L’Algérie est-elle en train de devenir un piège mortel pour les migrants ouest-africains refoulés de l’enfer libyen ou en partance vers un hypothétique eldorado européen ?
A cette question qui n’est plus tabou, il est difficile de répondre autrement que par l’affirmative. Au regard des derniers développements de la crise migratoire et en violation flagrante de son devoir de solidarité et d’assistance fraternelle à des personnes en détresse, l’Algérie pratique à leur encontre ce qu’on pourrait qualifier, sans excès de langage, d’embastillement, de séquestration, de maltraitance et de déportation. N’ayons pas peur des mots ; ils ont leur sens et ce n’est pas de gaieté de cœur qu’on alignerait autant d’expressions fortement connotées qui rappellent le triste souvenir de la barbarie humaine du siècle dernier.
Les témoignages de ces hommes et femmes – parfois en familles -, ballotés des confins du Sahara aux rivages méditerranéens et de Charybde en Scylla, sont émaillés de récits dont il ressort que, outre les violences habituelles exercées à leur encontre par les passeurs, ils sont en plus traqués, humiliés, dépouillées de leurs biens et traités comme des sous-êtres par la force publique algérienne.
Apparemment, ce pays prendrait du plaisir à expérimenter une nouvelle forme de racisme d’État qui lui permettrait, le temps d’un feu de paille et pas plus, de détourner l’attention de son opinion de la grave crise socio-économique et politique qui couve depuis plusieurs mois, et dont tout le monde sait qu’elle pourrait déboucher sur une explosion sociale aux conséquences incalculables.
Au motif qu’elle défend ses frontières contre des groupes terroristes qui sont en réalité, secret de Polichinelle, des Monstres de Frankenstein, l’Algérie organise depuis plusieurs semaines voire des mois, une chasse systématique et méthodique aux Noirs.
Jusque-là, les Etats africains au Sud du Sahara dont les nationaux sont ainsi pris au piège, « observent la situation avec préoccupation ». Qu’on ne s’y trompe pas ! Cette formulation diplomatique policée est habituellement utilisée pour parler de situations graves. Dans une autre phase, les diplomates algériens en poste dans ces pays pourraient être convoqués aux Ministères en charge des Affaires étrangères ou de la Coopération pour s’entendre dire qu’une ligne rouge est atteinte ou le sera. Enfin, ultime moment, des émissaires de ces pays afflueraient à Alger, porteurs de messages, pour exprimer, là-aussi, la « préoccupation » de leurs autorités respectives.
Des pays comme le Mali, le Niger, le Sénégal ou le Burkina Faso qui sont en première ligne, n’ont pas d’autre choix que de donner un gage à leurs opinions nationales respectives qui ne s’embarrassent guère de formules diplomatiques ampoulées pour crier leur désarroi et leur colère. Ces opinions sont drivées par des collectifs qui bougent et organisent des conférences de presse et mettent la pression sur le pouvoir politique. Ainsi de trois organisations maliennes qui ont co-animé une conférence de presse le 21 octobre dernier à Bamako pour « protester contre la maltraitance de [nos] compatriotes par les autorités algériennes et libyennes et inviter le gouvernement à sortir de son silence et inactivité ». Ces organisations sont le Conseil Supérieur de la Diaspora Malienne (CSDM), le Front International des Sociétés civiles Panafricain (FISPA) et l’Association Malienne des Expulsés (AME). Leurs propos sont souvent si durs que nous n’osons pas les reproduire.
Non seulement les gouvernements africains entendent cette grogne et ces suppliques de leur rue, mais en plus, ils agissent aussi concrètement pour leur apporter des réponses appropriées. En effet, le gouvernement de Bamako a annoncé récemment avoir organisé carrément des convois de bus pour extraire certains de ses nationaux du bourbier algérien et s’apprête à mettre en place un pont aérien à cette même fin. Et d’autres pays prennent des initiatives similaires pour tenter de soulager la souffrance de leurs ressortissants qui traversent un vrai cauchemar en Algérie.
A s’y méprendre, on se croirait revenu aux tristes années 70 et 80 où, sur le continent, quelques pays avaient expulsé massivement des étrangers, simples boucs émissaires d’une crise qui leur était totalement étrangère.
Husain Edwards,
Freelance, Analyste (Bruxelles)
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