Ces anciens esclaves libres venus des Etats-Unis tenaient à se distinguer des autochtones qu’ils avaient trouvés sur place et qu’ils considéraient comme des « sauvages ». Aussi ne se mélangeaient-ils pas avec eux, s’habillaient en smoking queue-de-pie, chapeau haut de forme et gants blancs. Leurs femmes portaient des bottines, de larges robes froufroutantes avec fanfreluches brodées sur les bords et arboraient de petits parasols et des chapeaux à plumes…
Pendant plus de trois décennies, le pays a connu une certaine stabilité politique et économique grâce à l’implication de son premier Président, William Tubman.
Le début du chaos
Le 5 avril 1980, un jeune Caporal de 27 ans, de l’ethnie Kran, Samuel Kanon Doe (le plus jeune de toute l’histoire des Chefs d’Etat africains), s’empare du pouvoir, assassine le deuxième Président du pays, William Tolbert, et extermine toute sa famille. Dans cette cruauté de Samuel Doe, on dénote une haine muée en vengeance envers « ces étrangers venus d’ailleurs, qui se croient supérieurs aux vrais Libériens et veulent imposer leurs desiderata ». Ces « étrangers », ce sont les Tubman, les Tolbert…, bref, tous ces Libériens dont le nom est à consonance américaine et non locale.
Le jeune putschiste tenait donc à s’accaparer des potentialités du pays et à les partager avec les gens de son ethnie. Mais Samuel Doe subira à son tour un sort encore plus cruel. En effet, capturé dans un traquenard, il mourra dans des conditions atroces : dénudé, molesté et dépecé vivant, comme un rat d’égout ! Dès cet instant sonne le glas d’un début de rivalités sanglantes entre factions rebelles.
La guerre des ethnies
Au début, les ethnies Kran (celle de feu Samuel Doe) et Mandingue formaient le « Mouvement of United Liberians » (Mouvement des Libériens unis) qui finira par se scinder pour générer deux autres mouvements : celui des Krans et celui des Mandings. Autant dire (paradoxe libérien) que l’entente avait accouché d’une mésentente, surtout qu’on retrouve ces mêmes ethnies au sein des Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie (LURD).
La réconciliation n’était donc pas de sitôt, car la rivalité entre Charles Taylor et les éléments du LURD datait de longtemps : elle s’inscrit plutôt dans l’histoire même du Libéria, car elle était née de l’esprit de domination des « étrangers » hérité de leurs ancêtres venus d’Amérique. Aussi, une fois devenu Président, Charles Taylor gèrera le pays par la menace, l’intimidation et la terreur.
Depuis sa création en 1991, Taylor soutenait alors sans faille le « Revolutionary united front » (RUF ou Front Révolutionnaire uni). Il devint ainsi le complice du chef (recherché) de la junte, Johnny Paul Kuruma et de Sam Bukari. Pourtant, Taylor finira par assassiner Kuruma, sa mère, sa femme et ses enfants.
Le désaveu de Charles Taylor
En dépit des 18 partis autorisés, seuls le LURD et le MODEL (Mouvement pour la démocratie au Liberia) contrôlaient les 70% du territoire. Le MODEL était né en mars 1991, dans le Sud-est du pays. Face aux mésententes entre Taylor et ces partis, les Etats Unis décident d’intervenir.
Aussi, les Libériens s’interrogent : Charles Taylor comparaîtra-t-il devant le Tribunal spécial pour répondre des 17 cas de violation dont il est inculpé ? Les négociations auxquelles Taylor se déclare prêt avec les rebelles du LURD et du MODEL vont-elles aboutir ? Taylor aura-t-il le temps de voir la fin de son mandat (en janvier 2004) u de former un gouvernement d’union nationale, comme il en a manifesté l’intention ?
« Je ne veux pas être un problème pour le Liberia », déclare Taylor. Mais même s’il se retire du pouvoir, ou même si on l’élimine, rien ne prouve que le pays verra pour autant la fin de son calvaire. En attendant, le pays est dévasté à 85% ; et les 10% de fonctionnaires ne perçoivent plus leurs salaires.
Mais le Liberia a finalement « scellé la paix des braves » avec l’organisation d’élections démocratiques dont personne ne croit pourtant à la réussite, les Libériens encore moins. Ainsi, depuis l’arrestation de Taylor, le pays s’est acheminé vers la reconstruction et la réconciliation. Avec l’élection d’une Présidente de la République, beaucoup de réfugiés et d’exilés libériens sont rentrés au bercail. Mais au préalable, le pays aura vécu bien des tourments socio politiques.
