Ce n’est que sous la deuxième République, surtout avec le « Programme d’ajustement structurel » (PAS) imposé par les institutions financières internationales et qui provoqua la fermeture des écoles de formation de maîtres, que les autorités se sont rendus compte qu’au regard de notre niveau de développement, il était impossible d’avoir une éducation à la fois de qualité et de quantité.
Toujours dans l’intention d’atteindre cet idéal, il a été procédé à la mise en pratique de systèmes palliatifs,dans la gestion du flux grandissant des élèves dû à la croissance incessante du taux de natalité sans qu’aucun parent n’en soit vexé. C’est ainsi que la double division et la double vacation ont été appliquées par endroits, surtout dans les régions capitales.
La système de la double division…
La double division consiste à mettre deux classes différentes dans une même salle pour apprendre. Généralement, ce sont les classes de première et deuxième années, de troisième et quatrième années, de cinquième et sixième années qui sont réunies deux à deux. C’est donc un seul enseignant qui est chargé de préparer chaque jour les leçons de ces deux classes.
C’est également ce même enseignant qui, extraordinairement, est chargé de dispenser ses cours au même moment et à ces enfants de niveaux différents. Ainsi, tantôt il s’adresse à une classe, tantôt à une autre, jusqu’à la fin de l’heure de cours. Dans cette situation, il est évident que l’enfant qui ne se sent pas concerné non seulement s’ennuie, mais il peut également se concentrer sur les leçons de l’autre, tout en oubliant ce qui lui a été dit récemment par le maître. De ce fait, aucun élève de ces classes ne parvient réellement à maîtriser ses propres leçons.
Lorsque les évaluations arrivent, la situation empire avantage à cause du fait qu’il est difficile d’empêcher les cas de fraudes, puisque les enfants les font ensemble. Comme cela, il sera très difficile de connaître, encore moins d’estimer le niveau réel des apprenants. En plus, étant très chargé à la maison et à l’école, l’enseignant en question arrive difficilement à tenir correctement le rythme normal durant toute une année scolaire. Ce qui, sans surprise aucune, peut avoir une conséquence néfaste sur le niveau des apprenants.
Et de la double vacation
Quant à la double vacation, elle consiste à dispenser, dans une même salle, des connaissances aux enfants de classes différents, mais cette fois, à des moments différents de la journée. Les horaires règlementaires qui permettent aux apprenants de monter le matin de 8h à 12h, et le soir de 15h à 17h30, ne sont plus respectés à cause de ce système qui, selon les parents d’élèves, fait l’enseignement en « détail ».
Toute chose qui amène les directeurs d’école à élaborer les emplois de temps suivants : une classe vient le matin et une autre le soir, mais encadrées par différents enseignants. Non seulement le programme de chaque classe ne sera pas correctement dispensé (au lieu d’au moins 6h par jour, ces classes ne font que 4h tout au plus), mais ce système est anti pédagogique, car les apprenants travaillent à des heures qui ne favorisent pas du tout la compréhension, surtout en période de chaleur (la classe du soir monte à 13h0 ou 13h30).
Le comble, c’est que beaucoup d’élèves partent à l’école le soir avant de prendre le déjeuner : il est donc difficile qu’un affamé parvienne à assimiler intellectuellement quelque chose. Arrivés au second cycle, ces enfants habitués à ce système facile, mais désavantageux pour eux, acceptent difficilement de rester en classe durant 6h lorsqu’il y a cours, puisqu’à force de rester longtemps à la maison, ils sont finalement devenus paresseux. Du coup, ils deviennent hostiles au système normal. Ce qui pourrait expliquer en partie les sorties intempestives des élèves qui veulent désormais réussir dans la facilité.
Des systèmes et méthodes inadéquats
Malgré la mise en pratique de ces deux méthodes, l’Etat n’arrive pas à juguler la pléthore, surtout au niveau surtout de l’enseignement fondamental. Aussi n’est-il pas rare de voir dans les classes plus de 150 élèves parfois, assis à quatre sur des tables bancs de deux places.
