Ils constituent la principale pomme de discorde entre les gouvernants des pays d’origine et les diasporas africaines. Et en dépit d’avancées franches observées ces dernières années, seule une petite dizaine de régimes africains ont consenti à ce jour une représentation parlementaire à leur diaspora et plus largement une revalorisation de ses droits politiques alors que paradoxalement le poids des contributions économiques de ces dernières culmine…Et à l’orée des grandes échéances électorales qui s’annoncent au Burkina Faso, Côte D’ivoire, Niger, Guinée, Ghana, Egypte, Cap vert…nul doute que ces revendications historiques vont ressurgir avec plus ou moins de véhémence.
Les mauvais élèves parmi les grands bénéficiaires de l’argent de la diaspora
Petit rappel historique, c’est au Soudan en 1958 qu’on doit les premiers droits de vote aux élections présidentielles ouvertes pour la diaspora. Aujourd’hui, pour prévaloir de ses droits civiques, un Soudanais de l’étranger doit être enregistré au consulat, payer une taxe spéciale et prouver qu’il a envoyé au moins 500 $ par an sur un compte au Soudan. Mais l’oasis soudanaise ne doit pas cacher le grand désert africain ! Car parmi les cinq premiers pays africains récipiendaires des transferts diasporiques à savoir et dans l’ordre: Nigeria, Egypte, Maroc, Sénégal, Ghana…seul le Sénégal accorde (depuis 2017) une représentation parlementaire à sa diaspora !
Le « pays de la Téranga » compte en effet parmi les rares bons élèves aux côtés de l’Algérie, Tunisie, Niger, Cap-Vert, Mauritanie…même si le contingent de représentation accordé aux diasporas reste symbolique et dans la plupart des cas, très en deça des seuils minimaux pour garantir une représentativité satisfaisante. Ainsi et à l’exception notable de la Tunisie et du Sénégal où le corps des élus de la diaspora dépasse 8% des effectifs parlementaires, dans les autres pays précurseurs ce chiffre n’atteint même pas les 3% ! Et partout ailleurs, on note le même modèle de représentation extra-parlementaire des diasporas souvent autour d’institutions consultatives sous la tutelle du ministre des Affaire étrangères. Citons sans être exhaustif, le Conseil supérieur des communautés marocaines résidentes à l’étranger (CCME), le haut conseil des Maliens de l’extérieur (HCME), la puissante «Diaspora commission» au Nigeria et le dernier né (sept 2019) avec le haut conseil des Togolais de l’étranger (HCTE).
A noter que si ces pays n’accordent pas de représentativité parlementaire à leur diaspora, ils peuvent autoriser le vote aux législatives pour des candidats dans la dernière circonscription de résidence au pays d’origine (exemple de l’Egypte et Ghana). Enfin, si quatre pays africains sur cinq autorisent expressément (constitution, loi électorale…) le droit de vote de leur concitoyen à l’étranger pour les élections présidentielles (dernier pays en date le Togo – fèvrier. 2020), l’insuffisance des moyens matériels les privent trop souvent en pratique de l’exercice de leur droit électoral (insuffisance des bureaux de vote, pas de campagne d’information…).
Par gestion du risque politique de la diaspora…
En cause pour expliquer ce manque d’ambition, la perception des diasporas comme des communautés à l’esprit trop libre et influentes auprès de leurs familles, présentant par conséquent un risque politique pour certains régimes autoritaires. Une opposition de fond servie en toute diplomatie aux opinions et diasporas, à coups d’arguments renvoyant à la citoyenneté à minima de la diaspora (pas d’impôts payés dans le pays, pas de service militaire…) et/ou à l’insuffisance de moyens pour organiser des élections à l’international. Il faut dire qu’avec 10 à 50% de la population totale à l’étranger selon les pays, le poids électoral théorique des diasporas a de quoi bouleverser les rentes et les équilibres… au profit des opposants ! Pas étonnant dans ces conditions que ces derniers figurent parmi les premiers partisans des revendications des diasporas. Quant à la présupposée grande influence des diasporas sur le vote de leurs familles, aucune étude sérieuse ne le prouve !
La dernière élection présidentielle du Sénégal en 2017 a vu par exemple les électeurs au « pays » plébisciter le président sortant Macky Sall (57%) tandis que la diaspora ne lui accordait que 48% de ses suffrages ! En revanche, les faibles participations électorales des diasporas, dans des proportions de 15 à 20 points en dessous de la mobilisation nationale, se vérifient à chaque rendez-vous électoral (et ce pour des raisons diverses : peu de bureaux de votes, pas de campagne d’information…).Tout comme les expériences mitigées des élus de la diaspora en Tunisie et Algérie tendent à nous démontrer que les parlementaires finissent déconnectés de leur base et bien souvent incapables de dépasser leurs clivages partisans pour peser en lobby organisé. A l’heure où le crédo de l’Afrique est à la résilience, la souveraineté économique et monétaire ; tant de chantiers pour lesquels les diasporas peuvent se montrer précieuses ; les autorités publiques doivent sortir de leur attentisme prudent avec leurs concitoyens à l’étranger. Ils sont en effet de plus en plus nombreux parmi les « neo-diasporas » à conditionner implicitement leur mobilisation pour leur pays d’origine aux preuves de reconnaissance par ce dernier…
Par Samir Bouzidi, Ethnomarketer & expert international en mobilisation des diasporas africaines. Entrepreneur engagé – fondateur de la startup solidaire “Impact Diaspora”.