Chronologie des évènements
Le 4 décembre 1989, le Front national patriotique du Liberia (FNPL) de Charles Taylor se soulève contre Samuel Doe. Le 8 septembre 1990, Doe est exécuté par la faction rebelle dirigée par Prince Johnson. Le 19 août 1995, la CEDEAO obtient la signature de la paix par les factions rivales. Ainsi est créé le Conseil d’Etat, un organisme de transition associant les chefs de factions, Charles Taylor, Alhaji Kromah et George Boley.
Mais le 6 avril 1996, les violences reprennent de plus belle, après la décision du Conseil d’Etat de faire arrêter le chef de guerre Roosevelt Johnson. Le 19 juillet 1997, Charles Taylor est élu Président de la République. En septembre 2000, l’armée libérienne lance une offensive dans le Nord contre les rebelles du LURD.
En mars 2001, l’ONU impose un embargo sur les armes, punissant ainsi Taylor pour avoir échangé des armes contre des diamants avec les rebelles du RUF, en Sierra Leone. En novembre 2001, une nouvelle offensive gouvernementale est encore lancée contre les rebelles du LURD. En janvier 2002, plus de 50 000 civils fuient les combats.
En avril 2003, un nouveau groupe rebelle, le MODEL, gagne du terrain dans le Sud-est du pays. Le 4 juin de la même année, Taylor est inculpé pour crimes de guerre par le Tribunal spécial de l’ONU, pour son rôle dans la guerre civile en Sierra Leone. Le 6 juin 2003, soldats et rebelles s’affrontent près de Monrovia. Les rebelles prennent le contrôle des camps de réfugiés.
Le 17 juin 2003, à l’occasion d’une trêve, Charles Taylor promet de quitter le pouvoir. Mais dès le 20 juin, il revient sur sa promesse et déclare…qu’il ne partira qu’à la fin de son mandat en janvier 2004. Alors, le 23 juin, le LURD se retire des pourparlers de paix. Le 4 juillet, Taylor promet encore de démissionner, mais seulement …après l’arrivée d’une force multinationale de maintien de la paix au Liberia. Deux jours plus tard, la CEDEAO demande que 2 000 soldats américains soient à la tête de cette force.
Mais Washington promet d’envoyer dans la région une délégation d’experts militaires pour étudier la question : elle arrive le 8 juillet, date à laquelle Taylor accepte l’asile politique offert par le Nigeria ; mais il ne dit toujours pas quand il partira. Le 9 juillet, le LURD lance une nouvelle offensive sur Monrovia. Le 21 juillet, une pluie d’obus tombe sur la capitale, touchant une zone où 10 000 civils avaient trouvé refuge : on dénombre au moins 25 morts.
Alors, des « Marines » (soldats américains) arrivent à la rescousse pour protéger l’ambassade américaine. Le 28 juillet 2003, les rebelles annoncent un cessez-le-feu ; mais les combats continuent de plus belle. Le 25 juillet, de nouveaux bombardements touchent l’ambassade américaine, des maisons et une école occupée par des réfugiés, faisant au moins 26 morts et des centaines de blessés. Le 29 juillet, le MODEL s’empare du port de Buchanan (Sud-est du pays) ; ce qui « étrangle » encore plus Monrovia.
Le 30 juillet, les Etats-Unis demandent au Conseil de sécurité de l’ONU d’autoriser le déploiement d’une force multinationale pour faire respecter la trêve au Liberia, à laquelle succèderait, au 1er octobre 2003, une force de maintien de la paix. Le 31 juillet, la CEDEAO annonce que les premiers soldats de sa force de maintien de la paix seront déployés le 4 août, et somme Taylor de quitter le pouvoir.
Le 1er août, le Conseil de sécurité de l’ONU vote la Résolution 1497 autorisant le déploiement, pour deux mois, d’une force multinationale chargée de faire respecter le cessez-le-feu et de maintenir la sécurité après le départ de Taylor. Le 2 août, Taylor promet de remettre le pouvoir le 11 août. Le 4 août enfin, les premiers éléments nigérians de la force multinationale entrent à Monrovia. Ce sera la fin des exactions rebelles et du règne de Charles Taylor, ainsi que le début d’une ère nouvelle au Liberia.
Par Oumar Diawara «Le Viator »
Le Coq 18/02/2011
