Le co-développement Europe-Afrique au menu du Forum des diasporas africaines

Ce 22 juin 2018, le Palais des Congrès de Paris accueille la toute première édition du Forum des Diasporas africaines. Organisée par des clubs de réflexion et des associations africains, en collaboration avec l’Institut de Prospective économique du Monde méditerranéen (Ipemed) et le magazine du commerce international Classe Export, cette rencontre invite les participants venus du monde économique et politique à réfléchir sur le rôle central que les diasporas africaines seront appelées à jouer dans le partenariat économique euro-africain renouvelé.

« Avec 8,5 millions de personnes réparties dans toute l’Europe, dont 3,5 millions en France, nous représentons un potentiel humain et économique hors du commun. Parce que nous avons grandi un pied ici, un pied là-bas, nous sommes empreints d’une double culture qui caractérise nos appartenances identitaires multiples, européennes et africaines : un atout pour relier nos deux mondes et mettre en commun des représentations de valeur solidaire… »

Ainsi commence la tribune publiée dans le quotidien Le Monde par le collectif d’associations franco-africaines qui organise, ce 22 juin 2018, un Forum inédit des diasporas africaines, à Paris. Longtemps reléguées à l’invisibilité et l’insignifiance, les diasporas africaines de France et d’Europe se proposent désormais de s’organiser, mobiliser et compter dans la vie publique pour, comme elles l’écrivent, « accélérer l’intégration des deux continents ». « Le moment est venu de mettre les diasporas au cœur du co-développement euro-africain », affirme Jean-Louis Guigou de l’association Ipemed qui pilote le Forum des diasporas africaines en collaboration avec Classe Export, le bimestriel francophone du commerce international.

« Depuis le 21 novembre dernier, lorsque l’Elysée a confirmé son parrainage pour cet événement, nous travaillons d’arrache-pied pour rapprocher les points de vue des membres du conseil d’orientation du Forum des diasporas, explique pour sa part Marc Hoffmeister, éditeur de Classe Export. Ce dernier ne tarit pas d’éloges sur la créativité et le dynamisme de la jeune génération de Franco-Africains avec lesquels ils ont monté le projet. « Leurs compétences seront un atout, ajoute-t-il, pour la mise en œuvre de la nouvelle vision du partenariat économique entre l’Afrique et la France que les dirigeants français veulent promouvoir depuis l’élection à la présidence d’Emmanuel Macron.  »

De l’arrimage au « mariage »

Une vision que partage à 100% Jean-Louis Guigou, initiateur du projet du Forum des diasporas africaines et fondateur de l’Ipemed, un think-tank qui œuvre pour le rapprochement des pays de l’Afrique, la Méditerranée et l’Europe. L’homme cite de mémoire les propos tenus par le président Macron, le 29 août 2017, devant les ambassadeurs de France : «  la stratégie que je veux mettre en œuvre consiste à créer un axe intégré entre l’Afrique, la Méditerranée et l’Europe… Nous devons arrimer ensemble, enfin, les continents européen et africain, à travers la Méditerranée, le Maghreb restera pour cela une priorité centrale pour la France… C’est en Afrique que se joue largement l’avenir du monde  ».

Jean-Louis Guigou va plus loin. Il n’hésite pas de parler de « mariage  » entre les deux continents pour mieux faire face aux défis des ensembles géo-économico-politiques en train de se mettre en place à travers le monde. « Je suis, confie-t-il, un militant forcené de la régionalisation de la mondialisation. C’est d’ailleurs ce qui est en train de se passer d’une part en Asie avec la Chine et autres dragons et tigres de la sous-région et avec les deux Amériques d’autre part. Sans la mise en place d’un axe Afrique-Méditerranée-Europe fort, l’Europe sera étouffée par le G2 sino-américain. Il y va de notre indépendance économique et de notre survie en tant que civilisation ». Pour Guigou, il n’y a pas de doute, «  ce sont les diasporas africaines qui seront les acteurs privilégiés de l’intégration euro-africaine » qu’il appelle de tous ses vœux. « Avec un pied au Nord et l’autre au Sud, ils sont plus à même que n’importe qui d’autre, croit-il, de susciter un désir d’Europe en Afrique et un désir d’Afrique en Europe, en réconciliant les anciens colonisés avec leurs anciens colonisateurs ».

