Dr. Diallo relance le débat sur la reforme constitutionnelle.
L’histoire du Mali moderne commence avec la proclamation de l’indépendance par rapport à la fédération le 22 septembre 1960. Depuis lors, le Mali est une république.
Le Soudan, devenu le Mali, a connu, en tant qu’Etat indépendant, pas moins de cinq constitutions : constitutions de la Fédération du Mali du 17 janvier 1959 (76 articles), de la république soudanaise du 23 janvier 1959 (54 articles), de la république du Mali du 22 septembre 1960 (53 articles), constitutions du 2 juin 1974 (81 articles) et du 25 février 1992 (122 articles) et deux ordonnances constitutionnelles dues aux militaires, celle du 28 novembre 1968 (29 articles) et celle du 5 avril 1991 (64 articles). De ce fait, l’adoption du projet de révision actuel va enrichir cette expérience constitutionnelle.
L’actualité nationale nous pousse à jeter un regard croisé sur le processus d’adoption des Constitutions de 1960, 1974, 1992 et le projet actuellement en cours. Ce processus met en valeur la participation du peuple à travers le référendum qui est un instrument de la démocratie directe par lequel les électeurs sont appelés à se prononcer sur une mesure publique ou sur des dispositions liées à un traité international.
Le référendum peut s’appliquer également à une modification de l’ordre constitutionnel, bien qu’on puisse parler aussi, à ce propos, de plébiscite. Le plus couramment, la procédure référendaire s’applique à une proposition dont la mise en valeur requiert l’approbation de l’électorat. Il y a lieu de rappeler que le premier référendum a eu lieu en 1778 dans l’Etat du Massassuchetts (Etats-Unis). En Europe, le Canton de Vaud (Suisse) a reconnu le droit d’initiative populaire en 1845.
Pour en revenir à notre cas, nous pouvons relever certains éléments déterminants dans le cadre de ces différents processus de révision : la rupture et la pertinence de la révision, l’adhésion au projet et le taux de participation, de même que la portée de la révision.
Du point de vue purement historique, la république du Mali a déjà connu quatre ruptures depuis 1960 : deux brutales et deux douces. Pour les constitutionnalistes, il s’agit de trois ruptures.
La Constitution du 22 septembre 1960 fut adoptée dans un contexte particulier marqué par l’éclatement de la Fédération du Mali (qui regroupait le Sénégal et le Soudan français) dans la nuit du 19 au 20 août 1960. Après cette rupture, les dirigeants soudanais, bien accueillis au bercail, proclamèrent le 22 septembre la République du Mali et prenaient acte de la dissolution de la fédération dont ils imputaient la responsabilité à la France. La situation d’exception dans laquelle se trouvait le pays conduit les dirigeants de l’US RDA à considérer le Gouvernement soudanais comme Gouvernement provisoire de la République du Mali et à garder Modibo KEITA comme Président de la République. L’Assemblée constituante et législative du Soudan lui avait en effet attribué ce poste le 17 janvier 1959.
La première république est interrompue par le coup d’Etat militaire du 19 novembre 1968 ; ainsi, sur une longue période quelques officiers confisquent le pouvoir. Dans le but de légaliser leur régime, ils font adopter une constitution le 2 juin 1974, avec 99,71% de vote favorable, mais qui entrera en application seulement cinq ans plus tard. Des intellectuels, réunis dans une organisation dite « Regroupement des patriotes maliens » lancent des tracts dénonçant la farce électorale du 2 juin 1974. Ils sont arrêtés et condamnés à des peines allant de deux à quatre ans de prison.
Le retour à une « vie constitutionnelle » normale commence donc le 30 mars 1979 par le congrès constitutif du nouveau parti unique, l’Union démocratique du peuple malien (UDPM) ; celui-ci décide de modifier l’article 76 de la constitution afin de permettre la participation de responsables de l’ancien régime à la vie politique. Quelques mois plus tard, on procède le 19 juin 1979 aux élections présidentielles et législatives ; Moussa Traoré est élu président avec 99,89 % des voix ; les 82 membres de l’Assemblée nationale, élus au scrutin de liste, obtiennent 99,85 % des voix.
Cette deuxième république ne représente pas un véritable changement aux yeux de beaucoup de personnes, car elle apparaît comme la poursuite du régime militaire. Elle connaît de nombreux soubresauts, avec les grèves à répétitions des scolaires, des travailleurs ou des fonctionnaires. A partir des années 1988, un vent nouveau souffle sur le pays ; les forces internes souhaitent un changement en profondeur ; surviennent la chute du mur de Berlin et le discours de la Baule. Ce vent se traduit par une presse nouvelle, dont les Echos, la Roue, Cauris et l’Aurore. Des associations, partis déguisés, se créent et réclament le multipartisme. Devant les résistances du pouvoir à l’ouverture démocratique, les manifestations se radicalisent et aboutissent aux « évènements du 25 mars 1991 », où des centaines de personnes sont tuées par balles, sur ordre du pouvoir. Le 26 mars, le lieutenant colonel Amadou Toumani Touré, à la tête d’un groupe d’officiers, dépose Moussa Traoré et prend le pouvoir.
La troisième rupture est donc consommée dans ce nouveau coup d’Etat militaire. Mais ses protagonistes prennent l’engagement de rendre le pouvoir aux civils dans les plus brefs délais. Et ils vont tenir parole, provoquant un large mouvement d’admiration. Un projet de constitution est approuvé pendant la Conférence nationale, tenue à partir du 29 juillet 1991. Soumis au référendum le 12 janvier 1992, il est adopté à une large majorité, avec cependant une faible participation (43,58 % des électeurs inscrits). Des élections législatives sont organisées les 23 février et 9 mars 1992 pour désigner les 116 députés de l’Assemblée nationale ; enfin, un nouveau président de la république est élu en la personne de Alpha Oumar Konaré. En moins de 16 mois, les militaires avaient rempli leur contrat moral avec la Nation.
