Son Excellence Ibrahim Boubacar Keita
Monsieur le Président et cher frère,
L’heure du bilan a sonné puisque votre premier mandat touche à sa fin. Tout comme vous
rendez des comptes aux Maliens, je dois également des explications aux nombreux
concitoyens de l'intérieur et de la diaspora qui m'ont soutenue et accompagnée pendant
plus de 17 ans et particulièrement pendant la dernière campagne en 2012. Nous avons tous
cru en votre leadership lorsque notre pays traversait la plus profonde crise de son histoire
moderne. J'ai particulièrement cru en vous alors que vous-même doutiez que les Maliens
pourraient vous accorder leurs suffrages.
Monsieur le Président et cher frère, je conviendrai naturellement avec vous que gouverner
n'est pas facile surtout lorsqu'il s'agit d'un pays en crise. Loin d'exiger de vous des efforts
surhumains, nous avions tout de même espéré une volonté manifeste -si minime soit-elle-
de sortir ce pays de l'ornière. Force nous est de reconnaître que le bilan aujourd'hui -même
s'il n'est pas catastrophique- est très en deçà de nos attentes vu l’enthousiasme populaire et
le capital de confiance dont vous aviez bénéficiés à l'entame de ce mandat. J'en veux pour
preuves quelques points sur lesquels s'accordent tous les observateurs avertis de la vie
politique de cette grande nation.
Monsieur le Président et cher frère, dès la proclamation des résultats des élections en 2013,
je vous ai adressé une lettre de félicitations dans laquelle j’ai fait quelques propositions
concernant la composition du futur gouvernement. Ensuite, juste après sa formation, je vous
ai adressé une deuxième lettre dans laquelle je dénonçais très clairement la taille de l’équipe
mais aussi sa composition dans laquelle les Maliens n'avaient en rien vu le signe d'un
changement.
Bien au contraire, Monsieur le Président et cher frère, nous avions eu l'impression que les
fossoyeurs étaient revenus pour narguer le vaillant peuple du Mali. Le Mali méritait et
mérite encore une meilleure équipe au regard de votre parcours politique, vous qui aviez
assumé les plus hautes charges dans ce pays ; vous qui aviez côtoyé toute la classe politique
et tous les hauts fonctionnaires de l'Etat malien.
Monsieur le Président et cher frère, vous avez, dans votre discours d'investiture de 2013,
promis que personne ne détournera plus impunément le denier public, et vous aviez déclaré
l'année suivante "année de lutte contre la corruption." Une ironie du sort a voulu fort
malheureusement que 2014 soit l'année de tous les détournements tant elle a été
émaillée de scandales de corruption, de concussion et de népotisme. Le rapport du
Vérificateur Général en fait foi.
Pis, Monsieur le Président et cher frère, personne à ce jour n'a été réellement sanctionné ou
poursuivi alors même que les crimes et délits étaient avérés. Monsieur le Président et cher
frère, lorsque notre pays est suspendu par le FMI et que sa réputation est ternie, les
coupables doivent répondre de leurs actes. C'est aussi ce que vous devriez faire, mais
également ce que vous aviez promis en votre qualité de Premier Magistrat de l'Etat.
La liste des actes de mauvaise gouvernance est loin d’être exhaustive puisque je ne voudrais
pas abuser de votre précieux temps. Il serait tout de même nécessaire de faire une
rétrospective de notre parcours. Je me référerai tout d’abord à notre conversation
téléphonique d’avant le coup d'Etat, pendant votre visite aux Etats-Unis en 2011, visite au
cours de laquelle j’avais promis de vous soutenir pour un mandat. J'espérais vous voir
relancer le pays et éventuellement passer le relais à une autre équipe qui pourrait construire
sur les fondements solides que vous auriez bâtis. Ma position n’a pas varié même si le
fondement sur lequel je comptais n’a pas été établi. Malheureusement, le pays est
aujourd’hui encore plus divisé et plus fragilisé.
Monsieur le Président, et cher frère, je me suis déplacée à mes propres frais en 2012 pour
participer à la rencontre avec les Maliens de l'extérieur à votre domicile. Là-bas le débat
était sur la stratégie de sortie de crise de notre pays en mettant fin à la corruption et à la
mauvaise gouvernance. En 2013, pour le lancement de la campagne, je me suis déplacée
avec toute ma famille d’Atlanta à New York, pour lancer et animer la campagne.
Une année après votre arrivée au pouvoir, en 2014, je me suis entretenue avec vous lors de
votre visite à Washington pendant laquelle je vous ai proposé de gérer le problème
d’insalubrité au Mali surtout dans la capitale qui reste la vitrine de notre pays. Vous m’avez
promis de participer physiquement aux activités de nettoyage et de décréter une journée
nationale de salubrité. Aujourd’hui, Bamako est l’une des capitales les plus sales au monde.
Je vous ai ensuite adressé une lettre en 2015 dans laquelle j’ai proposé 10 points. Entre
autres, j’ai évoqué le nombre élevé de ministres qu’il faut réduire à 18, réduire le train de vie
de l’Etat, réduire les voyages à l’extérieur du pays, réduire le nombre de membres de vos
délégations, planifier une série de voyage à l’intérieur du pays, augmenter le nombre de
femmes dans votre gouvernement, exclure tous les cadres soupçonnés de détournement en
appliquant toutes les recommandations du Vérificateur Général. Toutes ces suggestions se
fondaient sur les promesses que vous aviez faites.
Monsieur le Président, et cher frère, aujourd’hui vous avez annoncé votre volonté de briguer
un second mandat. En tant que citoyenne honnête, soucieuse de l’avenir de la nation, je ne
me vois pas vous soutenir pour cette seconde aventure. J’ai aussi adressé un message à tous
ceux qui ont cru en vous à travers ma modeste personne que je ne m’engagerai pas à battre
campagne pour vous.
Je suis sûre que vous ne doutez point de l’estime, du respect et de la considération que j’ai
pour vous en tant qu’aîné. Je ne voudrais pas m’engager sans conviction dans une lutte et
surtout quand le leader ne m’inspire plus. Je regrette de finir ce voyage politique que nous
avons entamé ensemble en 2001, mais j’ose croire qu’au-delà, notre amitié et notre
fraternité demeureront.
Je reste cependant engagée pour la cause nationale en continuant à mettre à la disposition
de mon pays toutes mes capacités intellectuelles, morales et physiques. Dans l’espoir que
vous feriez bonne réception de cette lettre, je vous prie Mr. Le Président et cher frère,
d’accepter l’expression de mes sentiments distingués.
Très respectueusement
Votre sœur militante Mme Cissé Ramata Sissoko
Atlanta, le 25 Juin 2018, Géorgie, USA