LE DECLIN ECONOMIQUE PROGRAMME DU MALI, SAVANT RESULTAT D’UNE JUNTE INCAPABLE

Alousséni SANOU ministre de l’Economie et des Finances. 2021

Jusqu’où la descente aux Enfers ?
Insécurité grandissante, morosité économique, mauvaise gouvernance, manque de
perspectives démocratiques, étouffement diplomatique… le Mali souffre terriblement d’un
mal profond ! Un mal profond qui conduit le pays inexorablement vers une descente aux
enfers. Quelle angoisse pour le peuple malien et quel exemple pour la jeunesse malienne à
l’heure où il faudrait tout tenter pour sauver le pays de la débâcle économique et
démocratique qui le menace ! Car désormais le Mali est à la croisée des chemins, il
redresse la barre où il sombre définitivement. Hélas pendant ce temps-là, les colonels qui
se sont emparés de Koulouba n’ont qu’un souci, verrouiller leur emprise sur le pouvoir
politique.
Jusqu’où ira cette plongée dans les abîmes ? Voilà une terrible interrogation d’autant que
tout cela était malheureusement prévisible pour un pays dans lequel, il y a trois ans, les
militaires s’emparaient du pouvoir par la force des armes et s’installaient à Koulouba,
promettant un retour rapide des civils au pouvoir. Hélas l’échec est là, et même si nul n’était

dupe de l’incapacité de la junte à gouverner le Mali, leur irresponsabilité nous a conduit au
bord du gouffre.
Comme d’habitude, on attise le sentiment de haine, on cherche des coupables, boucs
émissaires faciles, pour mieux masquer l’échec total d’une gouvernance qui a failli sur tout
et qui, au final, compromet lourdement et durablement l’essor économique du pays. Le seul
et unique projet de la junte, depuis qu’elle s’est installée à Koulouba, a été de se maintenir
au pouvoir, et hélas elle y a réussi. Et le report de l’élection présidentielle, pourtant
programmée à partir d’engagements réaffirmés de la junte de Kati, en est une preuve de
plus. Mais ça n’est une surprise pour personne. Comme toujours, cette décision, et plusieurs
autres du même genre, a été prise sans concertation aucune des acteurs nationaux,
confirmant ainsi l’exercice solitaire du pouvoir et la pratique d’exclusion systématique mis
en œuvre depuis le 20 août 2020.
Les militaires à l’épreuve du pouvoir politique ou l’incapacité de la junte !
La méthode est bien connue, elle a été implantée et déroulée sans obstacles à l’intérieur du
pays, les ‘’oppositions’’ ayant été réduites par intimidation et pratiques de lynchage,
opprobre et anathème populaires suscités et organisés. Mais sur le plan diplomatique,
notamment pour ce qui est des relations avec l’extérieur, la junte a très vite montré ses
limites, les actions se résumant à des fanfaronnades et des menaces confinant au comique.
Ainsi on a pu le constater quand le Mali ‘’exigeait’’ une réunion d’urgence au Conseil de
Sécurité des Nations-Unies, parce qu’il avait des preuves flagrantes à présenter d’urgence
contre l’ancien colonisateur. Bien sûr, on attend toujours les fameuses preuves. Le seul
résultat diplomatique obtenu est un isolement total du pays mis à part l’arrivée d’un allié
sans scrupule, la milice Wagner, qui coûte bien cher à la population.
A l’évidence, une telle posture de désinvolture face à l’effondrement de la nation malienne a
quelque chose d’indécent, d’autant plus qu’elle entraîne de façon inexorable l’accélération
du processus de délitement du pays, autant pour son état général que pour son économie.
Un état de délabrement récurrent qui ne fait qu’aggraver d’ailleurs la précarité des
entreprises, tandis qu’on trompe la confiance de la population en la gavant des slogans
creux d’une Russie messianique. Du coup les Maliens peinent à sortir d’une léthargie
savamment entretenue pour constater que les promesses se succèdent et se multiplient,
sans jamais aucun résultat si ce n’est celui de l’échec.
Pendant que le pays s’enfonce sans perspectives économiques et démocratiques crédibles,
on assiste au triomphe de l’imposture panafricaniste, alimentée par l’inimitié généralisée
envers tous et qui devient, à coup de publicité outrancière, le fonds de commerce de
certains intellectuels maliens refusant tout jugement objectif et critique qui permettrait
d’enclencher la réflexion sur les conditions d’un retour à l’ordre normal des choses.
Il est consternant de voir ces gens-là continuer à nourrir les Maliens d’un tel combustible qui
consume progressivement le pays.
Radios et médias fermés pour des voix discordantes

