Quelle est la situation sécuritaire au Mali ?
Karim Kéita: Aujourd’hui, elle s’est beaucoup améliorée. Vous savez que nous avons bénéficié de l’intervention française, grâce à laquelle, nous sommes ici devant vous. Malgré le succès de l’opération Serval, on assiste à une résurgence des groupes armés. Résultat : l’Etat du Mali a encore fait appel à la France, à travers Barkhane, une opération qui va d’ailleurs au-delà du Mali. L’opération concerne toute la bande sahélo-saharienne. Il y a encore des opérations militaires en cours au nord du Mali. Cela dit, nous avons pu amorcer un processus de transition qui a débouché sur une élection. Donc, nous avons un Président élu, une Assemblée nationale élue dont moi-même je suis le produit, un processus de paix avec des négociations en cours en Algérie. Nous en sommes au 3e round, nous espérons qu’à la fin de ce round, nous allons avoir un accord avec les groupes armés. La difficulté, pour nous Etat malien, c’est le tri entre les différents groupes. Vous n’êtes pas sans savoir qu’au Mali, nous avons des groupes jihadistes, des narcotrafiquants et des groupes armés en face d’un Etat qui se sont rebellés. Que j’appelle les frères égarés. La difficulté pour nous c’est de savoir à qui on parle. Parce que tantôt on parle à un jihadiste, à un narcotrafiquant, tantôt à un groupe armé rebelle. On n’arrive pas à faire la différence entre ces groupes. Mais nous avons l’espoir.
On entend parler d’une campagne de sensibilisation à l’intention des populations pour avoir un accord plus légitime. Cette campagne se base sur quoi? Quels sont les points et les axes centraux des négociations en cours?
Karim Kéita: La question de légitimité ne se pose pas. Les Maliens ont élu un Président de la République qui a mis un gouvernement en place. C’est ce Gouvernement qui est en train de négocier à Alger. C’est par souci de démocratie qu’on veut faire partager le document.
Tout le monde était-il d’accord pour aller à ces négociations?
Karim Kéita: Non, tout le monde n’était pas d’accord, mais une grande majorité voulait qu’on aille à ces négociations. Mais nous avons pu trouver un consensus. Car, il y a plus de 100 personnes à Alger pour ces négociations. Je pense que nous avons pu trouver le juste milieu. Je pense que la forme ne compte pas trop. L’important c’est d’aboutir à un accord avec ces groupes armés pour que nous puissions travailler, aller au développement, le seul combat qui mérite d’être mené.
Est-ce un accord inter-Maliens ou l’accord concerne-t-il toute la zone sahélo-saharienne où se déploient ces trafics et tout le reste?
Karim Kéita: Les pays du champ sont déjà impliqués. Vous avez la CEDEAO, les Nations Unies, l’Union européenne qui sont les observateurs. Leur concours peut contribuer à la paix. Nous Etat malien, nous n’avons rien à cacher.
Un moment, on parlait de concurrence entre Ouagadougou et Alger par rapport à ces négociations. On disait que l’un était complémentaire de l’autre. Qu’en est-il en réalité?
Karim Kéita : Non, il n’y a pas eu de concurrence entre les deux processus. Alger est aujourd’hui la continuité de ce qui a été fait à Ouagadougou. Et Incha Allah, Alger sera la fin.
A quelle échéance vous espérez la signature d’un accord?
Dans un mois Incha Allah.
En parlant avec certains Maliens, on nous dit qu’il n’y a pas d’Etat malien à Kidal. Qu’est-ce vous répondez à cela?
Vous savez, il faut remonter jusqu’aux années 2005 et 2006, notamment les accords d’Alger où l’Etat a fait dégarnir les positions de l’armée au nord. Ce qui a permis à AQMI et aux trafiquants de s’installer et de sanctuariser cette zone. Après les évènements de la Libye, cela s’est accentué et on a occupé ces régions. L’intervention française a permis de les déloger. Nous sommes dans un processus de réglage, de réappropriation de notre territoire dont une partie est toujours occupée par ces groupes armés dont le point névralgique est Kidal aujourd’hui. C’est pour cela qu’à chaque fois que l’armée veut remonter, elle a souvent maille à partir avec les groupes armés. Kidal est devenu aujourd’hui le symbole de cette crise du nord. Mais Incha Allah, Kidal sera de retour bientôt.
A termes, l’Etat malien exercera-t-il sa souveraineté sur Kidal ?
Karim Kéita: Ah oui! Je ne vois pas autrement du tout.
Beaucoup de Maliens se posent la question: est-ce qu’on peut faire la paix au prix de l’injustice?
