a disparition du Belge Henri Vergon, fondateur de la galerie Afronova, basée à Johannesburg, a bouleversé le monde de l’art contemporain africain. Avec sa compagne Emilie Demon, il avait développé depuis près de 15 ans une galerie innovante avec certains des artistes les plus progressistes et influents du pays. Ainsi, au fil des années et avec succès, Afronova a présenté l’Afrique du Sud au reste du continent et amené l’Afrique et la diaspora dans la capitale économique sud-africaine.
Après un diplôme de l’EDHEC, école de commerce bien connue, un détour aux États-Unis à la fin des années 1980 et quelques années de travail dans le milieu culturel en France, Henri Vergon pose ses valises en Afrique du Sud, au lendemain de la mise au rencart de l’apartheid. Arrivé à Johannesburg pour occuper un poste d’agent culturel à l’Institut français d’Afrique du Sud (IFAS) en 1995, il finit par s’installer définitivement. Le pays est en pleine effervescence intellectuelle et artistique. La période est propice au questionnement, à la recherche artistique, tout est en devenir. C’est alors qu’il plonge avec passion dans la bouillonnante scène artistique sud-africaine.
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Le tournant : la galerie Afronova
« Après des années de création de festivals, de projets urbains et d’expositions undergrounds, Henri Vergon lance, en 2005, Afronova Gallery, dans le quartier de Newtown, le cœur et l’âme de la lutte artistique des années 70 à 90, en face du légendaire Market Theatre », relate le site de la galerie. Il définit alors Afronova comme « une plateforme polyphonique pour les expressions contemporaines africaines ».
« Lancée avec 30 000 rands (moins de 1 700 euros) et beaucoup de chutzpah (audace), Afronova a tenu ses promesses, accueillant très tôt des expositions personnelles notamment du photographe malien Malick Sidibé, de l’artiste camerounais Joël Mpah Dooh et du peintre haïtien Mario Benjamin », révèle le magazine sud-africain Art Times. À côté d’expositions d’artistes reconnus comme Gera Mawi Mazgabu (Éthiopie, 2005), Ricardo Rangel (Mozambique, 2008) ou Gerard Sekoto (Afrique du Sud, 2008), la galerie a aussi su découvrir et mettre en avant de jeunes talents, aujourd’hui artistes reconnus comme Billie Zangewa (Malawi), Zinkpé (Bénin) ou Mauro Pinto (Mozambique).
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Avec Emilie Demon, un duo punchy
Henri Vergon a transformé son projet de départ pour faire d’Afronova une galerie panafricaine d’art moderne et contemporain tournée vers plusieurs marchés. © SYLVIE RANTRUA
Avec sa compagne Emilie Demon, ils vont unir leurs sensibilités artistiques et devenir des partenaires d’affaires complémentaires. Autour des artistes qu’ils représentent, ils gèrent un modèle commercial transparent au profit de l’artiste. « Ensemble, ils ont décidé de s’engager sur un nombre limité d’artistes, avec une relation et une compréhension étroites plutôt que de courir après la nouvelle sensation. Les artistes ne sont pas des marchandises et l’interaction personnelle est le moteur du processus », explique le site Afronova.
La relation avec l’artiste est au cœur de leur métier, ou du moins la manière dont ils le vivent. Avec la pandémie du Covid-19 et le confinement, « le plus frustrant est d’être privé du contact physique régulier et de la proximité avec les artistes, car c’est cela qui nous fait vivre et nous épanouir », expliquait fin mars Emilie Demon.
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Une pluie d’hommages
Au sein de la Foire 1-54 qui expose en ligne sur Artsy l’édition qui devait se dérouler à New York, la triste nouvelle en a secoué plus d’un, et ce, d’autant que la galerie Afronova y est présente à travers des œuvres, des photographies, des peintures et des sculptures de six artistes qu’Henri Vergon et Emilie Demon avaient rigoureusement sélectionnés. « Henri était plus qu’un remarquable gestionnaire de galerie. Il avait un œil exceptionnel pour les talents qu’il a présentés au fil des ans lors des foires de 1-54 à Londres, à New York et à Marrakech. Il était un véritable ami de l’équipe 1-54. Il nous a fait rire dans toutes les situations, tellement passionné par les artistes avec lesquels il a travaillé, attentif à nous tous. Nous avons perdu un immense ami et partenaire, et nous réalisons à quel point nous sommes chanceux d’avoir partagé son voyage pendant tant d’années », signe dans un tweet l’organisation 1-54.
Illustration du travail d’exposition proposé par Afronova. © Instagram Afronova
« Avec Henri, nous avons découvert des artistes majeurs de la scène sud-africaine comme Mary Sibandé, Lawrence Lemaoana, Billy Zamgewa, Wayne Barker puis, au fil de nos rencontres, les travaux d’Alice Mann, de Senzeni Marasela et tant d’autres », se rappellent les collectionneurs Gervanne et Matthias Leridon. « Henri, tel un conteur, savait comme personne embarquer ses interlocuteurs sur les traces des œuvres qu’il présentait, et plus d’une fois, il a su par ses récits et ses explications nous montrer le magnétisme profond de certaines œuvres qui n’avaient pas su nous attirer au premier regard. Henri travaillait avec des artistes visuels, mais tel un véritable griot, il était le narrateur de leur création », poursuivent-ils.
« J’étais séduit par son professionnalisme et la relation de confiance qu’il suscitait auprès des artistes. […] Henri a été un des premiers à exposer à Johannesburg des artistes contemporains du continent, pour la plupart encore peu connus des professionnels et des collectionneurs nationaux et internationaux », écrit Jean-Michel Champault, directeur artistique de la Collection Gervanne et Matthias Leridon et ancien directeur du Centre culturel franco-mozambicain.
De nombreux témoignages insistent sur l’engagement, l’énergie, l’humour et la gentillesse de l’homme, comme le photographe sud-africain Leon Krige qui évoque « sa formidable énergie et le grand vide qu’il laisse ». « Henri était remarquable dans la façon dont il s’occupait des artistes, il avait un œil merveilleux et a toujours été un collègue bienveillant et amusant », rappelle Emma Menell fondatrice de Tyburn Gallery.
Michael Huard, directeur de création associé et photographe de Saywho, rend hommage à un garçon « formidable et visionnaire ». « C’est une manière d’être dans le monde de l’art qui, pour Henri et sa partenaire de longue date, Emilie Demon, a permis à Afronova de représenter ses artistes dans des foires décalées et de placer leurs œuvres dans des collections de référence, dont la Walther Collection et dans la collection consacrée à l’art contemporain africain de Jean Pigozzi », analyse Art Times. Henri manquera au monde de l’art contemporain. Non seulement il avait ce talent de découvrir des artistes, mais ils les accompagnaient aussi dans leur carrière.
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