Le retrait du texte a été annoncé aux députés en fin de journée par le ministre de la Justice, Cheikh Tidiane Sy, après des échanges souvent houleux entre les députés et de longues heures de heurts entre manifestants opposés au projet et forces de l’ordre à travers Dakar.
Le président Wade « a pris en considération vos préoccupations », il « a pris bonne note » de toutes les réactions et « il m’a chargé de retirer ce projet de loi », a déclaré le ministre Sy, suscitant des applaudissements nourris dans l’hémicycle où les parlementaires étaient réunis depuis le matin en séance plénière.
Il avait aussi « reçu des messages de partis et de chefs religieux », a précisé Cheikh Tidiane Sy, l’air grave.
Le projet de loi avait été adopté en Conseil des ministres le 16 juin, à huit mois de l’élection présidentielle de février 2012, à laquelle Abdoulaye Wade, 85 ans, est candidat.
Dans sa version initiale, le texte visait à modifier la Constitution pour permettre aux Sénégalais d’élire simultanément, dès 2012, un président et un vice-président sur la base d’un « ticket » qui, pour l’emporter, pouvait ne recueillir au premier tour que 25% des suffrages exprimés.
Ce minimum de voix pour une victoire au premier tour était parmi les dispositions les plus décriées par les opposants au projet. Jeudi matin, à l’ouverture de la séance plénière, le ministre Sy avait annoncé que M. Wade avait décidé d’abandonner cette disposition pour conserver dans le projet la majorité absolue (50% plus une voix) comme minimum pour emporter l’élection au premier tour.
Pour ses détracteurs, à travers cette initiative, Abdoulaye Wade, arrivé au pouvoir en 2000, entendait se faire réélire avec peu de voix pour ensuite céder le fauteuil à son fils et « super » ministre, Karim, 42 ans.
Le texte sur le « ticket présidentiel » a mis le régime de M. Wade face à une contestation d’ampleur jamais égalée depuis onze ans.
Plusieurs manifestations, certaines marquées par des violences ont été enregistrées mercredi et jeudi. Les protestataires se sont faits entendre jusque dans le camp du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir) et de ses alliés.
Des députés de la majorité avaient clairement indiqué leur refus de voter pour le texte. Et peu avant l’annonce du retrait du projet de loi, le chef du groupe parlementaire de la majorité, Doudou Wade, avait interpellé le ministre de la Justice sur la violente contestation du texte.
« Je voudrais que vous répondiez à toutes ces personnes qui ont dit qu’il y avait des problèmes dans ce texte et que la paix au Sénégal valait plus que ce texte », a-t-il lancé au ministre.
Les manifestations de jeudi ont fait plusieurs blessés, sans qu’il soit possible jeudi soir d’en établir un bilan global. Des journalistes de l’AFP ont décompté au moins six blessés aux abords ou à l’intérieur de l’Assemblée: un gendarme, un policier et quatre manifestants.
L’Agence de presse sénégalaise (APS, officielle), de son côté rapporté qu’un de ses journalistes « a dénombré dix blessés, dont un officier de police dans les manifestations » devant l’Assemblée nationale.
Autre blessé: une figure de la société civile, Alioune Tine, président de la Rencontre africaine des droits de l’Homme (Raddho), à la pointe de la contestation contre le projet de réforme constitutionnelle.
Il se trouvait en compagnie de l’ancien ministre des Affaires étrangères Cheikh Tidiane Gadio lorsqu’il a été attaqué par des présumés hommes de main d’un responsable du parti présidentiel, d’après la Raddho et le porte-parole de M. Gadio.
M. Tine « a été blessé et a été admis aux urgences » dans un hôpital proche de l’Assemblée, a précisé à l’AFP Iba Sarr, de la Raddho. M. Gadio en est sorti indemne, d’après son porte-parole Jean-Louis Corréa.
Des manifestants en colère ont pris pour cible des édifices publics ou symboles du pouvoir, des domiciles de responsables de la majorité présidentielle. Manifestations et interventions de forces de l’ordre ont fait ressembler Dakar par endroits à une ville morte, avec des services publics à l’arrêt, des transports perturbés, des commerces et boutiques fermés, sans piétons, marchands ambulants et véhicules qui se disputent habituellement les rues.
La France et les Etats-Unis avaient émis des réserves sur le projet de réforme.
« Les Etats-Unis sont préoccupés par le fait qu’une loi constitutionnelle, qui modifierait de façon aussi fondamentale le système utilisé pour élire le président du Sénégal depuis cinquante ans, ait été proposée sans faire l’objet d’un débat approfondi, significatif et ouvert », selon un communiqué de l’ambassade américaine à Dakar.
Paris s’est également dit « surpris » que la réforme constitutionnelle « n’ait pas été précédée d’une large concertation ».
AFP 23/06/2011