Quant aux notables de la ville, ils étaient eux aussi « hors réseau ». Selon des informations concordantes, les Intallah, -chefs traditionnels de l’Adrar- et les représentants politiques d’Ansardine et du Mnla se réunissaient, depuis mercredi 2 mai, à quelques kilomètres de Kidal pour régler définitivement, ce que notre source appelle « le problème Aqmi ». Un vrai problème, s’il en est.
Car vendredi, la présence à Kidal de chefs salafistes algériens était confirmée. «Ils étaient en ville encore dimanche, l’air préoccupé et faisant des mouvements en ville » jure le futur exilé. Quels chefs ? Moktar Belmoktar est cité lui qui ne vient pas souvent dans l’Adrar, car la khatibat qu’il dirige s’occupe de l’Ouest s’étendant de la Région de Tombouctou à la Mauritanie. Autre présent : Abuzeid, le chef de Khatibat Est qui va de l’Adrar au Niger. Lui est un familier de la zone qui avait, dit-on, établi sa base des imprenables contreforts montagneux de Tegargar. C’était aux temps incertains de la clandestinité. Une période apparemment révolue puisque la grande nouvelle c’est Abou Alghama connu également sous le nom de Makhlouvi Nabil, n’a pas hésité lui-même à quitter les montagnes kabyles pour venir à Kidal où il apprécie, semble t-il, le lait de chamelle. Nabil est depuis novembre 2011 le chef de l’Emirat du Sahara qui remplace l’ancienne appellation de zone 9. On lui prête le rapt des cinq occidentaux enlevés en novembre à Hombori et Tombouctou.
Le patron Nabil dans l’Adrar
L’attaque de Bassiknou en juillet 2011 c’était aussi lui. Homme de confiance du grand patron de la nébuleuse jihadiste, -Droudkel-, le chef de l’Emirat du Sahara, élit-il domicile à Kidal ou s-y trouve t-il en simple revue des troupes ? Les Kidalois ne savent pas. Ils savent seulement que leur ville n’est plus la même et que l’islam rigoriste prôné par les salafistes n’est pas le bienvenu. C’est contre cela que « des autochtones qui n’ont jamais quitté la ville prennent le chemin de l’exil » s’indigne notre informateur. C’est aussi contre cela que se battent deux femmes admirées pour leur courage -Aminétou et Assi, prisonnières Mnla récemment libérées par Bamako- Elles n’ont de cesse de transgresser les consignes austères des islamistes. « Pas de tam-tam -le fameux tendé touareg- », avait décrété la police d’Aqmi. « Le tendé ne se taira pas » avaient bravé ces passionarias nomades qui viennent de s’illustrer par un autre haut fait.
Elles viennent de mettre la main à Inkalil et renvoyé à Gao le camion-incendie de l’aéroport local subtilisé lors de la chute de la cité des Askia. Les jeunes de Kidal ne veulent pas non plus baisser les bras, comme le prouve cette anecdote : en avril, les jihadistes arraisonnent un groupe d’ados qui portaient des pantalons arrivant au niveau de la cheville. « La longueur règlementaire du pantalon c’est au niveau du mollet ». Exaspérés, les jeunes enlèvent leurs pantalons et les tendent aux brigadiers de Dieu, avec ces mots désabusés. « gardez-les, mais si nous devons continuer à porter les pantalons, c’est à nous de décider de la longueur ». Visiblement coincés, les jihadistes rendirent les habits. Un signe de défaite ? Non, car à Tombouctou, plus au Sud, la police religieuse édicte de nouvelles règles qui ont créé l’émoi et l’indignation avant peut-être la révolte. Pas de recueillement sur les tombes, pas de statues ou de monuments, pas d’invocations de noms de saints. En somme, la guerre ouverte contre l’Islam soufi dans une ville qui est la Mecque du soufisme. Face au Mnla désapprobateur mais impuissant pour l’instant. Et au grand dam d’Ansardine obligé d’admettre en privé qu’il est bien aujourd’hui l’arroseur arrosé.
Adam Thiam
Le Républicain Mali 07/05/2012