LE MALI EN PANNE DE DÉVELOPPEMENT

Manque de leadership ou de vision de ceux qui ont gouverné le pays
après Modibo Kéita ?

On peut tout reprocher au regretté président (22 septembre 1960 à 19
novembre 1968) Modibo Kéita (4 juin 1915-16 mai 1977) sauf qu’il ne fut
pas un vrai leader qui avait une vision claire de l’émancipation
socioéconomique et politique du Mali après l’indépendance acquise le 22
septembre 1960. En écoutant son discours prononcé le 30 octobre 1961
lors d’une conférence des cadres à Kati, on se rend compte que le
putsch du 19 novembre 1968 a réellement hypothéqué le développement
économique du pays. L’amer constat est surtout que le Mali a
progressivement glissé en passant de pays exportateur à un dépotoir de
produits manufacturés importés. Manque de leadership ou de vision de
ceux qui ont gouverné le pays après la chute du père de
l’indépendance ?

«Rendre aux Maliens la maîtrise de leur destin» ! Telle était l’ambition du
regretté président Modibo Kéita. Et en l’écoutant s’adresser aux cadres le 30
octobre 1961 à Kati, on se rend compte qu’il incarnait un véritable leadership
porteur d’une réelle volonté pour concrétiser l’indépendance du pays sur tous
les plans. A commencer par l’aménagement des voies de désenclavement
du Mali. Il avait ainsi en projet de bitumer la route Bougouni-Manankoro
frontière Côte d’Ivoire pour que «les véhicules de transport puissent subir
moins de dégâts». Cet axe stratégique (130 km) reste encore un véritable
bourbier en hivernage. Comme l’ont le plus souvent déploré les populations
locales, cette route continue de causer des pertes matérielles et humaines
dans «l’indifférence des décideurs politiques».
Pour davantage désenclaver le Mali, le président Modibo Kéita a déclaré à
Kati son ambition de lancer l’étude du cours du fleuve Niger pour qu’il puisse
être «navigable en toute saison» parce que «nous savons que le transport
fluvial coûte moins cher que le transport routier». Et de poursuivre, «pour
soustraire notre pays de l’emprise des produits industriels importés, nous
avons décidé de transformer sur place notre coton en tissus et fils ; de
transformer nos cuirs en chaussures ; de produire nous-mêmes notre ciment ;
notre huile d’arachide ; de produire nous-mêmes certaines machines…». Il
était aussi question d’étudier le cours du fleuve Sénégal pour que «Kayes soit
notre port fluvial pour réduire notre dépendance du Sénégal, de la Guinée, de
la Côte d’Ivoire voire du Ghana…».
Mais, en vrai leader, le président Kéita était aussi conscient des obstacles à
franchir pour concrétiser ses projets qui contrariaient sans doute la volonté
néo-colonialiste de l’Occident, notamment de la France. «Ce sont de beaux
projets, mais pour leur réalisation, il nous faut des crédits d’investissements»,
a-t-il reconnu. «A l’heure actuelle, sur le plan des investissements, nous
sommes dépendants de la France. Nous utilisons le franc CFA qui est garanti

par la monnaie française. Ainsi, du jour au lendemain, si nous avons besoin de
crédits d’investissements, la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l'Ouest
(BCEAO) peut demander des ordres à Paris qui peut dire non…», a-t-il
souligné aux cadres réunis à Kati.
De la vision pour contourner les obstacles néocolonialistes
Mais, en leader visionnaire, il avait sa petite idée derrière la tête pour
contourner cet obstacle. «Nous avons vu ce danger et pour y soustraire, nous
avons envoyé un peu partout des missions et nous en avons au​ssi reçu. Elles
ont été envoyées dans les pays de l’Est comme dans ceux de l’Ouest. Nos
problèmes ont été exposés et les pays qui ont estimé devoir apporter leur
contribution à la construction de notre pays nous ont aidé en signant avec
nous des accords de coopération ainsi que des accords commerciaux», a
assuré le président Modibo Kéita.
«Dans le cadre de ces accords, certains pays nous donnent des équipements,
des fournitures ou ils nous prêtent des sommes pour les acheter… Mais, si
vous apprenez que l’Union Soviétique (aujourd’hui Fédération de Russie) a
mis à notre disposition 40 000 roubles, cela ne signifie pas que ce pays
compte l’argent et nous le remet en espèce, mais il nous ouvre un crédit de 40
000 roubles avec lesquels nous achetons des équipements, du matériel pour
nos besoins…», a-t-il schématisé.
«Généralement, ces pays nous ouvrent des comptes chez eux pour nous
permettre d’acheter du matériel, des équipements pour installer nos industries,
pour équiper notre pays. La plupart des ces accords sont conclus sur la base
du principe des échanges compensés», a expliqué le président Kéita. «Les
échanges compensés» sont généralement des crédits remboursés en nature
(arachide, huile, peau, coton…). «C’est pourquoi, depuis trois ans, nous avons
mis l’accent sur le retour à la terre pour qu’il y ait beaucoup plus de
cultivateurs, les grouper afin qu’ils puissent être mieux aidés avec des moyens
modernes pour accroître leurs rendements… Cela nous permettrait d’avoir
suffisamment de produits pour rembourser les pays qui nous ont prêté les
sommes mises à notre disposition pour acquérir du matériel et des
équipements pour notre plan de développement», a expliqué aux cadres le
père de l’indépendance du Mali. Il a rappelé que les 4/5 de son discours tenu
le 1er septembre 1961 (dans le cadre de l’ouverture du «Plan électoral»)
étaient orientés vers l’organisation du paysannat, de l’élevage et vers les
conditions à remplir pour l’accroissement de la production.
A cette occasion, le président Kéita a demandé à ses camarades de se
pencher sur l’économie de la République du Mali. Et cela d’autant plus que, a-
t-il rappelé, «nous avons cet avantage rare en Afrique. Dans nos échanges
extérieurs avec les pays africains, nous leur vendons plus qu’eux ils nous
vendent. Ainsi, sur le plan africain, notre balance commerciale est
excédentaire». Le riz, le poisson sec, le poisson fumé, le bétail, la viande, les
haricots… étaient autant de produits que le Mali de Modibo Kéita vendait en
Guinée, en Côte d’Ivoire, au Libéria, en Haute Volta (Burkina Faso), au Niger,
au Ghana.

