Dr Brahima Fomba éclabousse l’avis de la Cour Constitutionnelle
Au regard de l’Avis n°2017-01/CCM/REF du 06 juin 2017, le référendum prévu pour le 9 juillet 2017 paraît juridiquement compromis. Car de manière incidente pourrait-on dire, l’analyse de cet Avis et de son contexte révèle qu’en réalité la Cour constitutionnelle met indirectement en échec le référendum constitutionnel. Comment ?
Saisie seulement le 5 juin 2017 dans le cadre de la procédure consultative pour se prononcer sur la loi n°2017-031/AN-RM du 2 juin 2017, c’est tout de suite le 6 juin 2017, c’est-à-dire quasiment à la vitesse de la lumière que la Cour constitutionnelle a rendu l’Avis n°2017-01/CCM/REF du 06 juin 2017. Un véritable record dans les annales de l’institution !
Certes, la Cour a soigneusement pris le soin comme il fallait d’ailleurs s’y attendre, de ne pas porter seule le chapeau du fiasco juridique annoncé auquel semble condamné cette révision constitutionnelle. Au compte de cette incapacité congénitale de sa part à assumer son indépendance institutionnelle, nous inscrivons son interprétation politicienne (ridicule !) de la notion d’intégrité territoriale qui cristallise tant les débats juridiques sur la révision constitutionnelle et à propos de laquelle elle a totalement perdu son latin, ou plutôt son droit, se contentant du service minimum comme on dit. Et pour cause !
Remise en cause par la Cour de la forme de la mouture de la loi N°2017-31/AN-RM du 2 juin 2017 portant révision de la constitution
Les Avis rendus par la Cour constitutionnelle dans la procédure consultative du référendum et qui doivent être publiés, s’assimilent en réalité à des appels à l’opinion publique nationale en tant que moyens d’assurer la régularité des opérations. C’est notamment grâce à cette transparence à laquelle manifestement la Cour et le gouvernement peinent à se plier, que les Maliens jugeront en fin de compte du niveau d’indépendance ou d’inféodation de notre Cour constitutionnelle.
Dans le cadre de cette procédure, les Avis portent aussi bien sur la constitutionnalité que sur l’opportunité des modifications proposée dans la loi constitutionnelle, comme cela est attesté à travers l’analyse desAvis n°01-001/Référendum du 4 octobre 2001 et n°12-002/Référendum du 13 mars 2012.
A l’instar de cette jurisprudence, l’Avis n°2017-01/CCM/REF du 06 juin 2017 se plaçant en l’occurrence davantage sur le terrain de la constitutionnalité, déclare en substance : « La présente loi portant révision de la Constitution devrait renvoyer plutôt aux articles révisés de la Constitution du 25 février 1992 qu’aux amendements portés au projet de loi par la Commission des lois constitutionnelles, de la Législation, de la Justice, des Droits de l’Homme et des Institutions de la République de l’Assemblée nationale ». Par cette affirmation apparemment anodine, la Cour soulève ici de notre point de vue, la question grave de la constitutionnalité même de la version de la loi constitutionnelle soumise à son examen.
En d’autres termes, la mouture de la loi constitutionnelle transmise à la Cour ne correspondait pas à la forme dans laquelle devait être présentée la loi de révision constitutionnelle telle que votée par l’Assemblée nationale dans la nuit du 2 au 3 juin, c’est à dire le 3 juin 2017. Du point de vue formelle en effet, une loi modificative doit se référer aux articles de la loi originale objet de cette modification et non pas aux amendements portés au projet de loi par une Commission parlementaire. A défaut, il pourrait se poser pour cette loi, un problème de constitutionnalité que seule une seconde lecture peut corriger. La question n’est pas déniée d’intérêt, car on constate que ces insuffisances ont miraculeusement disparu de la version de la loi constitutionnelle publiée au Journal Officiel spécial datant du 7 juin 2017 dans laquelle aucune allusion n’est faite à un quelconque amendement. Reste donc à savoir qui a opéré ces correctifs et quel titre. Qui s’est assis dans son bureau pour rédiger à la place de l’Assemblée nationale une nouvelle mouture corrigée de la loi n°2017-031/AN-RM ? Il n’est pas superflu à cet égard de rappeler l’Arrêt n° 01-128 du 12 décembre 2001 de la Cour constitutionnelle. Car selon la jurisprudence de cet Arrêt, « toutes corrections ou modifications de la loi portant révision de la Constitution doivent faire l’objet d’un nouveau vote de l’Assemblée Nationale saisie pour une seconde lecture par le Président de la République… ».