Pire, au second cycle, non seulement cette méthode ne permet pas de maintenir le calme en classe pour le bon déroulement des cours, mais elle empêche les enseignants de faire beaucoup d’évaluations (3 au moins) pour s’imprégner du niveau des élèves : les classes de l’école « Tiécoura Koulibaly » de Hamdallaye, à Ségou, en sont un exemple frappant…
Ces enseignants sont donc obligés de faire une seule évaluation par classe, dans la mesure où au second cycle, ils peuvent avoir trois ou quatre autres classes de plus et du même nombre : surtout les Professeurs de Lettres qui évaluent la Dictée, la Rédaction, la Lecture suivie et dirigée, la Lecture expliquée, la Récitation.
En plus, cette pléthore est tellement perceptible au niveau du Supérieur que des étudiants sont quelquefois obligés de s’arrêter à la porte ou à la fenêtre pour suivre les cours. Et même là aussi, le problème d’évaluation se pose, dans la mesure où pour un Professeur, il n’est pas possible de corriger correctement plus de mille ou deux mille copies : aussi, les dernières copies seront tout naturellement sacrifiées à cause de la fatigue dudit Professeur qui n’est aucunement un surhomme, encore moins une machine.
Force est donc de reconnaître qu’avec ces systèmes, le niveau des apprenants maliens ne peut aucunement être relevé : au contraire, ils favorisent inéluctablement la baisse de leur niveau. C’est la raison pour laquelle on assiste chaque année à des milliers de renvois et de redoublements. A voir de plus près, ce sont des dépenses inutiles, consciemment consenties et très élevées pour la réussite d’une poignée d’apprenants sur des milliers d’enfants inscrits.
Quid de « l’éducation de masse et de qualité » ?
L’excellence à laquelle aspirent nos dirigeants, pour l’émergence de notre pays, ne restera donc qu’un leurre tant que l’apprentissage se fait dans des conditions à tous points de vue contraires à la déontologie de l’Enseignement qui prône plutôt un nombre restreint d’apprenants dans les salles de classe. Aucune de ces méthodes n’étant avantageuses pour notre système éducatif, il revient à l’Etat de réviser les textes qui ont prévalu à leur existence.
Ce qu’il n’est pas du tout « sorcier » de comprendre c’est qu’il est impossible, sinon illogique et inimaginable de vouloir obtenir à la fois une « éducation de masse et de qualité » comme le stipule les textes, en tout cas chez nous actuellement. Et pour cause : tout d’abord, les deux sont incompatibles ; ensuite, ils ont des finalités différentes.
Non seulement il y a un manque criard, voire cruel de ressources financières, mais aussi de ressources humaines qui deviennent d’ailleurs de plus en plus rares sur le marché à cause des raisons connues de tout le monde.
Une éducation de masse est un système qui ne vise d’autres objectifs que la formation en grand nombre, sans tenir compte du niveau d’apprenants médiocres, incompétents et naturellement susceptibles de freiner le développement d’un Etat. Tout d’abord à cause de son effectif extrêmement élevé et impossible à maîtriser, ensuite de l’insuffisance des ressources nécessaires pour sa pratique. Quant à l’éducation de qualité, elle produit en mettant l’accent sur le niveau des apprenants bien formés, mieux outillés, compétents et capables de trouver des solutions adéquates aux problèmes auxquels l’Etat est confronté.
Comment atteindre les objectifs ?
L’atteinte de ces objectifs est possible, d’une part grâce à un effectif réduit d’élèves facilement contrôlables, et d’autre part grâce à l’existence des moyens nécessaires permettant et facilitant sa mise en œuvre. Il est vraiment grand temps d’opérer un choix entre ces deux idéaux.
Si nous tenons véritablement à nous développer politiquement, socialement, économiquement et culturellement, nous avons alors le devoir de choisir un enseignement sélectif et de qualité, tout en définissant clairement les critères et en mettant les ressources nécessaires à la disposition des départements en charge de l’Education.
Cependant, si, par gourmandise ou par malignité, nous voulons associer le possible à l’impossible, sans tenir compte du changement qualitatif de notre situation déjà précaire et désastreux, choisissons alors l’Enseignement massif ou de quantité, mais à nos risques et périls. (A suivre).
Sidi Dembélé, Correspondant à Ségou
Le Patriote 16/02/2011