La décision malienne ouvre la voie au déploiement de cinq bataillons (3 300 militaires) fournis par les Etats membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao, l’organisation régionale). Elle se faisait attendre depuis des mois. Mais lundi à New York, en marge de l’Assemblée générale annuelle des Nations unies, le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, a enfin pu annoncer que le président malien par intérim, Dioncounda Traoré, a demandé au secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, une résolution du Conseil de sécurité autorisant « l’intervention d’une force militaire internationale afin d’aider l’armée malienne à reconquérir les régions du Nord occupées ». Selon le chef de la diplomatie française, le « Mali souhaite la présence immédiate de cette force ».
« Pour la première fois, une espérance se lève », a soupiré M. Fabius. Il y a peu en effet, le Mali appelait à l’aide mais refusait de voir des troupes étrangères stationner à Bamako. Sous couvert de défendre sa souveraineté nationale alors que le pays est dans un état de décomposition avancé. Dimanche, le Mali a finalement cédé à la pression de la Cédéao qui, depuis des mois, soutient le principe d’une intervention militaire au nord du Mali pour limiter tout risque de contagion régionale.
CASSE-TÊTE OPÉRATIONNEL
L’accord, sorti aux forceps et dont plusieurs points restent à finaliser (définition de la chaîne de commandement et du concept opérationnel de l’intervention militaire), servira de base à la future résolution qui sera proposée au plus vite au vote des quinze membres du Conseil de sécurité.
Si elle est adoptée, le plus dur restera à faire. « La Cédéao a beaucoup de mal à réunir les 3 300 soldats promis, d’autant que les desiderata financiers des chefs d’Etat potentiellement contributeurs sont énormes et que pas mal de leurs armées sont en limite de rupture », indique une source proche du dossier.
Se posera ensuite un casse-tête opérationnel. Bamako veut que l’armée malienne soit en première ligne. Sauf qu’il faudra d’abord en reconstituer la base sur les ruines de sa débandade lors de l’offensive rebelle de la mi-janvier, et que des clans se déchirent sa dépouille depuis le coup d’Etat militaire du 22 mars. Et rien ne dit que ses forces, appuyées par le contingent de la Cédéao, seront capables de reconquérir le Nord aux mains de quelque « 6 000 combattants islamistes », selon l’évaluation d’un haut responsable français. Conscients de leurs faiblesses, la Cédéao et le Mali attendent d’ailleurs un soutien matériel massif et multiforme (formation, renseignement, aviation de transports et de combats…) de la part de la France, principalement.
Or, si la France est très préoccupée par la situation au Mali – elle est à l’origine du sommet sur le Sahel convoqué en marge de l’Assemblée générale de l’ONU le 26 septembre –, elle ne souhaite pas non plus se mettre trop en avant. Pour trois raisons : échapper aux accusations de réflexes néocolonialistes, ne pas alourdir le dossier des quatre otages français détenus au nord du Mali par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et éviter d’apparaître va-t-en-guerre contre des groupes islamistes à l’heure de spasmes anti-occidentaux dans le monde musulman.
« LA CIBLE D’UN NOUVEAU 11-SEPTEMBRE POURRAIT ÊTRE LA FRANCE »
Dans le même temps, le risque terroriste contre des intérêts français dans le Sahel est jugé maximal. Un attentat contre l’ambassade de France à Nouakchott (Mauritanie) aurait déjà été déjoué récemment. Le Sahel est en train de devenir un sanctuaire de réseaux terroristes, et « demain, la cible d’un nouveau 11-Septembre pourrait être la France », s’inquiète un diplomate.
