Le ministre Mohamed Salia Touré : « Nous allons mobiliser les compétences de la diaspora pour la jeunesse du Mali » (2/2)

Mohamed Salia Touré et Bruno
Confronté à un important taux de chômage, le Mali compte beaucoup sur ses ressortissants vivant à l’étranger pour remettre le pays debout et assurer le succès de la Transition.
Un programme de « Mobilisation des compétences de la diaspora » va être déployé afin que la jeunesse malienne bénéficie des savoir-faire que les « grands frères » ont acquis à l’étranger…

Le Mali est aujourd’hui confronté à une double crise, sécuritaire et sanitaire. Comment entendez-vous y faire face, dans l’urgence ?

Mohamed Salia Touré – Je crois que beaucoup d’initiatives sont déjà en cours au gouvernement.

Elles touchent bien sûr à la sécurisation du territoire et au déploiement de l’Administration sur toute l’étendue du territoire, y compris dans le Nord, et qui doivent se poursuivre.

Je ne veux pas trahir un secret, car le Premier ministre le fera dans quelques jours devant le Conseil national de Transition (CNT) lorsqu’il révélera le Plan d’action du gouvernement, mais un travail colossal est en train d’être mis en place pour assurer cette sécurisation et permettre que les élections puissent se dérouler.

Au ministère de la Santé, des efforts sont également déployés pour faire face à l’épidémie de Covid-19 et préparer la campagne de vaccination qui va démarrer dans les prochaines semaines.

Le gouvernement est bel et bien déterminé à soutenir les entreprises qui ont été impactées négativement par cette crise, et à soutenir également les ménages dans ce moment difficile.

Vous comptez beaucoup sur la promotion de l’entrepreneuriat afin de réduire le chômage de la pauvreté. Quelles dispositions avez-vous prises en ce sens ?

Mohamed Salia Touré – La fonction publique et l’administration de l’État ne peuvent certes pas absorber le niveau de chômage que nous connaissons.

Plus de 180 000 jeunes arrivent ici chaque année sur le marché du travail et, vu les dysfonctionnements de notre système d’éducation, la plupart sont dépourvus de compétences.

Il faut que nous puissions assurer leur formation afin qu’ils fassent le premier pas et qu’ils acquièrent une culture entrepreneuriale qui leur permettra de créer leur entreprise, et des emplois.

Avec mon collègue de la promotion des investissements, nous travaillons en très bonne intelligence dans la perspective de la mise en place d’un nouveau Fonds de soutien aux jeunes entrepreneurs, aux PME et PMI. Mais l’option que nous privilégions, c’est de soutenir en priorité les jeunes qui ont déjà commencé à faire quelque chose par leurs propres moyens.

C’est plus concret. Car l’expérience passée nous a prouvé qu’il y a souvent des problèmes dans l’identification des bénéficiaires des projets qui sont financés.

Votre priorité, on l’a bien compris, c’est l’emploi. Mais quels sont à ce jour les véritables chiffres du chômage au Mali ?

Mohamed Salia Touré – Je ne peux vous donner de chiffres exacts.

L’ANPE reçoit ici bien des inscriptions au titre de demandeurs d’emploi, mais beaucoup de jeunes ne connaissent même pas l’existence de cette structure et ne vont pas vers elle.

Nous travaillons à améliorer les choses avec des numéros de téléphone leur permettant d’appeler directement pour s’identifier et s’enregistrer.

Sur les 180 000 nouveaux venus annuels sur le marché du travail – et certains parlent même de 300 000 – nous atteignons un taux de chômage de 80 % ! Pour une meilleure planification, il nous faudra donc parvenir à disposer de statistiques plus fiables.

« Il nous faut désamorcer
au plus vite cette bombe sociale »

Quels sont les moyens, humains et financiers, dont vous disposez réellement pour vous attaquer à la réduction du chômage des jeunes ?

Mohamed Salia Touré – On n’a jamais assez de moyens, surtout dans la crise que nous traversons, nous obligeant à faire face à de nombreuses priorités.

Les mêmes efforts que ceux faits actuellement par le gouvernement pour remettre en condition notre armée et assurer la sécurité du pays, doivent aussi être déployés pour accompagner les jeunes et leur ouvrir des perspectives.

Nous bénéficions en ce domaine de l’accompagnement de la communauté internationale et de beaucoup de coopérations multilatérales significatives, avec la Banque mondiale, la BAD (Banque africaine de développement) et d’autres organismes qui financent des projets en faveur notamment des jeunes en milieu rural ou des jeunes diplômés ou non, ou déscolarisés de manière précoce et qui n’arrivent pas à trouver leur chemin.

Il faut faire en sorte que ces ressources soient bien utilisées et que l’on puisse faire le suivi sur le terrain des activités annoncées pour que tous ces projets ne soient pas que des effets d’annonce.

Des exemples ?

Mohamed Salia Touré – Je citerai l’accompagnement indispensable dont l’Agence française de Développement (AFD) est en train de faire preuve, car elle est tête de file de ce groupe de partenaires en matière de formation professionnelle et consacre de gros moyens pour construire des centres de formation professionnelle modernes à Markala et à Sikasso, avec une enveloppe de 23 millions d’euros. Cela va permettre de former les jeunes dans l’agroalimentaire, la maintenance et bien d’autres secteurs qui sont vraiment pourvoyeurs d’emplois.


