C’est un 24 mai 2021 que le Colonel Assimi Goïta et ses frères d’armes ont pris leurs responsabilités contre vents et marées de la communauté internationale, pour s’accaparer du pouvoir, pour la deuxième fois en l’espace d’un an. Ce deuxième coup de force qu’ils ont eux-mêmes baptisé rectification de la trajectoire, a permis d’écarter le colonel à la retraite Bah N’Daou et Moctar Ouane, respectivement Président de la Transition et premier ministre. Depuis ce jour les cinq colonels avec à leur tête Assimi Goïta, exercent la réalité du pouvoir au Mali. Un an après « la rectification » que peut-on retenir comme bilan ? Le Mali se porte-t-il mieux sous Assimi que sous Bah N’Daou ? Quelles peuvent être les perspectives pour un avenir radieux ?
Si tout démocrate et républicain doit condamner le coup d’Etat quel qu’il soit et sous n’importe quel prétexte, celui doublement perpétré par la junte militaire du CNSP, contre toute attente, a bénéficié d’un soutien populaire jamais égaler dans l’histoire récente du Mali. Ce qui a permis aux putschistes de jouir d’une certaine légitimité, éphémère soit-elle. Ce soutien populaire, loin d’être fait pour les beaux yeux des jeunes colonels, était tout simplement l’expression du rejet de la classe dirigeante qui n’a malheureusement pas été à la hauteur des attentes du peuple. Donc Rien que pour cela, le colonel Assimi Goïta et ses compagnons d’infortune ont le bénéfice du doute et jouissent d’une circonstance atténuante, malgré leur forfait. Mais ce chèque en blanc ne saurait être définitif si les causes qui ont été à la base de la chute de l’ancien régime demeurent toujours. Pour rappel, le double coup d’Etat d’Assimi Goïta a été cautionné par l’opinion dans le seul espoir de voir le Mali débarrasser de tous les maux qui empêchent son développement. Ces maux sont entre autres la mal gouvernance avec son corollaire d’insécurité grandissante, de corruption, de gabegie, de concussion, de chômage endémique, bref de sous-développement. Les fruits ont-ils tenu la promesse des fleurs ?
Un an après la rectification où en sommes-nous avec ces priorités ?
Tous les observateurs de la scène politique malienne s’accordent à dire que sur le plan sécuritaire il y a une certaine progression, car hier c’est l’ennemi qui attaquait les positions de l’armée malienne, mais aujourd’hui c’est l’armée qui le dénichait jusque dans son dernier retranchement. Les résultats obtenus sur le terrain sont tangibles, vérifiables et quantifiables. Donc indéniablement s’il y a une mention bien à donner à la transition de la rectification c’est bien entendu sur le plan sécuritaire. Les Forces Armées Maliennes, FAMA, dotées d’équipements adéquats, ont le moral au beau fixe et mènent leurs missions avec bravoure, professionnalisme et détermination, d’où l’expression « la peur a changé de camp ». Au-delà de ces prouesses incontestables de l’armée, le pays ne se porte guère mieux. Sous embargo de la CEDEAO et de l’UEMOA, le pouvoir d’achat du malien a drastiquement chuté. La crise sociale, avec son corolaire de vie chère, est la mère de toutes les autres crises, or aujourd’hui avec les sanctions de l’organisation sous régionale, qu’il soit dit en passant à cause de la stupidité des dirigeants maliens, le pays se trouve dans une situation extrêmement difficile. Malgré ce chaos indescriptible les autorités ont le toupet de clamer haut et fort qu’elles arrivent à tenir, car il y a le paiement régulier des salaires de 81 000 fonctionnaires pour une population estimée à plus de 20 millions d’habitants. La vie d’une nation se limiterait-elle au paiement des salaires ?
L’économie est à genou et le secteur privé meurt à petit feu
Au-delà des discours au relent populiste tendant à faire croire que tout va pour le meilleur du monde, les maliens souffrent véritablement, le pouvoir d’achat a baissé parce que l’économie est à genou. Le coton qui est le deuxième produit d’exportation après l’or, en dépit de la bonne performance avec plus de 350 000 tonnes connait des difficultés d’acheminement. Les deux ports, à savoir celui de la Mauritanie et le port de la Guinée n’arrivent pas à donner les résultats escomptés, car ils sont à moins de 3000 tonnes acheminées. Aujourd’hui la plus grande menace qui pèse sur le Mali est la mauvaise récolte de la campagne agricole prochaine, car les intrants agricoles manquent cruellement. Et pourtant les 2/3 de la population malienne vivent des activités agro-sylvo-pastorales, donc il y a véritablement péril en la demeure et ces populations sont menacées de famine. Elles ne sont pas les seules à être menacées, mais le secteur privé également connait les mêmes difficultés. Beaucoup de sociétés et entreprises privées ont déjà mis la clef sous le paillasson mettant au chômage de nombreux chefs de famille. Que dire du chômage des jeunes qui est presqu’endémique. En mettant bout à bout tous ces éléments négatifs qui sont susceptibles d’exacerber la tension sociale, il est nécessaire d’alerter les autorités pour éviter toute situation désastreuse. En répondant à la question de savoir si le Mali se porte-t-il mieux sous Assimi Goïta que sous Bah N’Daou, la réponse est simplement négative, car les seules prouesses militaires ne sauraient rendre le bilan positif.
Que faut-il faire en termes de perspectives pour sortir de cette crise ?
Il faut au prime abord, renouer le fil dialogue avec la CEDEAO, tout en parvenant à un compromis avec elle, lors du sommet du 4 juin 2022. Ensuite rassembler les maliens au-delà de leurs divergences d’opinion, de leurs prises de position autour de l’essentiel. Pour rappel le but ultime de ce rassemblement serait d’aboutir à un large consensus autour des grandes priorités du Mali. En effet, si le choix de la Russie, sur le plan militaire et même économique, est le souhait de nombreux maliens, il est tout aussi indispensable de coopérer avec toutes les autres grandes nations afin d’arrondir nos angles économiques et financiers et diversifier nos sources de revenus y compris avec la France. Donc une réconciliation avec tout le monde en général et avec nos pays voisins en particulier, s’avère nécessaire, voire indispensable. Si le Colonel Assimi Goïta veut sortir par la grande porte de l’histoire du Mali, il doit tenir compte de ces conseils et ne plus céder aux sons de sirène des laudateurs et autres flagorneurs qui ne sont mus que par leurs intérêts sordides.
Youssouf Sissoko
Source: Alternance