Depuis juin 1992, le pays vit désormais sous le régime de la 3e république. Le système constitutionnel établi semble avoir tiré les conséquences des expériences constitutionnelles précédentes, celles de la première et de la seconde républiques.
La nouvelle constitution tente de prendre en compte toutes ces données. Elle est préparée sous l’égide du Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP) avec l’aide d’experts étrangers et de nationaux ; elle est ensuite soumise à la discussion de la Conférence nationale de juillet 1991, avant d’être proposée au référendum.
Relevant de la catégorie des Constitutions rigides, la Constitution de 1992 connaît une procédure exigeante et complexe expliquée parfaitement par la qualité de l’acte à modifier. Parce qu’elle renferme les principes fondateurs de l’Etat et les valeurs communes autour desquelles s’organise une société, la Constitution rigide impose une procédure de révision particulière. En effet, elle se présente comme un instrument de limitation du pouvoir dès lors qu’elle garantit l’effectivité de la séparation des pouvoirs et celle de la protection des droits et libertés fondamentaux. Il s’agit de deux conditions essentielles rappelées par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
La procédure de révision définie à l’article 118 de la Constitution prévoit trois phases distinctes et exige pour l’aboutissement d’une révision qu’un consensus soit réalisé tant au sein de l’Exécutif que du Législatif, mais aussi entre l’Exécutif et le Législatif.
Si les Constitutions de 1960, 1974 et 1992 ont donné naissance à de nouvelles républiques, ce ne serait point le cas pour la révision en cours qui consiste simplement en une modification des dispositions de celle de 1992. Pour les précédentes, il s’agissait plutôt d’élaborer de nouvelles constitutions après abrogation des dispositions en vigueur.
Le référendum de 2011/2012 va donc intervenir dans un contexte singulier puisque n’intervenant point sur un projet de texte totalement nouveau et ne créant pas une nouvelle république. C’est peut être ce qui justifie aussi, même si nous ne sommes pas partisans de cette hypothèse, la voie suivie pour l’élaboration du Projet ; voie à laquelle de nombreux acteurs reprochent un déficit de concertation, notamment les nostalgiques de la Conférence nationale de 1991.
Avec ces éléments distinctifs, la question peut être de savoir si le référendum de 2011/2012 va égaler ceux de 1974 et 1992 en terme de taux de participation et d’approbation. Toutefois, les différents changements ou modifications de 1960 à la présente initiative ont en commun leur pertinence au regard de l’évolution de l’Etat : indépendance du pays en 1960, retour à la vie constitutionnelle en 1974 (après le coup d’Etat de 1968), construction d’un Etat démocratique après la révolution de mars 1991, correction des lacunes décelées après vingt années d’exercice démocratique et surtout respect de engagements internationaux.
Si l’opportunité ne souffre d’aucun doute, à notre avis, il n’en est pas de même pour le contenu du Projet en cours qui semble ne pas faire l’objet de consensus malgré l’adhésion de la majorité de la classe politique. En effet, la définition de la politique de la Nation par le Président de la République, au lieu du Gouvernement, la nomination du Président de la Cour constitutionnelle, la création du sénat, entre autres, sont des points qui reviennent le plus souvent dans les échanges et suscitent des controverses.
Il faudrait reconnaître que les experts ayant élaboré le Projet de loi mettent en avant la nécessité d’adapter le droit à la pratique institutionnelle dans le pays depuis 1992. Ce qui revient, en réalité, à une réorientation du régime semi-présidentiel ou semi-parlementaire. Etant personnellement porté sur le modèle parlementaire, nous ne partageons guère les arguments avancés pour justifier cette position. Mais, nous pensons également qu’il ne s’agit nullement d’éléments pouvant faire du Président de la République un monarque. Il s’agit surtout d’orientation de notre modèle vers le régime présidentiel qui existe dans de nombreux pays, même si dans la forme le régime semi-présidentiel est maintenu.
Toutefois, cette divergence d’école (mais pas d’objectif en terme de renforcement de la démocratie) ne doit pas voiler les nombreux avantages liés à ce projet qui est de nature à renforcer la démocratie. Aussi, sommes-nous d’avis qu’il faille dépassionner les débats, tout en rappelant qu’avec la possibilité de révision de la Constitution par le Parlement (en dehors de certains cas, notamment tout ce qui est relatif à la durée et au nombre de mandat), il sera plus aisé de corriger les imperfections du Projet actuel s’il est adopté sans avoir recours au référendum.
En fait, le référendum, en dehors de son caractère démocratique indéniable, a aussi un coût et peut constituer un véritable défi comme l’illustre l’échec du Général De Gaulle au référendum du 17 avril 1969. C’est dire que le référendum peut libérer un élément passionnel, en plus de sa lourdeur, du coût élevé de son organisation, surtout pour un pays en développement. Ce sont là d’autres facteurs pouvant expliquer la peur, la crainte, voir la sous-utilisation du référendum. Comme le dirait mon collègue SANOU « désiré et craint tel est le paradoxe du référendum, mais c’est aussi tout son charme ».
Par Dr. Madou DIALLO
Chargé de Cours à la FSJP
Ancien Chargé d’enseignement Université Lyon III
Les Echos hebdo N° 1175 du 12 août 2011, page 6