Pour résumer, je ne dirai pas que les moyens qui nous sont alloués sont suffisants, mais s’ils sont bien utilisés et orientés de façon efficace, ils nous permettront d’obtenir des résultats significatifs.

Depuis quatre mois, avez-vous déjà obtenu des résultats… ou est-ce trop tôt pour en parler ?

Mohamed Salia Touré – Ce n’est pas trop tôt car nous avons déjà des résultats. Construit par les Chinois, le centre de Sénou, qui a coûté 9 milliards de francs CFA, était fermé depuis son inauguration en 2018.

Ce centre est désormais ouvert et opérationnel depuis le 26 décembre.

Et le 7 janvier dernier, nous avons procédé avec le Premier ministre au lancement officiel des cours pour la rentrée de l’année 2021. C’est un premier résultat.

Dans le même temps, nous avons plus de 800 000 jeunes dans la nature, sans éducation, ni formation ni emploi. C’est donc une « bombe sociale » qui doit inquiéter tout le monde et il faut réfléchir aux moyens de la désamorcer au plus vite. Ce désamorçage passe par l’ouverture de ces centres de formation.

À Bandiagarra, au Centre du pays, nous avons également tenu la Bourse de l’Emploi et de la Formation professionnelle qui va permettre de doter 1 104 jeunes de kits pour renforcer leur employabilité, et de donner quelque 30 000 formations, dont vont bénéficier des femmes et des jeunes, sur toute l’étendue du territoire. Voilà déjà deux résultats concrets.

« La solution aux problèmes du Mali
ne viendra que de sa jeunesse »

Quel peut être le rôle des Maliens de la diaspora, particulièrement importante en France, dans ce combat pour l’emploi et la relance économique ?

Mohamed Salia Touré – Je peux d’ores et déjà vous annoncer la mise en place d’un gros programme de « Mobilisation des compétences de la diaspora pour la création d’emplois » afin d’utiliser l’expertise de la diaspora et son savoir-faire. Celle-ci doit accompagner et soutenir la dynamique du développement. Car nous sommes confrontés à un problème de ressources humaines de qualité pour animer tous ces centres de formation.

Je vous donne un exemple : un électricien malien établi en France depuis trente ans, ou plus, peut être mobilisé pour venir au pays former des formateurs. Un mécanicien automobile, qui est installé aux États-Unis ou en Chine, peut venir dans le cadre de ce programme dispenser des formations. Ce programme sera mis en route le 15 février prochain par le Premier ministre.

Nous n’aurons de réussite qu’avec la diaspora, soucieuse du développement du Mali, comme le prouve l’argent que ses membres envoient au pays chaque année.

Je les rencontre souvent dans les fora et ils ne demandent qu’à être sollicités pour accompagner la jeunesse malienne.

Ce programme de cocktail des métiers nous permettra d’aller les chercher et de les mobiliser dans un cadre bien organisé, en s’appuyant sur nos langues nationales – c’est l’innovation de ce programme où on n’utilisera pas que le français – pour qu’ils viennent donner des cours et transmettre leur expertise acquise à l’étranger.

Cela permettra de fixer les jeunes ici, car on ne peut pas leur dire de ne pas partir si on ne leur propose rien, si on ne leur donne pas de perspectives d’avenir au Mali.

Ma conviction est que la diaspora est un atout pour relever ce défi et relancer notre économie.

Pensez-vous que certains jeunes Maliens de la diaspora peuvent faire le choix de rentrer au pays pour participer à l’édification du nouveau Mali ?

Mohamed Salia Touré – Carrément ! Dans mon propre cabinet, j’en ai un bel exemple : Mamadou Cissé est issu de la diaspora et aujourd’hui chargé de la Coopération internationale.

C’est d’ailleurs lui qui est le point focal de cet ambitieux programme.

Nous sommes prêts à accueillir toutes les compétences pour accompagner cette dynamique de développement.

Pour conclure cet entretien, peut-on évoquer votre beau parcours personnel ?

Mohamed Salia Touré – Je n’aime pas beaucoup parler de moi, mais je me suis beaucoup investi dans les associations culturelles faisant la promotion de la lecture et de la citoyenneté au lycée, comme l’Association Amadou Hampâté Bâ et cela m’a ouvert les portes d’autres associations jusqu’au Conseil National de la Jeunesse, structure faîtière de l’ensemble de ces associations, mouvements et organisations de jeunesse du Mali.

Quand je suis arrivé à la tête du CNJ, c’était déjà dans un contexte de crise, juste après le coup d’État de 2012 et le nouveau régime en 2013. Et nous avons alors inscrit notre action dans l’accompagnement de la réconciliation nationale et de la cohésion sociale. Il faut que les jeunes découvrent et s’approprient la notion de « citoyenneté ». Notre action a même permis la création pour la première fois d’un Ministère de la Jeunesse et de la conception citoyenne.

Tout cela m’a convaincu dans l’idée de travailler encore davantage pour sortir notre jeunesse du cycle infernal de la violence. Pour des raisons internes au CNJ, je n’ai pas eu d’autre choix que de démissionner six mois après ma réélection, mais je suis resté attaché à ma conviction profonde : la solution aux problèmes du Mali ne viendra que de sa jeunesse.

Source: Propos recueillis à Bamako par Bruno FANUCCHI
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