« On priait tous les jours pour ne pas tomber malades, pour retrouver nos parents restés au pays en bonne santé. Mais nous prions encore plus pour la réussite de notre aventure. Mes deux autres compatriotes, à savoir Lassina Keïta et Moussa Sissoko, sont tous deux des ressortissants de la région de Kayes. Confrontés aux difficultés de la vie, ils ont décidés eux aussi de prendre le chemin de l’Europe. Mais ils sont ici depuis deux ans, et ils n’ont encore pas trouvé l’occasion de faire la traversée ».
Une réalité à l’opposé de l’imaginaire
« En effet, la réalité du terrain était tout le contraire de ce qu’on imaginait : chaque candidat devait payer une somme de 1000 euros (environ 700 000 FCFA) à un passeur qui organise la traversée deux fois par mois. Ceux qui n’avaient rien sur eux étaient presque oubliés : n’étant pas prioritaires, ils se contentaient d’une petite place où ils ne parvenaient même pas à bouger le petit doigt.
Néanmoins, les plus courageux tentent de se cacher dans des camions à l’entrée du port pour pouvoir embarquer et se cacher facilement dans les gros bateaux qui assurent la liaison entre cette partie du monde et les autres continents. D’autres s’adonnent à l’impossible, c’est-à-dire tenter la traversés à la nage.
Neuf jours ont déjà passé depuis mon arrivée sur les lieux. Et comme tous les autres, j’attendais impatiemment l’arrivée du passeur marocain qui était d’ailleurs en retard d’un jour. Mais cela ne suscitait guère d’inquiétude car selon les informations, c’est dans ses habitudes ».
Toujours traqués et inquiets
« Cependant, notre quotidien n’était pas du tout facile : nous étions toujours traqués par les policiers ; ce qui nous poussait à changer constamment d’endroit. Pour nous nourrir, nous étions vraiment solidaires : ceux qui possédaient un peu de nourriture la partageaient avec tout le monde. Des personnes de bonne volonté nous apportaient à manger, et souvent même de l’argent.
Les quelques rares personnes du groupe qui étaient en règle et qui, pour la plupart, avaient pu obtenir un petit boulot de docker, dans ce pays d’Afrique où nous autres sommes des « sans papiers », nous apportaient chaque fois les informations nécessaires à notre sécurité. Ils nous indiquaient également les différents endroits où nous devons nous regrouper lorsque les contrôleurs se dirigent vers nous ».
Certains parvenaient quand même à tenter le diable
« Comme l’on s’y attendait, très tôt le matin, le passeur fit son apparition. Il possédait un bateau de pêche, qu’il a accosté à plus d’un kilomètre de l’endroit où nous nous trouvions. Ceux qui doivent embarquer devaient donc marcher un à un jusqu’au bateau.
C’est ainsi que tour à tour, 38 d’entre nous, dont 3 non payeurs parmi lesquels figurait mon compatriote Diarra, se rendirent au bateau pour l’embarcation. Quelques instants plus tard, ils levèrent l’ancre, à notre plus grand bonheur et soulagement, car notre départ ne dépendait que du leur. En effet, dès leur départ, un autre groupe devait se constituer pour le prochain voyage.
Toutefois, les privilégiés étaient ceux qui payaient une somme qui ne répondait pas toujours à celle exigée par le passeur, mais qui était néanmoins acceptable. Aussi, la chance était donnée à ceux qui, comme moi, n’avaient rien sur eux, mais qui espéraient être choisis parmi les non payeurs et se trouver une place, même inconfortable, lors des différentes embarcations ».
Pour être choisi, afficher une bonne conduite
« Pour être l’heureux choisi, il fallait vraiment se distinguer des autres en se comportant très bien avec tout le monde et surtout, en assistant de son mieux ceux qui affichaient leur besoin. Pour ne pas être banni du groupe, j’étais donc obligé de me conduire comme tel.
Aussi ne puis-je m’empêcher de demander : si telle est la règle, pourquoi certains passent des décennies sans pouvoir pour atteindre leur but ? Lassina me répondit que très souvent, ils se font appréhender par les policiers qui les emprisonnent avant de les reconduire vers la frontière. Malgré tout, ils reviennent, car c’est leur objectif, c’est de passer coûte que coûte de l’autre côté de la mer ». (A suivre)
Par Mahamane Abdoulaye Touré « Hamane »
(NB : les titres, intertitre et sous titres sont de la Rédaction)
Le Coq 31/01/2011