Les raisons de sa colère? Entre autres, le remplacement du «devoir d’obéissance de l’épouse» par le «respect mutuel des époux».
Dans les rues de Bamako, la capitale malienne, certains citoyens s’enragent aussi, craignant de perdre leur autorité et le respect de leur(s) épouse(s). Un faux problème, selon Mountaga. Certes, il ignore si le code «convient à (leur) culture, (leurs) habitudes», mais pour lui, une chose est sûre:
«Si officiellement, la femme est en marge par rapport à l’homme, officieusement, c’est elle qui décide, même si on met l’homme en avant. D’ailleurs, lorsqu’il se comporte mal, il fait tout pour que sa femme ne le sache pas, parce qu’elle a son bâton à la maison!»
Sur le seuil d’un grand hôtel, vêtu d’un ensemble pagne beige et bordeaux, Mohamed fait cirer ses chaussures. Peu loquace, il déclare que la révision du code de la famille «fait beaucoup de bruit et de mal pour pas grand-chose». Après quelques minutes, détendu, le cadre bancaire de 49 ans finit par confier son sentiment en filigrane:
«Les musulmans très pratiquants pensent que ce texte va à l’encontre de la religion. A partir du moment où la grande majorité n’est pas d’accord, autant différer le vote, au risque de pousser les gens vers l’islamisme.»
Un jeune Malien qui préfère garder l’anonymat ne veut même pas entendre parler de report. Catégorique, il plaide pour une abrogation pure et simple:
«Je ne suis pas pour qu’on batte sa femme, prévient-il. Mais si tu ne peux pas dire à ta femme: « Tu vas où? Pourquoi tu rentres à cette heure-là? », ce n’est pas bon! Imagine qu’elle t’insulte quand tu lui demandes d’où elle vient? Selon le Coran, la femme est à la disposition de l’homme, elle ne peut pas être son égale! Les femmes ne doivent pas avoir plus de droits que dans le Coran!»
Un avis que partage Doumbia Kady Yagmar Gueye, gérante au caractère bien trempé d’une société de sécurité et d’une cantine, son banquier de mari et la coépouse de ce dernier. Quand ils évoquent le sujet à la maison, le consensus est même absolu: «Une femme ne peut pas remplacer un homme», martèle la femme d’affaires. Puis, quasi-mécaniquement, elle enchaîne:
«La femme est inférieure à l’homme. L’homme est le chef de famille. C’est lui qui subvient à ses besoins, à ceux de la femme, des enfants… Et si la femme exerce aussi un travail, elle doit aider l’homme.»
Partant justement du constat que «plus de femmes travaillent et ne dépendent pas forcément de l’homme», Ramata Keïta se prononce pour un mélange de la tradition et de la modernité. Reste qu’au nom de l’unité familiale, la psychopédagogue musulmane de 25 ans affirme que «si la femme se sent supérieure à l’homme, ce n’est pas bien. Surtout dans le cadre de notre religion, je pense que les prérogatives de la femme doivent être limitées, qu’elle ne doit jamais être au-dessus des hommes, qu’elle doit être soumise».
Au risque, professe Amadou, de provoquer des tensions. Et peut-être pire.
«Modifier le code de la famille selon la première forme proposée peut entraîner des violences envers les femmes, car leur donner des responsabilités peut vraiment provoquer un sentiment d’injustice mal vécu par l’homme», estime l’étudiant en sciences juridiques et politiques.
L’égalité homme-femme, une injustice? Ça n’est pas le sentiment de Moussa, 33 ans, qui attribue ce type de propos à l’«ignorance». Marié depuis 2005, cet homme de chambre n’a d’ailleurs pas attendu le débat sur le code de la famille pour équilibrer les tâches ménagères avec son épouse. «On prépare le repas ensemble et, quand je suis de repos, on va au marché ensemble», raconte-il avec humilité. Avant de conclure, très amusé:
«On communique aussi beaucoup. Et la seule chose que ma femme m’a dit qu’elle ne voulait pas, c’est que je prenne une deuxième femme!»
Slate
L’ Indicateur Renouveau 28/03/2011