Carte exhibée nous pouvons continuer. Un temps d’arrêt sous le château, puis nous regagnons la cour, le quartier général du CNRDRE. Check point au rez-de-chaussée avant de monter à l’étage, le bureau du Capitaine, après d’autres barrages de militaires. Odeur intense de café, juste avant l’entrée dans le bureau même où nous avons réalisé l’interview, en présence de trois autres militaires et de notre collègue de l’Ortm. Nous n’avons pas eu droit au café, mais le Capitaine s’est révélé être un ancien compagnon à nous. Cela remonte à Octobre 1995, lorsque nous assurions la couverture d’une mission dans le cadre du retour des refugiés, une mission qui nous a conduit à la frontière algérienne, Tinzawaten, et destination Talataye, c’est un jeune adjudant qui assurait l’escorte pour la sécurité du convoi. Il s’agissait d’Amadou Haya Sanogo, le président actuel du CNRDRE. Il était déjà très engagé et un fin connaisseur du nord pour y avoir passé huit ans dans les différents coins et recoins.
Le 22 mars dernier vous avez mis fin au régime « incompétent », (selon vous-même) d’ATT ? Trois semaines après comment se porte le pays, quels sont les actes posés pour sortir de la crise ?
Le 22 mars passé nous avons posé un acte qu’on n’aurait pas dû, si le Mali dit pays démocratique n’était pas devenu une démocratie de coquille vide. Au-delà de cette situation, la crise du nord sévissait, sans que les autorités n’essaient de prendre des mesures pour équiper l’armée, et assumer la défense de l’intégrité du territoire. Sous équipées, les forces de sécurité n’étaient pas à mesure d’assurer la quiétude et la sécurité des populations. Nous avons pris nos responsabilités. Pour retourner à l’ordre constitutionnel, nous avons eu à signer un accord cadre qui a balisé les rôles des acteurs, le processus et qui a permis de mettre fin à une crise que le pays encourrait suite à la décision de la CEDEAO. C’est en application de cet accord cadre que Monsieur Dioncounda Traoré a été désigné président de la République par intérim pour une période au-delà de laquelle on verra ce qu’il y aura lieu de faire. Aujourd’hui, les administrations publiques fonctionnent et nous préparons la libération du nord afin que les élections puissent se tenir dans la quiétude.
Quelle interprétation faites vous de l’accord cadre qui a été signé et qui suscite beaucoup de supputations ?
Il y a des grands traits : voilà ce que le CNRDRE et la délégation de la CEDEAO ont décidé de mettre en place qui, précise le retour à l’ordre constitutionnel, et permet à un Président d’assumer des fonctions d’intérimaire. Après cette période, le Comité [CNRDRE] et la délégation de la CEDEAO reviendront sur table pour désigner et mettre en place des organes de conduite de la transition. L’accord cadre est aussi simple et explicite, mais il s’agit d’un texte que chacun peut interpréter.
On sait que l’intérim fait quarante jours, et après comment s’exercera la fonction de chef de l’Etat ? Comment cette période sera-t-elle gérée ? Y a-t-il une possibilité pour le Président actuel de continuer pour la transition ?
La gestion de cette période est simple, je m’en remettrai au contenu de l’accord cadre qui précise qu’il exerce une fonction d’intérimaire, au-delà de quarante jours, nous Comité [CNRDRE] et la CEDEAO viendront ensemble à la table pour décider de mettre en place des organes de transition. Ces organes seront connus en temps opportun.
Avez-vous une idée de la durée de la transition politique ?
Je préfère ne pas faire de fixation là-dessus, parce que ça va dépendre de deux choses : la vitesse à laquelle on règle le problème du nord, et ensuite l’élection présidentielle. Il faut d’abord un fichier consensuel, bien organiser les élections, pour que le Mali élise enfin le Président de son choix.
Vous avez assisté à l’investiture du Président Dioncounda Traoré, que vous a inspiré cet évènement ?
Je n’ai fait que respecter mes propres engagements. Dans l’accord, le Président Dioncounda sera en fonction pour quarante jours, et au-delà de cette période d’autres principes suivront. Cette investiture m’a fait plaisir, encore une fois c’était l’occasion de prouver au peuple malien que le Comité qui est là respecte ses engagements. Nous n’avons pris ces engagements sous aucune contrainte, mais après multiples analyses et concertations, voire le pour et le contre, mais d’abord en plaçant le peuple malien au dessus de tout. Si dans ce contexte les choses se déroulent comme prévues dans notre accord, on ne peut que s’en réjouir.
Quels sont vos rapports avec le Président par intérim ?
A l’instant où je vous parle, il est le Président de la République du Mali, j’ai les forces armées. Il est le chef suprême des forces armées, tant qu’il restera Président de la République du Mali.