La tribune que le fondateur de l’Ipemed a signé avec 18 autres personnalités dont la plupart des binationaux, ne dit pas autre chose lorsqu’elle affirme : « Les diasporas africaines sont créatrices de valeurs au Nord mais aussi au Sud. Au-delà du soutien économique à leurs pays d’origine, elles représentent un énorme potentiel pour les pays d’accueil en offrant des horizons nouveaux en termes de modes de production, de consommation et d’échange, de nouveaux marchés, en ressources humaines et en brassage des cultures favorisant la cohésion sociale ».

De l’invisibilité à l’émergence

Or la diaspora africaine n’a pas toujours eu bonne presse. Les Africains sont arrivés en France à la faveur de la colonisation, d’abord en tant que tirailleurs pour combattre les ennemis de la « mère-patrie » durant les grandes guerres, puis en tant qu’étudiants, enfin en tant que travailleurs pendant les premières décennies postcoloniales. Ils ont été ouvriers à la chaîne que la France des Trente Glorieuses était allée chercher aux fins fonds du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne pour faire tourner ses usines. Ils ont aussi été – et beaucoup le sont encore – balayeurs, éboueurs, préposés à des tâches subalternes. A ce titre, ils font partie d’une communauté noire invisible, victime de l’arrogance de leur société d’accueil. Bien qu’elles soient essentiellement composées de descendants de ces premiers arrivants, les diasporas africaines en Europe aujourd’hui ont gagné en visibilité à cause du haut niveau d’études et de compétences des nouvelles générations, formées en Occident, qui sont arrivées sur le devant de la scène.Combien sont-elles ? Selon l’Union africaine qui qualifie les diasporas africaines comme la « sixième région du continent », celles-ci se répartissent de la manière suivante : 112,65 millions de personnes en Amérique latine, 39,16 millions en Amérique du Nord, 13,65 millions aux Caraïbes et 3,51 millions en Europe. Les principaux pays d’accueil en Europe sont la France (à hauteur de 55%), le Royaume-Uni et l’Italie, suivis de l’Allemagne, la Belgique, le Portugal et les Pays-Bas.

Au poids démographique des diasporas africaines, s’ajoute le poids économique grandissant, comme en témoignent les transferts de fonds effectués par les migrants et les binationaux africains vers leurs pays d’origine. Selon l’African Institute for Remittances, ce montant s’élevait à 65 milliards de dollars pour l’ensemble du continent en 2017 contre 44,3 milliards en 2007. Qui plus est, cette somme dépasse l’aide publique au développement versée par les pays développés à l’Afrique, mettant en exergue le rôle fondamental désormais des diasporas africaines dans le développement du continent. Les experts soulignent toutefois que ces transferts de fond sont généralement affectés aux besoins quotidiens tels que soins, santé, scolarité, logements. Elles ne sont pas investies dans l’économie à travers la création d’entreprises ou encore le financement d’infrastructures.

Un autre problème que soulève la question de transferts de fonds par des particuliers vers le continent est celle des frais d’envoi qui restent plus importants en Afrique que dans le reste du monde puisqu’ils s’élèvent en moyenne à 10% de la somme envoyée. Ce chiffre atteint 14,6% en Afrique australe.

La grammaire du co-développement

Comment la manne financière des diasporas peut être mieux orientée pour que les économies africaines puissent en profiter ? Comment contraindre les deux grosses multinationales de transfert d’argent, à savoir le groupe Western Union et  Money Gram, via lesquelles l’essentiel des opérations de transfert d’argent vers l’Afrique sont effectuées, à pratiquer des taux plus justes sur le continent ? Telles sont quelques-unes des questions qui seront évoquées pendant les deux conférences et les quatre tables rondes qui ponctueront le premier Forum des Diasporas africaines qu’accueillera Paris ce 22 juin.

Au cœur des débats, rappelle Jean-Louis Guigou, « le nouveau rôle des diasporas africaines dans un paysage politique et économique remodelé par la mondialisation ». « Tout au long de cette journée, prévient l’organisateur, notre objectif sera de trouver les modalités d’un co-développement partagé entre la France et l’Afrique et au-delà entre l’Europe et l’Afrique, dont seul les familiers des deux régions, comme le sont les binationaux des deux continents, connaissent la grammaire  ».