Le Général Moussa Traoré n’est plus ! La nouvelle est tombée hier (mardi 15 septembre 2020) en début d’après-midi. Celui qui a dirigé le Mali du 19 novembre 1968 (prise de pouvoir par un coup d’Etat ayant renversé le président Modibo Kéita) ne semblait pas pourtant trop marqué par l’âge et l’âge et la maladie lors de ses récentes apparitions publiques. Presque banni après sa chute suite à une insurrection populaire violemment réprimée, il a été remis en selle par le président Alpha Oumar Konaré vers la fin de son mandat. Et depuis, il jouissait du statut et des prérogatives protocolaires d’un ancien Chef de l’Etat. Le Général Moussa Traoré alias «GMT» était un homme très écouté, donc très influent ces dernières années.
Né le 25 septembre 1936 à Sébétou (région de Kayes), Moussa Traoré est un militaire de carrière qui est entré dans l’histoire du Mali à travers le coup d’Etat du 19 novembre 1968 (il sera aussi déchu par un putsch consécutif à une insurrection populaire en 23 ans après)
Jeune Lieutenant, Moussa Traoré devient alors le président du Comité militaire de libération nationale (CMLN), puis président de la République le 19 septembre 1969. Après des années de tergiversation et de règlement de comptes entre les militaires putschistes, Moussa Traoré fait adopter par référendum (99 % des voix) une constitution qui fonde la Seconde République le 2 juin 1974. Cette loi fondamentale impose imposant un parti unique, une assemblée nationale et un président élu tous les 5 ans au suffrage universel. Deux plus tard (1976), l’Union démocratique du peuple malien (UDPM) voit le jour. Tout comme l’Union nationale des femmes du Mali (UNFM) et l’Union nationale des Jeune du Mali (UNJM), deux organisations auxquelles respectivement toutes les femmes et tous les jeunes doivent alors adhérer.
La purge va néanmoins se poursuivre dans les rangs des putschistes. Ainsi, le 28 février 1978, Tiécoro Bagayoko et Kissima Doukara, (respectivement directeur de la Sûreté nationale et ministre de la Défense) sont accusés de complot et arrêtés.
Lors des premières élections de la seconde République en 1979, Moussa Traoré est l’unique candidat à la présidentielle. Il propose d’aller vers une ouverture politique lui permettant ainsi d’acquérir le soutien de certains intellectuels comme Alpha Oumar Konaré. Ce dernier accepte alors de siéger dans le gouvernement comme ministre des Arts et de la Culture pendant quelques années.
L’ouverture politique se attendre. Le pays étouffe sous le coup non seulement de la sécheresse, mais aussi et surtout de la privation de libertés fondamentales ainsi que de l’émergence certains maux qui vont vite gangréner l’administration publique. C’est ainsi que, en 1980, les élèves et étudiants se révoltent à l’appel de l’Union nationale des élèves du Mali (UNEEM). Leurs manifestations sont réprimées et leur leader, Abdoul Karim Camara dit Cabral, décède sous la torture le 17 mars 1980. Promu Général d’Armée en 1982, Moussa Traoré aura désormais du Mali à étouffer le Mouvement démocratique qui aura le vent en poupe avec la naissance du Congrès national d’initiative démocratique (CNID) de l’avocat Me Mountaga Tall et l’Alliance pour la démocratie au Mali (ADEMA) d’Abdramane Baba Touré. Elles vont être renforcées par l’Association des Elèves et Etudiants du Mali (AEEM) et l’Association malienne des droits de l’Homme qui vont charger le régime en exigeant l’instauration de la démocratie, donc du multipartisme.
Défendant l’idée de plus de démocratie au sein du parti unique, GMT est vite dépassé par les événements qui ont pris de l’ampleur avec le «Vent de l’Est».
Le 22 mars 1991, une manifestation de milliers d’étudiants est réprimée par les armes, faisant plusieurs morts. Déjà en janvier 1991 et le 20 mars 1991, des jeunes élèves avaient aussi perdu la vie dans des manifestations, notamment à Sikasso (au sud du pays). Face à l’ampleur de la répression, l’armée s’assume et mette fin au règle du Général Moussa Traoré le 26 mars 1991. On parlera alors de la «Révolution de Mars» parachevée par le putsch du Lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré dit «ATT». Un Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP) est mis en place. Le 8 juin 1992, le premier président démocratiquement élu du Mali est investi. Il s’agit d’Alpha Oumar Konaré.
Emprisonné à Markala (Ségou), GMT a été au cœur de deux procès retentissants : crimes de sang et crimes économiques ! En effet, en février 1993, lors d’un procès qualifié de Nuremberg malien, il est condamné à la peine de mort pour crimes de sang commis entre janvier et mars 1991. Selon des observateurs, il devenait ainsi le premier chef d’État africain à devoir répondre de ses actes devant la justice de son pays. Ayant été condamné à mort, ainsi que son épouse Mariam, Moussa Traoré est déchu de ses droits civiques et ne peut donc pas voter. Il considère cependant avoir été condamné pour des crimes qu’il n’a pas commis, et avoir été la victime d’un complot politique. Pour lui, le massacre du 26 mars 1991 a été orchestré par l’opposition politique et les socialistes français (François Mitterrand et son épouse Danielle) qui auraient fait venir des mercenaires au Mali afin de le déstabiliser.
Le président Alpha Oumar Konaré va commuer sa peine en prison à vie le 21 septembre 1999 puis, en mai 2002, le gracier. Accusé d’avoir détourné pendant son règne plus de 2 milliards de dollars d’argent public, il a dû répondre aussi de «crimes économiques».
Moussa Traoré sera définitivement réhabilité par Amadou Toumani Touré qui le taxe de «Grand Républicain» lors de son investiture le 8 juin 2002. Et depuis, l’illustre disparut vivait dans une grande villa du quartier Djicoroni-Para à Bamako offerte par le gouvernement malien car jouissant du statut d’ancien chef de l’Etat.
Pendant sa détention, il avait jeté son dévolu sur les saintes écritures du Coran. C’est donc un homme très pieux, toujours humble et modeste, que les Maliens vont découvrir à sa libération. Et ces derniers temps, il était devenu très influent car régulièrement consulté et écouté par les dirigeants du pays. Au début de la récente crise sociopolitique, qui a abouti au coup d’Etat du 18 août 2020, il avait ainsi reçu chez lui le président Ibrahim Boubacar Kéita et l’Imam Mahmoud Dicko en leur conseillant de s’asseoir pour discuter en privilégiant le Mali. Et sa dernière sortie publique remonte sans doute à rencontre avec le Colonel Assimi Goïta du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) et ses compagnons qui lui avaient rendu une visite de courtoisie pour lui demander conseils afin d’éviter les pièges.
C’est dire que le Général était parvenu à faire l’unanimité au sur ses qualités d’homme d’Etat ces dernières années. Avec lui, disparaît donc un pan important de l’histoire politique contemporaine du Mali du Mali qu’il marqué de son empreinte.
Mon Général, repose en paix dans la grâce éternelle d’Allah !
Moussa Bolly