Hama, soigné dans un hôpital de Bamako a de la peine à parler et à regarder ses visiteurs. De larges pansements barrent son buste et il ne peut qu’en remercier le ciel. Le 1er mai vers 17 heures, il fait partie des rares rescapés du carnage survenu au cimetière de Malimana où la communauté peul enterre quatre de ses morts, victimes eux aussi de l’Association des chasseurs du Kareri. Sur place audit cimetière, selon des associations peules et plusieurs résidents de la zone une dizaine de Peulh voire plus sont assassinés par une bande venue à motos et armée, semble t-il de kalach et de fusil de chasse. Le village de Malimana retient son souffle. Certains Bambaras outrés lèvent le bras au ciel. D’autres sanglotent. Chez les populations Peulh de cette zone où le troc mil des agriculteurs Bambaras contre lait des éleveurs Peulh est une activité routinière, c’est le sauve qui peut. A pied, à dos d’âne, à motos, à vélos, en transports en commun, tout ce qui peut éloigner femmes, jeunes et hommes de ce lieu soudain transformé en mouroir est bon.
Nienie Coulibaly, un chef de milice
La cohabitation entre communautés en particulier entre Bambara et Peul n’a pas été sans heurts. Mais jusque-là, elle s’était bien passée. Et puis soudain la déflagration. Une déflagration à ne pas mettre sur le compte d’un conflit Bambara-Peul, préviennent quelques-uns pour qui il n’y a pas de problème entre ces deux communautés. Entre l’association des chasseurs du Kareri (qui sont Bambara) et les Peul alors ? Cette hypothèse serait bien plus recevable. Reste que l’on peut parler de carnage de Dioura et que ses causes directes sont à rechercher dans les villages de Koroguiri et SikereFinadjé. A Koroguiri à une dizaine de kilomètres de Dioura sur la route de Tenenkou, deux jeunes Peul Hama (32 ans) et Boura (28 ans) sont tués dans la cour de Nienié Coulibaly. Les jeunes hommes venaient d’arriver du Nampalari à la recherche de leurs animaux fraîchement retrouvés.
S’ils se sont trouvés dans la cour du chef de village, c’est que leur père leur avait conseillé, au cas où ils retrouveraient le bétail perdu, d’en référer simplement au chef du village. Lequel n’est autre que le fameux Nienié Coulibaly, par ailleurs chef de l’Association des Chasseurs du Kareri. Est-ce lui qui a ordonné l’exécution des deux jeunes Peul ? Ceux-ci ont-ils été pris pour des jihadistes dans le contexte fortement paranoïaque de la zone ? On serait tenté de le croire sans l’épisode troublant du berger Dandadi. Ce dernier était le pâtre du village. Tout le monde le connaissait à Koroguiri. C’est lui qui avait conduit les deux jeunes du Nampalari chez le chef de village. Sa fin sera tragique aussi : il sera tué à bout portant après avoir protesté contre l’exécution des deux visiteurs. C’était le 13 avril dernier.
Peu de temps après le sanglant forfait, Nienié regroupe ses hommes à SikéréFinadjé. Dans l’association des chasseurs, on se donne du « mon général », « mon colonel » et « mon capitaine ». L’ambiance est bon enfant mais le message est inquiétant. Les Peul en ont vent et certains parmi eux préfèrent quitter la zone. Sur le chemin du retour à Koriguiri, les chasseurs tombent dans une embuscade. Trois d’entre eux meurent dont le troisième adjoint au maire de Djoura. Revanche des Peul ? Assaut de vrais jihadistes ? La tension monte de plusieurs crans. Dans la foulée, trois Peul sont abattus à Malimana. Les soupçons sont portés sur un certain Becharou, le neveu de Nienié Coulibaly. Encore lui. Le bilan définitif des événements de Dioura n’a été établi officiellement ni par les autorités locales ni par les associations peules. Trente pour les associations peulh serait le minimum.
Enjeu foncier ?
Le chiffre avancé d’une centaine de morts n’est plus retenu même parmi les plus alarmistes des informateurs. Mais le bilan est aussi important que la manière de tuer. Or là, l’horreur est inégalée. « Le 30 avril après le carnage du cimetière, la milice des chasseurs s’est dirigée sur le champ vers le puits du village, tirant sur le tas avant de brûler les quatre cadavres qu’elle y a fait ». L’auteur de cette accusation est depuis quelques jours à Bamako, déterminé à se faire entendre des autorités.
Lesquelles avaient délégué trois ministres et trois députés à Dioura pour éteindre le conflit. Il est éteint ? Pour les Peulh qui confèrent à Bamako, à Sokolo et ailleurs, nous en sommes loin. Pour les chasseurs du Kareri non plus. Sûrs de leurs bons droits, ils sont épaulés dans la zone de l’Office du Niger par des résidents qui ont décrété la chasse aux Peuls. Personne pour l’instant parmi les chasseurs du Kareri n’a été inquiété, même si le gouvernement assure, par le ministre Zahaby, que le procureur de Mopti est saisi, où se trouvaient ce mardi les ministres Konaté et Ag Erlaf.
Côté peul, depuis le 7 avril plusieurs personnes ont été interpellées dans le cadre de la lutte anti-terroriste. Et à bien étudier le profil de ces prévenus, ce combat mène au projet du Millenium Challenge Account, dont neuf bénéficiaires peul présumés jihadistes sont actuellement détenus dans les prisons du pays. Comme si la sécurité foncière que permet le titre définitif accordé par les périmètres d’Alatona devait se traduire par l’insécurité physique pour des bénéficiaires !
Adam Thiam
Source:Le Républicain-Mali.