Karim Kéita: Nous avons mis en place un ministère de la réconciliation nationale qui est en train de voir tous ces aspects. Je ne pense pas qu’un crime va rester impuni. C’est un processus, pour l’instant, nous sommes en train de négocier. Dans la négociation, il peut arriver qu’on dise qu’un tel est impliqué dans le trafic, tel peut être un preneur d’otage, tel peut être un jihadiste. Pour l’instant, nous sommes en train d’arriver à un accord, le reste suivra son cours.
Quelle est la stratégie du Mali en termes de construction d’une paix et d’une sécurité durables au niveau de votre sous-région?
Karim Kéita : Le dialogue. Il faut communiquer avec toutes les parties et arriver à un consensus et surtout mettre l’accent sur le développement. Vous savez quand une population est désœuvrée, marginalisée, elle devient un terreau fertile pour l’islamisme intégriste. Donc, il faut avoir des réponses de développement socioéconomique pour ces populations.
Vous qui êtes le Président de la Commission défense, vous êtes au cœur de tout cela, quels sont les axes des organes de sécurité au Mali? Comment le Mali a-t-il entamé cela, si l’on sait que l’armée n’a pas pu défendre le territoire?
Karim Kéita : L’armée n’a pas pu défendre le territoire, parce qu’elle n’était pas face à une autre armée. Une armée fait face à une autre, ne serait-ce qu’identifiable par un uniforme. Là, on est sur un champ de bataille défini. Mais quand vous êtes face à un groupe armé comme cela, avec en son sein des jihadistes, mais l’ennemi vient de partout. Vous n’avez aucun lieu déterminé et vous faites face à tout moment. Deuxièmement, l’armée était un peu désintégrée ces 10 dernières années. Pourquoi? Mois je dis qu’il faut revoir l’avènement de la démocratie au Mali. Nous avons eu un régime militaire pendant 23 ans et la transition démocratique a fait que l’armée fut un moment le mauvais garçon de la classe. Et nous n’avons pu pas profiter de cette transition pour faire de notre armée une institution républicaine au service de la nation. Aujourd’hui malheureusement, nous en payons le prix fort. Au-delà de l’armée, il faut aussi penser aux services de sécurité. Les services de sécurité conventionnels ne sont assez outillés pour faire face à ce fléau qu’est le terrorisme. Il ne suffit pas d’arrêter quelqu’un pour le mettre en prison. Il faut pouvoir analyser, mener une enquête approfondie et découvrir quels sont ses réseaux. Donc là, il y a des gros efforts à faire. Nous sommes en train de le faire. Il y a une mission de l’Union européenne, l’EUTM, qui est en train de former l’armée malienne. Et il y a une restructuration de l’architecture sécuritaire, au niveau de la police et de la gendarmerie, en cours.
Avant même la crise, on parlait de mutualisation des efforts au niveau des pays du champ, notamment un Etat-major intégré. Aujourd’hui, quelle leçon tirer de cet échec?
Karim Kéita: Cela n’a pas marché parce que, à l’époque, chez nous il y avait un manque de crédibilité. Cela est en train d’être résorbé. Nous sommes en train de revoir tout ça. Actuellement au Mali, des efforts appréciables sont en train d’être d’être déployés en direction des forces de sécurité, notamment l’armée. Car, c’est elle qui reste la colonne vertébrale de l’Etat. Rien ne peut se faire sans l’armée. Mais vous savez, quand vous avez une forte pression au niveau national et quand vous avez une crise au nord, ce n’est pas facile de tout faire en même temps. Nous sommes à la tâche et Incha Allah nous y arriverons.
Estimez-vous que, aujourd’hui, Alger joue le jeu pour bloquer la prolifération de ce terrorisme?
Karim Kéita: Je dois vous dire que l’Algérie a toujours joué le jeu. Vous savez qu’elle est un partenaire stratégique du Mali, en tout cas, en ce qui concerne le volet sécuritaire. L’Algérie nous a même prévenus. Mais vous savez, ces 5 dernières années, il y a eu une faillite de l’Etat au Mali. Aujourd’hui, nous en payons le prix cher et l’Algérie accompagne le Mali dans la résolution de cette crise. Parce que n’oubliez que l’Algérie est aussi menacée. Nous avons 1 300 kilomètres de frontière avec l’Algérie. Donc, elle sait que ce virus, qui prend naissance au Mali, peut l’atteindre. Je ne vois pas pourquoi, elle ferait un autre jeu. Au contraire, elle a tout à gagner en jouant franc jeu. C’est de commun accord avec l’Etat algérien que nous jouons ensemble.
A l’époque, la Mauritanie avait dit que le maillon faible de cette coalition des pays était le Mali. Il ne l’est plus aujourd’hui?