Face à ce chaos, c’est la population malienne, dans son ensemble, qui souffre ; c’est celle-là
même qui reste silencieuse parce qu’elle ne peut faire autrement dans un pays où la
répression demeure l’unique réponse à toute voix discordante ; cette pauvre population
dont en définitive plus personne ne parle.
La réécriture de l’histoire, logiciel fidèle de toute dictature qui se respecte et qui cherche la
domination absolue des consciences, a été conçue, planifiée et mise en œuvre dans le pays,
avec cette polémique enflammée tournant autour du mythe du « bon » ou du « mauvais »
malien. Selon la position exprimée, pour ou contre la junte militaire de Koulouba, on est bon
ou mauvais malien.
A l’image de Poutine avec Staline, les militaires de la junte ont bien tenté de réhabiliter le
général Moussa Traoré, ancien président, renversé par une insurrection populaire dans les
années 90. Ils l’ont effectivement fait, en sachant pertinemment que Moussa Traoré n’était
pas un démocrate. Ils n’ont pas hésité à le couvrir d’éloges, mais en l’encensant, c’est eux-
mêmes aussi qu’ils pensaient encenser puisqu’il leur ressemble.
Bientôt, il ne sera pas outrancier de conclure que, dans un tel contexte surréaliste, les radios
et les médias qui ne participent pas à la propagande officielle seront tout simplement
fermés. Pour les militaires de la junte, imbus de leur ‘’supériorité’, ce ne sera que conforme
à leur réalité.
Dans ce triste panorama, la vraie question qui doit tarauder en ce moment l’esprit de la
jeunesse malienne est de savoir où nous en sommes réellement aujourd’hui dans notre
pays ? C’est en effet cette interrogation, indispensable compte tenu de la réalité du pays, qui
doit être posé si on veut dessiller les masses populaires et les sortir de l’illusion
soigneusement entretenue pour endormir les consciences.
La confrontation des faits, une fois passée l’euphorie des diatribes et des offenses, amène à
prendre conscience qu’il ne suffit pas de dire qu’on n’a pas besoin de tel ou tel pays, comme
la France ou la communauté internationale d’une manière générale, pour offrir un avenir à
la jeunesse du pays et aux entreprises maliennes.
Nous avons en fait sous les yeux chez nous la parfaite illustration d’un pouvoir qui craint et
donc muselle la presse parce qu’il ne veut tout simplement pas que soient mises à nues ses
défaillances et révélées ses limites ?
L’armée, comme l’administration est rongée par la corruption
Aujourd’hui, à l’épreuve des faits et de la situation délétère généralisée, on s’aperçoit hélas –
des limites et de l’inanité de cette idée partagée par une partie de la jeunesse qu’il vaut
mieux les militaires au pouvoir plutôt qu’une démocratie malade. La tendance, au
demeurant cultivée par la junte de Kati non sans un certain succès d’ailleurs au sein d’une
population déboussolée par ses nombreuses attentes inassouvies et par l’absence de
perspectives, fait croire ou supposer que l’armée n’est pas malade. Cette propagande tend
également à faire croire que l’armée n’est pas rongée de l’intérieur comme la démocratie,
n’est pas atteinte par la corruption gangreneuse des élites civiles et militaires, la concussion,
la mauvaise gouvernance…

