Dans cette 4ème ChroCo Vies du FORIM : Hamedy Diarra – grand militant associatif de la cause migratoire – raconte les inquiétudes relevées au Mali suite à la pandémie, notamment pour l’état de santé de la diaspora malienne en France et les difficultés de transfert d’argent. Interview recueillie par Jacque Ould Aoudia – Vice président de Migrations & Développement.
Hamedy Diarra est un important militant associatif de la diaspora malienne en France depuis 1976 où il a commencé son engagement dans les mouvements de lutte pour la libération de Nelson Mandela et contre l’apartheid. Un militant infatigable de toutes les luttes des migrants des années 70 et 80, qui ont notamment abouti en 1981 à l’obtention du droit de création des associations par les migrants. Il est aussi un responsable associatif de haut niveau au Haut Conseil des Maliens de France (HCMF) et au FORIM.
Hamedy Diarra s’est aussi engagé dans de très nombreuses études-actions et formations portant sur la migration, sur le rôle des migrants dans le développement de leur pays d’origine auprès de nombreux organismes en France.
Il a également mené de nombreuses interventions dans des colloques, séminaires et stages sur l’immigration en France et en Europe, a organisé des rencontres entre acteurs sociaux, institutions et collectivités locales.
Il a publié des articles dans les journaux et revues en Europe comme Hommes & Migrations, La Croix, Techniques Financières & Développement, Demain le Monde, Antipodes. Enfin, Hamedy Diarra fait partie de l’équipe de recherche du G.R.E.M (Groupe de Recherche et d’Etude sur Migrations et Transformations Sociales).
Une prise de conscience tardive
Au Mali, la population s’est vraiment sentie concernée par la pandémie de coronavirus quand on a appris que trois cas de Maliens étaient déclarés, à la mi-mars. Il s’agissait de Maliens rentrés de France. La population au Mali a pu mettre un nom sur des personnes, ce qui a provoqué une prise de conscience collective.
Les derniers chiffres connus au 26 avril 2020 sont 389 cas confirmés, 112 cas soignés et 23 décédés.
Les mesures prises par les autorités
Le président de la République du Mali Ibrahim Boubacar Keïta a décrété l’état d’urgence, instauré un couvre-feu de 21h à 5h du matin, décidé de fermer les lieux publics et de recommander les « gestes barrières ». Mais pas de confiner la population. Il y a eu un débat car le second tour des élections législatives s’est quand même tenu le 19 avril.
Les chefs religieux, se sont mobilisés pour soutenir ces mesures, notamment de fermeture des lieux publics dont les mosquées. Ainsi, le président du Haut Conseil Islamique du Mali a produit une vidéo expliquant d’une façon pédagogique qu’il faut se protéger et protéger les autres, en puisant dans les références historiques de l’Islam.
Cependant, les gens ont du mal à suivre les attitudes barrières qui imposent de rompre avec les gestes de salutation qui s’effectuent dans la proximité.
La situation de blocage des transports et d’interdiction de rassemblement pénalise durement les personnes qui vivent au jour le jour dans des activités informelles. Les autorités ont pris des mesures de soutien aux personnes démunies comme la prise en charge des factures d’électricité et d’eau, et la distribution de denrées notamment en riz et en lait. Les coupures d’eau et d’électricité, récurrentes, compliquent fortement la situation des personnes vulnérables. Comment se laver les mains si on n’a pas d’eau ?
Des importations massives de céréales ont été effectuées pour assurer la sécurité alimentaire au niveau national. Cependant, au niveau des personnes, la distribution vers les familles nécessiteuses reste problématique.
Mais la solidarité de proximité, au sein des familles, reste forte et permet de dominer ces situations difficiles.
Ainsi, les initiatives de fabrication des masques en tissu se multiplient, notamment par les artisans couturiers, en suivant un modèle homologué fourni par l’Etat.
Un vrai risque, la situation alimentaire
Il y a bien sûr la pandémie qui complique la vie quotidienne de toute la population, mais il y a une autre menace, peut être plus sérieuse. Cette année, les cultures sont affectées par un manque de pluie, notamment dans la région Ouest (Kayes), et la situation risque de devenir sérieuse sur le plan alimentaire dans un ou deux mois. On a ainsi un cumul de difficultés liées à l’insécurité, aux raisons climatiques, qui s’ajoutent aux difficultés sanitaires qui proviennent de la pandémie.
Inquiétude au Mali pour les parents émigrés
Au Mali, les gens sont plus inquiets pour leurs parents vivant en France, compte tenu de l’importance des contaminations et des décès qui y surviennent.
En France, la communauté malienne a été durement touchée. A ce jour, près de 40 personnes sont décédées. Ces décès posent un grave problème de transfert des corps. Les vols entre la France et le Mali sont suspendus actuellement. En conséquence, les corps des personnes décédées sont placées dans des morgues saturées, en attente en attente de lieux d’inhumation dans un cimetière en France.
Une partie importante de la communauté est au travail en France dans les métiers essentiels, notamment dans le gardiennage, mais aussi dans des secteurs qui ne permettent pas de pratiquer le télétravail.
Le jeûne du mois de Ramadan se passe bien, mais on ne peut pas aller à la prière collective à la mosquée. Les gens prient chez eux.
La solidarité au sein de la communauté malienne en France reste très forte. Elle est « naturelle », on en parle peu, mais elle est présente et assure une sécurité certaine aux familles. Les actions de soutien se font entre personnes qui se connaissent directement.
Des transferts d’argent difficiles vers les familles au Mali
Il y a un vrai problème pour transférer l’argent vers les familles au pays. Avant le confinement, les transferts d’argent s’effectuaient directement par l’intermédiaire de personnes connues dans la communauté. Maintenant, il faut passer par des agences, et il faut chercher des agences ouvertes, elles sont bien rares. On en trouve cependant quelques-unes dans des épiceries tenues par des maghrébins, indiens ou pakistanais, et elles permettent d’assurer un transfert seulement vers les grandes villes du Mali, le jour même, mais reste très limités. Les familles manquent le soutien financier habituel, surtout en période de Ramadan.
Interview recueillie par Jacques Ould Aoudia, le 28 avril 2020