Alors que les insurgés islamistes du monde entier s’inspirent du retour au pouvoir des talibans en Afghanistan, la question de savoir si et comment ils en bénéficieront est plus compliquée, comme l’expliquent les experts de l’International Crisis Group (ICG) dans un document évaluant l’impact que cette victoire des talibans est susceptible de générer sur la situation au Sahel central.
«Les groupes jihadistes n’ont pas les mêmes capacités ni les mêmes trajectoires ici qu’en Afghanistan» : Telle est la conviction de Jean Hervé Jezequel, directeur du projet sahel de l’international Crisis Group (ICG).
Son organisation a récemment publié un document d’analyse de l’impact de la victoire des talibans sur les autres groupes terroristes à travers le monde.
«C’est sûr qu’aujourd’hui, tous les yeux sont tournés vers la situation en Afghanistan.
Du côté du Sahel, beaucoup de gens dressent des parallèles, à savoir qu’aujourd’hui en Afghanistan, on a la victoire d’un mouvement jihadiste armé sur un État que les forces de sécurité ont lâché à partir du moment où des troupes internationales qui les soutenaient depuis plusieurs années ont décidé de partir.
Le parallèle semble évident de ce point de vue», a confié à RFI Jean Hervé Jezequel.
Toutefois, analyse-t-il, «les volumes d’investissements ne sont pas les mêmes ;
la taille des dispositifs militaires n’a presque rien à voir.
Aujourd’hui, il y a plus de soldats américains pour garder le seul aéroport de Kaboul qu’il y a de soldats français déployés dans l’ensemble du Sahel qui est pourtant un espace grand comme la moitié de l’Europe».
Sans compter que, poursuit-il, «les groupes jihadistes ne sont pas également identiques en Afghanistan et au Sahel.
Ils n’ont pas les mêmes capacités ou ils n’ont pas la même trajectoire.
Au Sahel, contrairement à l’Afghanistan, les jihadistes n’ont jamais contrôlé un Etat, ils n’ont pas une branche politique aussi développée et capable d’engager des négociations de haut niveau.
Donc oui, les situations sont différentes, mais il y a d’indéniables convergences».
Pour l’ICG, il est peu probable que la prise de contrôle de l’Afghanistan par les talibans ait donc un impact immédiat sur le conflit entre les djihadistes et les autorités des États au Sahel.
Et cela même si la coalition militante Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans/JNIM ou GSIM qui s’est consolidé dans le nord du Mali en 2017) est une filiale d’Al Qaeda.
Mais à l’heure actuelle, précise cette organisation, il y a peu de preuves d’un flux de soutien matériel au JNIM en provenance du noyau d’Al Qaeda ou de tout groupe basé en Afghanistan.
Une motivation pour presser la France et ses alliés à se retirer militairement du Sahel
Elle rappelle que, dans les années 1990 et au début des années 2000, quelques combattants de la zone sahélo-saharienne, dont l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, ont combattu en Afghanistan après s’être entraînés dans des camps là-bas.
«Mais aujourd’hui, ces vétérans du conflit afghan ne jouent aucun rôle significatif dans les insurrections au Sahel, car ils ont soit déposé les armes, soit été tués», rappelle ICG.
Selon sa publication, les événements en Afghanistan ont révélé les limites des efforts de contre-insurrection qui dépendent fortement des troupes, de la formation et du financement occidentaux.
Ainsi, «la victoire des talibans pourrait avoir un effet indirect», indique-t-elle.
Et d’ajouter, «cela pourrait remonter le moral des djihadistes sahéliens qui pourraient s’inspirer de la prise de pouvoir du groupe».
De plus, poursuit International Crisis Group, «les événements en Afghanistan ont révélé les limites des efforts de contre-insurrection qui dépendent fortement des troupes, de la formation et du financement occidentaux.
Les militants du Sahel semblent voir dans la victoire des talibans une étude de cas sur la façon dont un mouvement djihadiste local peut gagner grâce à la patience et à la détermination, pour finalement vaincre une large coalition internationale».
«Il existe déjà des preuves que cette leçon n’est pas perdue pour le JNIM qui a publié plusieurs déclarations indiquant qu’il voit un modèle à imiter dans l’accord américano-taliban qui a conduit les États-Unis à retirer leurs troupes d’Afghanistan», précise l’organisation.
Le JNIM met surtout l’accent sur le délogement non pas des forces américaines mais françaises qui mènent une campagne de contre-insurrection au Mali depuis 2013.
«Il est dans votre intérêt de partir de nos terres maintenant.
Tout comme les Américains ont quitté l’Afghanistan», a déclaré le GSIM dans un communiqué publié en octobre 2020.
Le JNIM a tenu nécessaire de rappeler qu’il n’a jamais «ciblé la patrie française pour une attaque».
N’empêche qu’il ne dit rien sur le fait d’empêcher d’autres groupes d’utiliser le sol sahélien pour menacer la sécurité des pays occidentaux et de leurs alliés, dans le sens de l’engagement des talibans.
Il est clair que la fin de l’intervention américaine en Afghanistan a déclenché «un nouveau débat sur la pérennité de la stratégie militaire de la France».
Cela a poussé un certain nombre d’autorités sahéliennes à accélérer leurs efforts pour rechercher une alternative à la dépendance à l’égard du soutien militaire français.
A l’image du Mali qui vient d’acquérir des minutions et des hélicoptères de combat de la Russie.
En plus des rumeurs de négociations avec le groupe paramilitaire russe «Wagner».
«Le Mali entend diversifier ses relations, nous parlons avec tout le monde», a justifié le Premier ministre malien, Dr Choguel Kokala Maïga. Ce qui est tout à fait légitime pour un État souverain.
N’empêche que l’arrivée de Moscou sur le théâtre sahélien effraie la France et ses autres partenaires occidentaux du Mali.
Cette volonté de diversifier ses partenaires stratégiques dans la lutte contre terrorisme est aussi justifiée par nos autorités par la décision de la France (juin 2021) de mettre fin à l’opération Barkhane tout en conservant des troupes au Sahel par le biais de la Force Takuba.
GSIM célèbre le retrait Barkhane comme un victoire à l’image de celle des talibans avec le départ des Américains de l’Afghanistan
Une décision que JNIM d’Iyad Ag Ghali prend comme un triomphe comparable à la réussite des talibans en forçant le retrait «historique» des États-Unis d’Afghanistan.
Selon des observateurs, la chute du gouvernement Ghani pourrait ainsi inciter les autorités maliennes à s’orienter plus résolument vers leur propre dialogue avec les militants, quelles que soient les attitudes des partenaires extérieurs.
Si la chute de Kaboul ne devrait pas fondamentalement altérer l’équilibre des forces au Sahel, elle a néanmoins eu un effet dynamisant sur le haut commandement du JNIM et pourrait pousser certains combattants de l’EIGS (groupe rival) à rejoindre ses rangs.
Moussa Bolly