On ne le dit pas assez, mais plus que partout ailleurs, quelles que soient les secteurs
d’activités, c’est au sein de la supposée grande muette que les faits de corruption et de
détournements financiers sont les plus importants. Ils sont en fait d’une ampleur
inimaginable comme il l’était au sein de l’équipe au pouvoir renversée il y a trois ans par la
junte. Il est donc évident que ce n’est pas en tuant le malade, c’est-à-dire en s’emparant du
pouvoir par la force des armes, que l’on peut résoudre le problème de la corruption au sein
du pays. La junte essaie juste de persuader que la maladie n’existe plus.
C’est grave, car dans le même temps, le mal se métastase et la gangrène se généralise. La
triste illustration en est qu’aujourd’hui, minée par une profonde crise de confiance de ses
principaux partenaires économiques et financiers, le Mali n’arrive même plus à lever des
fonds substantiels pour investir dans le développement de son économie. Plus personne ne
fait confiance au Mali.
Il est de notoriété publique que l’armée doit rester fonctionnelle, disciplinée, prête en tout
temps à recevoir des ordres et agir. Ainsi, dans cette optique, si on lui demande beaucoup, il
est impérieux de lui mettre à disposition les moyens en adéquation. Dans un sens, comme
dans l’autre, on remarque aussi que lorsque l’outil militaire est doté de moyens colossaux, il
finit par décider de tout, et automatiquement le pouvoir politique s’affaiblit, se trouvant
progressivement en décalage entre la réalité et sa perception de la réalité.
Dans un tel scénario, la catastrophe n’est pas loin, et il faut s’attendre alors à la fin de la
démocratie, de l’ordre économique et financier, de la libre entreprise. C’est hélas le règne
d’une administration publique défaillante et désordonnée qui s’installe dans le pays.
C’est donc avec force que je conseille, ici, la libération de tous les opérateurs économiques
détenus en prison. Il y va, je le crois, une fois encore de la crédibilité de la transition et du
devenir des acteurs de cette même transition. Il en va même du développement
économique du pays. Ces détentions ne font que provoquer colère et frustration. Or là
encore, je reste convaincu qu’on peut éviter de provoquer une quelconque frustration, en
sachant éperdument que c’est dans la frustration que naît la violence brute que l’on
rencontre très souvent en Afrique et que l’on redoute d’ailleurs toujours à la fin des régimes
sous nos tropiques.
Insécurité juridique et judiciaire récurrente
Et finalement, qui est le grand perdant dans cette affaire ? C’est une fois encore la jeunesse.
Une jeunesse flouée par des slogans creux et pompeux, elle constitue aujourd’hui une
véritable bombe à retardement. Lors de la rencontre sur l’initiative pour la Paix et la
Réconciliation, organisée par le PARENA le 23 septembre dernier au Grand Hôtel de Bamako,
je m’étais longuement appesanti sur cette question en assurant qu’une des meilleures
réponses pour combattre l’attraction djihadiste et extrémiste violente était l’offre et la
sécurité de l’emploi que le secteur privé pouvait apporter à la jeunesse.
Me basant sur mon expérience du milieu des affaires, j’avais alors déploré l’absence de
consultation du secteur privé dans la conception des stratégies d’avenir du pays. Pire, le
secteur privé malien est systématiquement objet de harcèlement fiscal et administratif, ce

qui rend très peu attractive la volonté d’investissement, voire d’engagement d’opérateurs
économiques. Cela ne peut être, bien sûr, dans un contexte de dynamique de
développement de leurs affaires et donc des activités économiques du pays.
Le constat d’évidence est aujourd’hui établi que les freins au développement de
l’entreprenariat privé constituent un vecteur puissant de pauvreté. A cette tribune sur
l’initiative de paix du PARENA, je n’avais pas manqué d’avertir, et c’est encore plus vrai
aujourd’hui que jamais, que l’accumulation des frustrations d’une jeunesse malienne sans
repères conduira indubitablement à la propension de la violence, comme expression des
difficultés de survivre face à la situation. Il est donc évident que les entreprises ont besoin
que soit immédiatement mis fin à l’insécurité juridique et judiciaire du monde des affaires.
De fait, la junte n’a jamais intégré le secteur privé malien dans l’accompagnement des
populations, or il possède une grande capacité en matière d’offre de services, notamment
pour la jeunesse. Dans le cas inverse, il est incontestable que le manque de développement
de l’activité économique facilitera l’offre de recrutement djihadiste.

Source:Alternance/Mamadou Sinsy Coulibaly, Président du Groupe Kledu ;