Le royaume d’Arabie Saoudite voulait diminuer sa dépendance vis-à-vis du pétrole à travers un « soft power » mis en place par l’homme fort du pays, le prince héritier, Mohamed Ben Salmane (MBS). Mais, la sombre affaire de la disparition du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, critique envers la couronne, a fortement terni l’image du pays. L’ouverture, sans précédent, du pays des Saoud était-elle trop belle pour être vraie ?
Tout allait si bien pour l’Arabie Saoudite avant l’éclatement de cette affaire ! Une vague de liberté et d’ouverture soufflait sur le royaume. Les investisseurs étrangers se bousculaient pour être en pole position des futurs investissements à venir. Et enfin, le grand allié américain est redevenu ce qu’il était après la froide parenthèse Obama, c’est-à-dire un inconditionnel soutien. En effet, Trump s’était montré dès son élection être 100% derrière le régime saoudien surtout dans le contexte du Moyen-Orient où les rivalités entre Iran et Arabie sont guerrières. Sauf qu’en géopolitique, ce qui peut paraitre comme un simple fait-divers, peut prendre une dimension internationale grave.
Rappel des faits
Jamal Khashoggi, journaliste saoudien critique envers le régime, craignant d’être arrêté par les autorités locales, s’était exilé en Amérique l’an dernier. Il critiquait notamment quelques décisions prises par MBS ainsi que l’intervention militaire saoudienne au Yémen. Le 2 octobre dernier, sa fiancée étant turque, il se rend au consulat saoudien d’Istanbul en Turquie pour obtenir un document administratif prouvant qu’il n’était pas marié. Depuis, plus rien. Khashoggi a disparu, et tout porte à croire qu’il a rencontré un destin macabre.
Les versions se contredisent. Côté saoudien, l’on soutient que le journaliste a quitté le consulat, alors que le président turc mettait en défi le royaume de prouver ce fait. Dans les heures qui suivirent, des responsables turcs affirmaient même qu’il aurait été tué dans le consulat par une équipe de saoudiens arrivés à Istanbul par avion et repartis le jour même. Riyad dément fermement. Citant un responsable américain, le Washington Post avec qui le journaliste collaborait, affirma que le corps de ce dernier a probablement été découpé et mis dans des caisses avant d’être transférés hors du pays. Selon le même Washington Post, Ankara aurait dit aux Etats-Unis détenir des enregistrements audio et vidéo montrant comment Jamal Khashoggi avait été « interrogé, torturé puis tué » à l’intérieur du consulat, avant que son corps ne soit démembré. D’après des journaux turcs, le journaliste était entré avec une montre intelligente connectée à un téléphone.
Dans la foulée, le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo se rend à Riyad où le roi a dit toute son adhésion pour une enquête complète et crédible. L’enquête est désormais en cours.
Au-delà de l’affaire, des considérations géopolitiques subsistent
Dans la région du Moyen et du Proche-Orient, très souvent l’on ne voit que les rivalités Iran-Arabie Saoudite. Mais, ce qu’il faut savoir, c’est que les puissances ne se limitent pas qu’à ces deux. Car, la Turquie d’Erdogan, qui est de plus en plus nationaliste, entendrait disputer le leadership du monde sunnite à l’Arabie Saoudite. Une place de leader qu’on pensait être détenu presque naturellement par le royaume. Un autre jeu géopolitique qui complexifie davantage les relations interétatiques de cette partie du monde. Il n’est donc pas exclu que la Turquie se soit saisie de cette affaire pour écorner l’image de l’Arabie, sa rivale, et de mettre tout en œuvre pour accroitre la pression déjà lourde sur les frêles épaules du roi Salmane Ben Abdelaziz Al Saoud. Cette partie du monde est, sans aucun doute, l’épicentre des considérations géopolitiques mondiales. Des considérations qui pourraient même, dans un avenir plus ou moins proche, façonné le monde, comme ce fut le cas lors de la guerre froide avec les deux blocs, est et ouest.
« L’Arabie Saoudite ouverte sur le monde » devra attendre
A l’initiative du prince héritier, le royaume devait abriter en fin du mois d’octobre le «Futur Investment Initiative» que beaucoup qualifiaient de « davos du désert ». Mais avec l’éclatement de cette sordide affaire, les désistements des invités de marque se multiplient. Au risque même de compromettre cet ambitieux projet de MBS. En attendant la suite de cette affaire, l’on se rappelle que cette Arabie, version MBS, surfe quelque fois avec des pratiques très peu orthodoxes. Le 4 novembre 2017, le régime saoudien avait forcé le Premier ministre libanais Saad Hariri à présenter sa démission en guise de protestation contre la mainmise de l’Iran et du Hezbollah sur le Liban. L’on apprit plus tard qu’il s’agissait d’une démission forcée et que Hariri était retenu contre son gré à Riyad. Autant de fait qui ne plaide pas en faveur du royaume dans cette nouvelle l’affaire Khashoggi.
Ahmed M. Thiam