D’où l’effort de Paris pour se camper en « facilitateur » – « la France ne sera pas en première ligne », répète Laurent Fabius – et rallier des partenaires. Or, côté français, on explique avoir eu le plus grand mal à attirer l’attention de l’administration Obama sur cette zone. L’assassinat de l’ambassadeur américain en Libye, le 11 septembre, aurait contribué à mieux focaliser les esprits à Washington, « des éléments venus du Mali » ayant été associés à cette attaque, d’après un haut responsable français. Selon le centre de réflexion International Crisis Group (ICG), les Etats-Unis adoptent une attitude prudente, guidés par leur principe de non-collaboration avec des gouvernements issus de coups d’Etat, comme c’est le cas des actuelles institutions de transition au Mali.
La position américaine est pourtant « centrale », insiste-t-on de source française. Ne serait-ce que pour franchir l’étape du Conseil de sécurité. Il faut aussi convaincre les Russes, sur le thème de la lutte contre le terrorisme mondial, et leur assurer qu’il ne s’agit pas d’une opération de changement de régime, la hantise de Moscou depuis la guerre en Libye.
ATTITUDE AMBIGUË D’ALGER
Un jeu délicat semble être à l’œuvre entre Paris et Washington. Les Américains, tout en ayant déjà déployé des moyens de surveillance (drones) dans la région, souhaitaient ces derniers mois que la France « règle le problème » du Sahel, selon une source proche des milieux de défense français. A défaut, l' »Africa Command » américain entrerait en jeu à sa façon, jugée peu regardante sur les dégâts collatéraux. Quant aux Britanniques, ils ont récemment pris la mesure du risque de déstabilisation régionale, les yeux tournés vers leurs intérêts au Nigeria et en Sierra Leone, potentiellement menacés par la prolifération de groupes armés islamistes.
En revanche, l’attitude ambiguë d’Alger suscite un grand embarras à Paris. Mais l’Elysée veut éviter de polluer ses relations avec l’Algérie, opposée à une intervention armée au Mali. « L’Algérie, qui a tant souffert du terrorisme, adopte une politique pouvant être assimilée dans la région à de la bienveillance envers le terrorisme ! », se désole un officiel français. Et de laisser entendre que, si l’Algérie se montrait constructive, le problème du Sahel pourrait être résolu rapidement et « sans engagement de moyens militaires non africains. »
Natalie Nougayrède et Christophe Châtelot (avec Alexandra Geneste, à New York)
Le dispositif de la Cédéao prévu au Mali
Mandat Les troupes de la Micéma (Mission de la Cédéao au Mali) interviendront « sur le terrain du Nord (où) elles appuieront les troupes maliennes ».
Les 3 300 soldats promis par la Cédéao, répartis en cinq bataillons, seront stationnés au sud, à Bamako ou dans sa plus proche périphérie, probablement la base de Koulikoro. Par ailleurs, une unité mixte police et gendarmerie d’une centaine d’hommes, assurera la sécurité de la représentation spéciale de la Cédéao et le QG de la Micéma à Bamako.
Pays contributeurs La Côte d’Ivoire, le Nigeria et le Burkina Faso sont pressentis pour fournir l’essentiel des troupes.
Aide étrangère La Cédéao et le Mali comptent sur une aide de la part de pays extérieurs à cette organisation. L’accord évoque notamment l’appui aérien demandé à la France. Paris a promis une aide logistique (transport, renseignements, formation…). Les Etats-Unis et les Britanniques seraient mis à contribution.
Un émissaire de l’ONU pour le Mali ?
Le président français, François Hollande, et le secrétaire général des Nations unies, BanKi-moon, ont évoqué, lundi 24 septembre à New York, la possibilité de nommer un émissaire de l’ONU pour le Mali.
La personnalité qui pourrait occuper cette fonction tout comme le moment que pourrait choisir Ban Ki-moon pour annoncer cette nomination n’ont toutefois pas été précisés lors de cette rencontre, selon l’entourage de M. Hollande qui devait prononcer, mardi, son premier discours devant l’Assemblée générale de l’ONU.
Paris espère que la conférence internationale sur le Sahel que réunira, mercredi, à New York, Ban Ki-moon, marquera un « tournant important » dans ce dossier. –
(AFP.) 25/09/2012