Les représentants de la classe politique, du CNRDRE et de la société civile du Mali sont en discussion à Ouagadougou avec le Médiateur de la CEDEAO pour trouver une issue heureuse à la crise, notamment parler de la transition, sa durée, les organes. Quels sont vos attentes, vos vœux ?
Mes attentes de Ouagadougou sont très simples et se résument à ce qui fera le bonheur du peuple malien. A l’heure où je vous parle [samedi 14 avril après midi] Son Excellence Monsieur Blaise Compaoré, médiateur a invité une large partie de la société civile, des partis politiques, les membres du CNRDRE pour débattre, dans le contexte de l’accord cadre. A leur retour, on sera beaucoup plus édifié sur ce qui s’est passé.
Vont-ils définir à Ouagadougou, les organes de la transition, le portrait d’un Premier ministre ? Selon vous quels sont les organes appropriés pour une bonne transition ?
Je ne crois pas qu’ils discuteront des organes, parce qu’on a déjà signé un accord cadre qui a abouti à tout ça. Et dans cet accord c’est nous Comité et la CEDEAO qui devrons mettre en place les organes de la transition. Donc ce ne sont pas ces structures à Ouaga qui se chargeront de cela.
Les travaux à Ouagadougou doivent aboutir à quoi ?
Je ne saurais le dire avant le retour de mes envoyés.
C’est le Premier ministre de la transition devant avoir les pleins pouvoirs, le gouvernement d’union nationale qui retiennent toute l’attention. Avez-vous un nom, quelqu’un à proposer au poste de Premier ministre de la transition?
Jusque là, je suis entrain de le chercher, je n’ai rien décidé pour le moment et vous conviendrez avec moi que je ne le ferai pas seul, c’est avec son Excellence [le Médiateur Blaise Compaoré] qu’on va s’asseoir, proposer et convenir. Pour l’instant je ne peux pas vous donner un nom.
Il se dit que vous seriez otage des radicaux du CNRDRE, vos décisions sont-elles librement prises ?
Je vais vous dire quelque chose, le jour où je débutais ce mouvement sans fausse modestie, j’étais le seul officier présent devant la troupe. Au fur et à mesure que les choses évoluaient, j’ai des camarades qui ont vu la cause qui sont venus, depuis les premières heures jusqu’aux première 24 h, ainsi de suite. Pour moi, ils sont partie intégrante du mouvement. C’est après avoir appris qu’on partage la même cause qu’on a commencé à se rejoindre. Donc je ne vois pas sous quelle pression, et de qui, le Capitaine Sanogo sera amené à prendre ou à changer une décision. Je vous le dis, je suis encore le président de ce comité, je peux me faire associer par des collègues pour des prises de décision, prendre l’avis des uns et des autres, mais encore une fois, la dernière décision me revient pour toute décision qui sortira de ce bureau où venant de ce comité. Et quand je prends une décision, je l’assume.
Vous êtes le seul Capitaine à bord ?
Je suis encore le Capitaine à bord.
Quels sont les départements visés par le CNRDRE dans le gouvernement de transition ?
C’est sujet à débat, pour le moment on n’est pas encore très fixé là-dessus. Mais on tient à avoir certains départements, ce qui nous permettra d’avoir l’œil, de suivre, parce qu’on a cassé un mur, il faut bien le refaire.
Notre pays dépend beaucoup de l’aide internationale, quels sont vos rapports avec les partenaires au développement ? Avez-vous des contacts, certains ont-ils changé leur position par rapport aux sanctions qu’ils ont prises ?
A notre arrivée, le coup naturellement a été condamné, chacun a fermé les robinets, et fait valises. Une fois que la CEDEAO s’est prononcée sur la levée les sanctions, le reste devait suivre. Dans les jours à venir, le gouvernement qu’on mettra en place ensemble et de façon consensuelle se chargera de rétablir les relations à tous les niveaux concernés. Mais d’ici là l’administration tourne et tout marche très bien.
Les fonctionnaires auront-ils leur salaire à la fin de ce mois ?
Inchallah tout ira normalement, nous avons toutes les assurances. Dans la région de Ségou et à Sévaré, le problème était surtout bancaire, à cause des mesures sécuritaires à prendre. Certaines banques n’avaient pas encore commencé à fonctionner. Nous avons pris contact avec les responsables concernés pour qu’ils mettent tout en œuvre et rouvrir ces banques au plus vite. Mais cela ne va pas sans mesures sécuritaires et en principe toutes les dispositions seront prises.
Pensez-vous que le coup d’Etat au Mali a fait tache d’huile en Guinée Bissau ?
