de base suppose d’abord et prioritairement la paix, la cohésion et l’entente. Ce qui justifie la présence du ministère de la Réconciliation nationale qui est chargé de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger.
Un autre fait rare pour être souligné, c’est la présence du CNT qui était représenté par le président de la Commission administration territoriale, décentralisation, affaires religieuses et cultes, Dr Youssouf Z Coulibaly. Cette composition était nécessaire dans la mesure où il faut une symbiose entre l’exécutif (le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation et le ministère de la Réconciliation) et bien entendu le CNT, qui est chargé d’adopter les lois qui seront exécutées par le gouvernement. Donc, c’est toujours important que l’exécutif et le législatif aient une perception commune par rapport à ces préoccupations.
L’Essor : Alors, qu’avez-vous constaté de visu ? Y a-t-il eu une amorce de retour de l’état et des services sociaux de base ?
Lieutenant-colonel Abdoulaye Maïga : Ce qu’on a constaté de visu, c’est d’abord la nécessité d’agir très rapidement. Mais, nous nous retrouvons au même moment au cœur d’actions antagoniques. Quand vous regardez l’objectif du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation à travers le retour de l’administration et des services sociaux de base.
Mais sur le terrain, nous nous rendons compte que ce retour n’est possible qu’à un certain nombre de conditions. La condition sine qua non, c’est l’amélioration de la situation sécuritaire. Fort heureusement, quand on regarde le Plan d’action gouvernemental (PAG), l’objectif consistant à obtenir le retour de l’Administration figure justement à son axe premier, c’est-à-dire le renforcement de la sécurité sur l’ensemble du territoire national.
Les réalités ne sont pas les mêmes. Vous savez, quand on parle des régions du Nord, il y a une facilité à englober les réalités. Mais sur le terrain, nous nous rendons compte que souvent dans une même région, les réalités diffèrent selon les cercles, souvent selon les communes. Donc, il y a une double nécessité de considérer le PAG comme un ensemble.
Quand bien même, notre priorité demeure le retour de l’administration et des services sociaux de base, mais nous ne pouvons le faire sans l’appui d’abord des autres ministères sous la supervision du chef du gouvernement. L’autre réalité, c’est d’aller vite. Il y a une amorce de retour de l’état, notamment à Kidal. Nous avons eu l’occasion de demander au gouverneur qui est seul avec son cabinet d’enclencher très rapidement dans un délai de 15 jours le retour du personnel d’appui en attendant d’engager des discussions très poussées avec les autres ministères pour le retour des services techniques et des autres services déconcentrés.
L’Essor : Certains représentants de l’état nommés dans ces régions refusent de regagner leurs postes et invoquent à tort ou raison la persistance de l’insécurité. Qu’en pensez-vous et quelles sont les actions fortes et concrètes que vous envisagez en faveur du retour des services techniques, du personnel et des infrastructures dans l’immédiat ?
Lieutenant-colonel Abdoulaye Maïga : Je voudrais saisir cette opportunité pour lancer un appel aux agents qui sont dans cette situation. La situation sécuritaire pour ce qu’elle est au Mali, nous sommes condamnés à être résilients. La nature ayant horreur du vide, cette situation forcément arrange les groupes terroristes et tous les groupes négatifs qui veulent nous faire du mal. Mais, à partir du moment où les populations sont sur le terrain et où les chefs de l’exécutif également sont sur le terrain, rien ne justifie ce refus.
Donc, il est très important à un moment donné que les uns et les autres prennent toutes leurs responsabilités dans la mesure où l’état a fourni beaucoup d’efforts. Les personnels affectés dans ces régions bénéficient d’un certain nombre d’avantages notamment les primes de risque. On ne peut pas bénéficier des primes de risque et ensuite refuser de partir. Donc, je vais rendre compte aux plus hautes autorités très rapidement et faire des propositions très concrètes pour que ce retour des représentants de l’état soit effectif. Nous sommes au service des populations. à partir du moment où les populations sont sur le terrain et font face à ce risque, rien ne justifie cette attitude de certains fonctionnaires.
L’Essor : Votre délégation a rencontré les différentes communautés, les forces vives de la nation, les forces de défense et de sécurité de notre pays et leurs partenaires. Quels enseignements avez-vous tirés de ces rencontres ? En ce qui concerne les communautés, quelle est l’image qui a retenu le plus votre attention ?
Lieutenant-colonel Abdoulaye Maïga : Pour les communautés, il y a deux images très saisissantes, malheureusement, antagoniques qui sont restées gravées dans mon esprit. La première image, c’est le désir de paix. L’euphorie suscitée par notre présence et l’accueil chaleureux des populations prouvent à suffisance la fatigue des différentes communautés, surtout ce désir de paix qui est une opportunité. Une opportunité à saisir très rapidement en vue de sortir de la situation délétère dans laquelle ces populations se trouvent. L’autre image antagonique, vous savez, on était dans une localité que je ne mentionnerai pas, nous avons vu des enfants en train de jouer à 9 heures dehors.
En principe, c’est une heure où les enfants devraient se retrouver à l’école. En tant que parent, cela nous interpelle. Surtout, cela nous oblige, nous pousse à aller très rapidement d’autant plus que cela pose la question de l’avenir. Si nous n’arrivons pas à rendre effectif très rapidement ce retour de l’administration et des services sociaux de base, la question qu’on se pose est : quel sera l’avenir de ces enfants dans 10, 15 ou 20 ans.
Je pense que la prévention des conflits nécessite également des actions structurelles. Parmi ces actions structurelles, bien entendu, il y a l’éducation. Il est très important d’occuper ces enfants, surtout de les occuper positivement. Je pense que l’école joue un très grand rôle dans la prévention structurelle des conflits. Concernant les autres forces vives de la nation, les autres acteurs comme nos Forces de défense et de sécurité, nous avons trouvé un personnel qui est très engagé malgré les difficultés, les pertes en vies humaines de part et d’autre que ce soit parmi les populations civiles ou au sein même des Forces de défense et de sécurité.
Nous avons trouvé des personnes très engagées à aller de l’avant et surtout à faire fi du passé et à regarder vers l’avenir. Je pense que c’est tout le sens justement de la mise en œuvre et l’intérêt lié à l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger. Nous devons inventer notre futur. On peut le faire, comme je l’ai dit, il y a ce désir de paix qui est une opportunité. Faisons les choses différemment, faisons-le pour nous-mêmes et bien entendu pour les générations futures. Mêmes nos partenaires internationaux sont également très engagés à accompagner le Mali pour le retour de la paix et l’amélioration de la situation sécuritaire.
L’Essor : Quel est votre dernier mot ?
Lieutenant-colonel Abdoulaye Maïga : Je saisis l’opportunité, comme je l’ai fait dans toutes les localités, de rendre un vibrant hommage à toutes les victimes civiles et militaires de l’insécurité. Je pense qu’il est très important, comme je l’ai dit, pour notre avenir, pour l’avenir du Mali, d’aller très rapidement, d’aller de l’avant et de croire au gouvernement. En tout cas, c’est le message que j’ai tenu à faire passer. Le PAG est un document suffisamment complet qui est une profession de foi du gouvernement et sa volonté ferme de faire les choses différemment et de le faire parfaitement pour l’intérêt des populations.
Propos recueillis par
Bembablin DOUMBIA