Quand la Côte d’Ivoire importait sa consommation de riz du Mali
«Cela nous permet de nous approvisionner en franc CFA, de sorte que même
si, la France devant la pression des sociétés commerciales installées ici et que
nous sommes en train de liquider, essayerait de faire pression sur nous, nous
pourrons en souffrir un ou deux mois, mais avec nos activités commerciales,
nous parviendrons à nous en tirer. Ainsi, quoiqu’il advienne, en raison de notre
économie riche en produits agricoles, laitiers et en bestiaux, nous avons la
possibilité d’avoir des devises, parce que les autres pays africains ont plus
besoin de nous pour leur subsistance», a assuré Modibo Kéita.
Comme on peut le constater, nos potentialités agro-sylvo-pastorales faisaient
qu’on ne pouvait pas imposer à notre pays une politique à laquelle il n’adhérait
pas, «même si l’on veut faire usage de la pression monétaire». Dans son
intervention, Modibo Kéita a rappelé que «la République de Guinée nous a
devancé dans l’indépendance et des camarades y font souvent référence.
Mais les situations ne sont pas les mêmes. Une partie de la Guinée est
dominée par la forêt». Quant à la Côte d’Ivoire, a souligné le camarade
Modibo Kéita (paix à son âme), «malgré qu’elle cultive le riz dans certaines
régions, les populations préfèrent celui produit au Mali à cause de sa qualité,
de sa variété». Ainsi, en 1961, la Côte d’Ivoire a importé du Mali 10 mille
tonnes de  riz et plus les années suivantes.
Le comble est qu​e, aujourd’hui, le Mali importe tout de l'extérieur. Deuxième
producteur de riz d'Afrique de l'ouest (avec une production annuelle de plus de
2 millions de tonnes) après le Nigeria), le Mali importe pourtant environ 25 %
de ses besoins de consommation de la denrée, soit environ 2,4 millions de
tonnes par an, d’après les données de l’USDA (Département de l'Agriculture
des États-Unis). Mais, nous savons tous aussi que ces importations
essentiellement exonérées sont contrôlées par un vaste réseau
d’enrichissement illicite…
«On peut étudier l’économie de tous les autres pays africains, on ne trouvera
pas une réédition du cas malien», a défendu le président Modibo Kéita dans
ce discours historique que tous ceux qui aspirent diriger un jour notre pays
doivent écouter en faire une référence. Et cela d’autant plus que, à l’époque,
c’était la meilleure conception du développement de l’économie malienne
bénéficiant de l’équilibre de sa balance commerciale grâce aux exportations.
Comme l’a dit le doyen Abdoul Karim Dramé (qui nous a envoyé l’audio), c’est
«un cours d'économie d'avant-garde en bon français». Et de souligner, «on
comprend mieux qu'après sa chute, les secteurs prometteurs pour notre pays
aient été sabotés».
En tout cas, l’amer constat est là : le Mali a progressivement glissé en passant
de pays exportateur à un dépotoir de produits manufacturés importés. Manque
de leadership ou de vision de ceux qui ont gouverné le pays après la chute du
père de l’indépendance ? On a en tout cas toutes les raisons de croire que le
putsch du 19 novembre 1968 a été une brutale rupture (orchestrée de
l’extérieur) qui a hypothéqué le développement économique du Mali jusqu’à ce
jour !

Moussa Bolly

diasporaction.fr