Karim Kéita: Pas du tout.
Qu’est-ce qui nous garantit qu’il ne l’est plus?
Karim Kéita: Au regard des évènements qui ont sied au Mali depuis un an. C’est un Etat en reconstruction. On ne peut demander à un Etat en phase de reconstruction de faire si et ça. Les chantiers sont énormes. Aujourd’hui, nous avons défini nos priorités qui sont l’armée, la sécurité et ce processus engagé avec les groupes armés.
Nos armées sont-elles équipées pour faire face aux menaces terroristes et aux trafics de drogues ? Comment analysez-vous ces nouvelles menaces et comment vous y préparez-vous?
Karim Kéita: Les Etats-Unis ont la bombe atomique. Etaient-ils préparés au 11 septembre? La drogue dont vous parlez était en Afrique depuis bien longtemps qui vient de l’Amérique latine et qui arrive par les côtes africaines. Nous, justement en dégarnissant, à partir de 2005 et 2006, nos positions dans le nord, nous avons laissé une région, qui fini par devenir un no man’s land où se mêlent narcotrafic et prise d’otages visant les paiements de rançons. Et nous avons ces velléités sécessionnistes en même temps. Le plus dur pour nous, c’est trier, savoir qui est qui. Pour faire face à cela, il faut des forces outillées et formées. Il faut avoir le reflexe. Récemment, la Commission défense de l’Assemblée nationale a visité les services de la police et de la gendarmerie, même un lecteur d’empreinte est souvent dur à trouver à leur niveau. Comment voulez-vous qu’un service de sécurité, qui n’a pas un lecteur d’empreinte, qui n’a pas une connexion avec les services de sécurité des pays frontaliers pour pouvoir, au moins, confronter les renseignements par rapport à un individu, soit efficace. Tout à l’heure, je disais lors du panel, que c’est grâce à une équipe d’Interpol qui est venue assister les services de sécurité du Mali que nous avons su que, dans notre prison, il y avait un individu, arrêté par les forces françaises et remis à la gendarmerie malienne. De lui on pensait qu’il était un berger. En tout cas, sur la fiche, il était enregistré sur le registre comme un berger. Quand on a inscrit son empreinte sur le système Interpol, I24, il y avait une notice qui était sortie de l’Algérie pour rechercher ce type, qui, en fait, était le guide qui avait conduit les terroristes sur le complexe gazeux d’In Amenas. Vous vous rendez compte. Je pense que c’est là que l’accent doit mis, c’est-à-dire sur la coopération entre les forces de police et de gendarmerie pour bien remplir leur mission d’investigation. Et qui doivent venir en soutien aux forces armées. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs.
Au cours de ce panel, s’agissant des interventions de l’Occident, l’exemple de la France au Mali a été mis en avant. Pensez-vous, aussi, qu’il y a un nouveau retour des armées occidentales, notamment française, en Afrique?
Karim Kéita: Je suis un Malien, sans l’armée française, je ne serais pas ici devant vous. Je ne peux dire pas parler d’interventionnisme. Cette intervention a été demandée alors qu’il n’y avait pas d’accord préalable entre les deux pays. Heureusement qu’il y a eu l’intervention française, sinon c’en était fini du Mali. Elle est venue sauver le Mali. Aujourd’hui, il nous appartient à nous Africains de définir nos modes de coopération avec l’armée française ou avec la France.
Certains disent qu’il y aurait un jeu stratégique fait par les grandes puissances pour occuper certaines zones d’Afrique à haute valeur stratégique. Qu’en pensez-vous?
Karim Kéita: S’il y a un jeu, c’est à nous de le savoir et de le comprendre. C’est à nous de nous préparer en conséquence, sinon on va encore subir. Dans le vocabulaire africain, on n’entend pas le mot stratégie. Il nous faut faire des études stratégiques pour anticiper. C’est vrai que les zones de conflit où on parle de terrorisme et autres sont des zones extrêmement riches. La bande sahélo-saharienne regorge, on le sait, de ressources énergétiques et minières et la Sahara regorge d’eaux, beaucoup d’eaux de sources. Et comment nous allons-nous nous entendre avec les grandes puissances qui veulent s’en accaparer? Bien sûr que ce sont des enjeux. Vous savez qu’il n’était pas facile pour l’Allemagne et la France de se serrer la main après la 2e guerre mondiale. Ils ont mis en place la CCA. Et bien, on ne se cogne plus à cause de l’acier et le charbon. Il est là, on le met en commun. Il faudra ces genres d’analyses et de partenariats féconds pour l’avenir.
Transcrit pour vous par Youssouf Diallo
Source: Le 22 Septembre 2014-12-01 02:51:16