L’adoption et la publication par le gouvernement du décret illégal N°2017-0448/P-RM de convocation du collège électoral non soumis à l’avis préalable de la Cour constitutionnelle
C’est en quelque sorte l’effet collatéral de l’analyse de l’Avis n°2017-01/CCM/REF du 06 juin 2017 d’où il ressort que la Cour constitutionnelle n’a pas eu à se prononcer sur le décret de convocation du collège électoral et de campagne électorale. Pourtant, la Constitution, la loi organique n°97-010 du 11 février 1997 sur la Cour constitutionnelle, le Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle et sa jurisprudence obligent le gouvernement à se plier à cette consultation qui touche à l’organisation de l’ensemble des opérations de référendum. Ces textes juridiques impliquent que la Cour constitutionnelle doit être obligatoirement consultée sur l’ensemble des textes règlementaires organisant le référendum avant leur adoption et leur signature.
Cette obligation constitutionnelle a notamment été observée par les deux premières expériences avortées de référendum constitutionnel. Lors de ces deux tentatives de révision, les projets de décret portant convocation du collège électoral, ouverture et clôture de la campagne électoral et même d’autres textes règlementaires relatifs aux opération référendaires ont effectivement été préalablement soumis à l’Avis de la Cour constitutionnelle avant leur adoption par le gouvernement. Jusque-là dans les différents documents publiés au Journal Officiel, on ne retrouve aucune trace d’un quelconque avis émis par la Cour constitutionnel sur un projet de décret de convocation de collège et de campagne électorale.
Par conséquent, on est fondé à soutenir que pour défaut de respect de l’obligation constitutionnelle de consultation préalable de la Cour constitutionnelle, le Décret n°2017-0448/P-RM du 7 juillet 2017 est entaché d’irrégularités.
La Cour constitutionnelle n’ayant pas eu à se prononcer sur la régularité du Décret, celui-ci ne peut échapper à la forte présomption d’illégalité qui l’entache.
En particulier, le Décret est contraire à la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 portant loi électorale dont il ne tient aucun compte de l’alinéa 2 de l’article 87 ainsi libellé : « Dans tous les cas, le scrutin est ouvert le dimanche précédent pour les membres des forces armées et de sécurité ».
Ce qui signifie que contrairement à ce qui est stipulé dans le décret, le collège électoral en ce qui concerne les membres des forces armées et de sécurité n’est pas convoqué « le dimanche 9 juillet 2017, sur toute l’étendue du territoire national et dans les missions diplomatiques et consulaires de la République du Mal ». En ne prenant pas en compte le décalage légal du vote des membres des forces armées et de sécurité qui précède d’une semaine celui du reste du corps électoral, le Décret n°2017-0448/P-RM du 7 juillet 2017 est illégal. Il aurait fallu, en application de l’alinéa 2 de l’article 87 de la loi électorale, également fixer la date de convocation du collège électorale en ce qui concerne le vote des membres des forces armées et de sécurité.
Par ailleurs, le même décret de convocation qui ne fait aucun cas du dispositif de convocation spécial tel que prévu à l’article 87 ci-dessus, est entaché d’une irrégularité d’autant plus flagrante qu’il doit légalement s’articuler avec un autre décret non encore adopté qui est prévu à l’article 114 de la loi électorale et qui « fixe les modalités d’organisation du vote par anticipation des membres des forces armées et de sécurité ».
A défaut de cette harmonisation, le gouvernement ne peut valablement se prononcer en ce qui concerne les dates d’ouverture et de clôture de la campagne électorale à l’occasion de ce référendum. En l’occurrence, on peut se demander comment la campagne électorale va-t-elle pouvoir se poursuivre alors que les opérations de vote seraient en cours en principe partout sur l’étendue du territoire nationale et dans les missions diplomatiques et consulaires en ce qui concerne les membres des forces armées et de sécurité. Un référendum peut-il constitutionnellement se tenir dans ce grand bazar d’irrégularités ?
Dr Brahima FOMBA, Chargé de Cours à Université des Sciences
Juridiques et Politiques de Bamako(USJP)