LE MALI APRÈS LE 18 AOÛT 2020: Les Maliens toujours divisés sur la voie à suivre pour aboutir à une gouvernance vertueuse

Colonel-Assimi-Goïta

Après avoir contraint le président Ibrahim Boubacar Kéita dit IBK à dissoudre l’Assemblée nationale et à présenter sa démission, le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) a égrené un chapelet de griefs pour légitimer son acte. Et beaucoup de Maliens se sont ainsi retrouvés dans ce triste tableau peint et ont beaucoup misé sur la transition pour remettre le pays sur les rails. Mais, un an après la chute du président Kéita, le pays est toujours dans le starting-block du changement parce que les acteurs de la transition ne parviennent pas encore à accorder leurs violons et laisser de côté les ambitions personnelles et les intérêts corporatistes pour se concentrer sur l’essentiel. 

 Le peuple malien doit-il se préparer à une nouvelle désillusion ponctuée par un retour à la case-départ (coup d’Etat) dans quelques années encore ? En tout cas, l’espoir suscité par la prise du pouvoir par le CNSP le 18 août 2020 commence à être ébranlé parce que rien ne présage d’une sortie rapide du bout du tunnel. A part la justice qui, à travers surtout le Tribunal de Grande instance de la Commune IV, commence à manifester le signe d’une encourageante rédemption, les lignes sont loin de bouger dans le sens attendu par la majorité des Maliens prise à la gorge par les difficultés de la vie quotidienne.

Et malgré la montée en puissance des Forces armées maliennes (FAMa), l’insécurité gagne du terrain au point de mettre en péril la campagne agricole. En effet, au centre et de plus en plus au sud, la peur des présumés jihadistes empêche les populations de se livrer à leurs activités agricoles. Ce qui ne présage pas de lendemains meilleurs pour le pays qui importe l’essentiel de ses besoins alimentaires même en cas de bonnes récoltes.

Et pendant ce temps, ceux qui doivent se donner la main pour la réussite de la transition en cours sont profondément divisés. Et ce n’est pas forcément à cause de l’intérêt national. La durée de la transition, l’organe unique de gestion de la transition, les réformes à mener… Tout divise aujourd’hui les acteurs de la transition (le gouvernement, les militaires, la société civile et la classe politique…). Et l’actuel Premier ministre s’est lancé dans une véritable tournée de propagande comme s’il tirait sa légitimité d’un pouvoir élu et non transitoire. Et même s’il obtient la prolongation de la transition, il doit pourtant toujours avoir à l’esprit que le temps n’est pas son meilleur allié.

Et surtout que nous avons perdu 7 mois parce que les «Colonels» ont cédé à la tentation de reprendre la transition à leur compte après que des politiques (M5-RFP) et des syndicalistes (UNTM) se sont donnés la main pour bloquer le gouvernement de Moctar Ouane dans ses initiatives et actions. Ce qui fait que même les questions déjà tranchées sont présentement remises sur la table. Il s’agit notamment de la durée de la Transition. Sans cette «rectification», on n’allait pas perdre toute cette énergie dans un débat stérile.

 

Divergence sur la nécessité ou non de prolonger la transition

Ainsi, à l’issue d’un atelier tenu les 9 et 10 août 2021 sur les réformes politiques et institutionnelles, les membres du Conseil national de Transition (CNT) ont manifesté leur soutien à une prolongation de la durée de la transition. Une idée rejetée par l’immense majorité de la classe politique qui appelle au maintien de la durée initiale de 18 mois à partir du 15 septembre 2020 comme validé par la Cédéao et la communauté internationale. Pour elle, prolonger la transition serait exposer le pays à une aventure aux lendemains incertains.

«Nous sommes opposés à toute forme de prolongation de la durée de la transition», a confié à maliweb.net Amadou Koïta, président du parti Socialiste Yeleen Kura. L’ancien ministre de la Jeunesse et de la Construction citoyenne avait précisé que cette position est partagée par plus de 80 partis politiques lors d’une rencontre tenue le 11 août dans un hôtel de la place.  «La transition prend fin le 25 mai 2022. Et à partir de cette date on considère qu’il y a plus d’autorités au Mali», a glissé un autre participant qui avait ajouté que la prolongation se fera à une seule condition : «balayer tous ceux qui sont au pouvoir afin de les remplacer par des hommes et des femmes compétents qui vont organiser les élections au bout de 3 mois. On ne va pas faire prime à l’incompétence» !

Les membres du CNT seraient sur la même longueur d’ondes que le CNSP et le gouvernement qui jugent judicieuse une prolongation de la durée de la transition. D’ailleurs, sans cela, on ne sait comment le Premier ministre pourrait mettre en œuvre son trop ambitieux Programme d’Action du gouvernement (PAG) adopté par le CNT le 2 août 2021. La création d’un organe unique de gestion des élections divise également les acteurs de la transition. Le gouvernement de Moctar Ouane avait été très clair : le délai imparti à la transition ne permettait pas cela ! «Sa mise en place et son opérationnalisation prendront au moins 18 mois», assure un responsable politique.

Mais, la stratégie mise en place par le gouvernement en place est de prolonger la transition pour mettre en place cet organe unique de gestion des élections et procéder à des réformes politiques et institutionnelles.  Et les Assises nationales (une de plus) de la refondation est la stratégie trouvée pour faire avaler la couleuvre de la prolongation à l’opinion nationale et à la communauté internationale.

Il faut surtout avoir à l’esprit que cet organe ne saurait être une fin en soi. Et surtout que ceux qui y sont favorables  cherchent plutôt à diaboliser une corporation qui n’a aucune maîtrise sur les résultats proclamés à la fin du processus à cause de la malhonnêteté des acteurs politiques.

«Les administrateurs territoriaux sont irremplaçables dans l’organisation des élections dans un pays aussi vaste et enclavé que le Mali, ne les diabolisons pas. Il appartient aux autres parties prenantes du processus électoral surtout les partis politiques, de bien tenir leur place», a averti Dr Ousmane Sy, ancien ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, expert en réformes administratives. Il a d’autant plus raison que nous savons tous que le problème électoral malien n’est ni plus ni moins qu’une question d’homme ; de manque de vision politique poussant certains à gagner les élections autrement que par les suffrages exprimés.

«Ce n’est pas l’organisation des législatives 2020 qui était en cause dans la crise sociopolitique ayant abouti aux événements du 18 août 2020, mais la modification des résultats issus des urnes par la Cour constitutionnelle», rappelle ainsi un diplomate africain qui est un fin observateur de la classe politique malienne.

Il est plus que jamais temps que les acteurs s’entendent sur la voie à suivre pour sortir de cette mauvaise passe, pour refonder efficacement l’Etat en instaurant une gouvernance vertueuse. Et cela en ayant à l’esprit qu’une transition ne peut pas et ne doit pas être prise comme la solution à tous les problèmes d’un pays. Mais à défaut de tout faire, le peu réalisé doit l’être avec rigueur pour contraindre le prochain régime à n’avoir d’autres alternatives que de poursuivre la refondation dans une démarche inclusive.

Et n’oublions surtout pas que l’échec de cette transition ne sera pas seulement à l’actif de ceux qui sont au devant de la scène, mais de tout le peuple malien parce que cela nous mènera dans une nouvelle aventure aux conséquences désastreuses pour notre nation.

Moussa Bolly