Ma philosophie, c’est le Mali d’abord. Le jour où j’ai posé cet acte je n’étais vraiment pas imprégné des réalités politiques internes d’un autre Etat. J’ai posé cet acte parce que je le pensais bien pour mon pays. Ce coup est venu à point nommé et nous a par ailleurs épargné d’une guerre civile qui pouvait arriver à Bamako, au lendemain des élections. Mais tache d’huile ailleurs, il faut demander à la presse internationale …
Pourquoi y aurait-il eu guerre civile au lendemain des élections ?
Les élections étaient truquées, les dossiers sont là. Vous devez en savoir plus que moi d’ailleurs.
Vous avez motivé principalement le coup d’Etat par la situation désastreuse au nord. Depuis votre arrivée que faites-vous pour reconquérir les zones occupées ?
[Sourire] Nous avons hérité, permettez-moi l’expression, d’une situation déjà pourrie. Alors ce n’est pas ce qui est cassé en 20 ans qu’on peut reconstruire en deux ou trois semaines. Je vous en dirais davantage n’eut été le côté secret militaire dont je suis tenu. Mais je vous dis d’ores et déjà que nous sommes en train de mettre sur place des structures, et mettre en œuvre des planifications concernant deux mesures. Il y a d’abord le dialogue, et l’armée est la dernière solution. Et si on devait passer par cette option, on s’est donné comme mission de défendre l’intégrité territoriale. Nous sommes en train de voir dans quelle mesure on pourra outiller l’armée. Le reste on verra bien.
Que répondez-vous à ceux qui soutiennent que le coup d’Etat a précipité la prise des régions du nord par les rebelles?
Vous convenez avec moi si à certain niveau la crise du nord était un arrangement, ils ne feront que pousser et user des voies et moyens pour encore amplifier la chose. Ce n’est pas un coup d’Etat qui va accentuer une avancée aussi rapide que les forces armées n’aient jamais connue. Parce qu’une avancée dans un combat, je vous parle en tant qu’officier d’infanterie, une avancée de six cent kilomètres par jour, c’est infernal et c’est très dur. Cela veut dire que déjà une situation était là et ne tenait qu’à un fil, que nous avons coupé, et l’intéressé a profité.
On assiste à beaucoup de message venant de différentes couches comme les chasseurs traditionnels (donso), le Ganda Koy, … qui expriment leur volonté d’aller combattre pour la libération du territoire, l’armée s’organise de son côté. Comment allez-vous vous y prendre pour recouvrer l’intégrité du territoire malien ? Suivant quelle stratégie ?
Le moment est très mal choisi pour parler de stratégie dans la presse, sinon elle n’en sera plus une. Mais néanmoins, je vous assure qu’on est en train de tout mettre en œuvre pour rendre cette armée encore opérationnelle, avoir la confiance du peuple malien et être à mesure de défendre l’intégrité territoriale. Les différents messages de soutien nous démontrent juste, nous Comité, que l’acte qu’on a posé est allé à l’endroit de la volonté du peuple malien. C’est pourquoi j’ai toujours dit le Mali d’abord. Vous avez vu à la signature de l’accord cadre, c’est en regardant ce même Mali que j’ai accepté de le signer. Toujours le Mali d’abord, on mettra tout en œuvre pour le bien être de ce pays.
Que pensez-vous d’une éventuelle intervention des forces de la CEDEAO comme certains le préconisent ?
Si la CEDEAO doit nous envoyer des forces, j’ai bien dit que je n’ai pas besoin des forces au sol. Ce n’est pas l’effectif qui manque, mais il y a juste un problème de recyclage, un problème d’équipement. Je l’ai notifié à la délégation, aux émissaires et sur les antennes. Franchement je n’ai pas besoin des troupes au sol. J’ai besoin d’appuis logistiques et ensuite d’autres dimensions allant au-delà. Si je les ai, je les apprécierai à leur juste valeur.
L’Assemblée nationale a adopté une résolution pour l’ouverture d’un corridor humanitaire pour les régions du nord, comment entendez-vous accompagner cette mesure ?
Il y a la guerre au nord mais ce sont des populations maliennes qui y vivent. Au nord tout n’est pas rebelle, Ansar Dine, Aqmi ou MNLA. Il y a des populations paisibles qui vivent dans cette crise, s’il y a des moyens pour faire des actions humanitaires, l’armée et les forces de sécurité ont le devoir de les sécuriser afin que ces aides puissent bénéficier aux populations maliennes qui en ont besoin.
Quelles sont les dispositions prises pour assurer la sécurité des personnes et des biens ?
Il y a des mesures qui vont commencer par la capitale. Des dispositions seront prises pour accentuer les sorties de patrouilles au niveau de Bamako. Les raisons de ces patrouilles, la conduite à tenir par les populations et les attitudes vis-à-vis de ces patrouilles, feront l’objet d’une explication portée à la connaissance du public.
Salim Togola et Boukary Daou
Le Républicain Mali 16/04/2012