Ces révoltes armées traduisent, en premier lieu, les difficultés, sinon l’incapacité, des autorités centrales à faire face aux crises successives de l’économie nomade dans cette partie du territoire national et d’y réunir les conditions locales de création de richesses.
Elles traduisent ensuite les difficultés, sinon l’incapacité, des autorités centrales du pays à mettre en place dans ces zones des institutions politiques et administratives capables d’y assurer une gestion performante des problèmes de développement économique, social et culturel que connaissent ces régions.
Elles traduisent enfin les difficultés, sinon l’incapacité, des autorités centrales du pays d’aider la communauté touarègue à gérer ses contradictions internes, que constituent les changements de relations entre Touaregs noirs et Touaregs blancs et les conflits de génération que connaît cette communauté, à l’instar de toutes les autres.
Les facteurs d’aggravation sont au nombre de trois. Le contexte international: chacune des révoltes années dont nous parlons fait suite à une crise internationale, dont l’impact est énorme sur l’organisation de l’économie et de la société touarègues. En 1917, avec la Première guerre mondiale; en 1960, avec les changements importants suite à la décolonisation; en 1990, avec la démocratisation et après 2000, suite à la Mondialisation et aux bouleversements dus au changement d’époque que connait le monde.
Ensuite, les enjeux géopolitiques et le jeu des puissances occidentales et de certains pays de la sous-région. Le Sahel, particulièrement notre pays, se trouve au cœur des enjeux des conflits violents que connait aujourd’hui le monde: lutte pour le contrôle des matières premières comme le pétrole, terrorisme, trafic de drogues, d’armes et même d’otages. On trouve là les raisons invoquées par la France, les États-Unis d’Amérique, la Libye de Kadhafi, l’Algérie, et plus récemment la Mauritanie, pour s’ingérer de façon flagrante dans la gestion des affaires de notre pays.
Enfin, et surtout, l’affaiblissement, sinon la déliquescence totale, des institutions de gouvernance de notre pays. La démocratisation a vu arriver au pouvoir une classe politique dont la préoccupation majeure est son propre enrichissement et celui des membres de ses différents clans. La corruption et la délinquance financière, accompagnées d’une impunité assurée, ont mis à genoux notre économie et rendu incompétente notre administration. Cette gangrène n’a pas épargné les forces armées et de sécurité, dont les critères de recrutement des membres ne sont plus respectés, dont la gestion matérielle n’échappe pas au détournement des équipements, surtout les armes, et dont la préparation aux tâches de défense du pays est bâclée, sinon complètement abandonnée. Cette situation n’a cessé de s’aggraver pour atteindre, ces dernières années, des dimensions qui ont fait du Mali la cible privilégiée des trafiquants de tout acabit et le lieu privilégié d’intervention de ceux qui prétendent les traquer.
Les enjeux sont de trois ordres, essentiellement. Ils sont d’abord économiques. Les programmes de développement mis en route à la suite de ces différentes crises sont demeurés écartelés entre le rêve de gigantisme dont nous n’avons pas les moyens (comme le barrage de Tossaye) et la tentation de céder à la facilité du saupoudrage (à travers des microprojets dont l’effet est insignifiant). Parfois l’on a abandonné l’idée même de création de richesses dans ces régions, pour ne financer que des projets individuels de commerce (programmes d’insertion économique d’anciens combattants touarègues). Comment mettre en place dans ces régions des activités de création de richesses qui intéressent l’ensemble des communautés qui y vivent et qui y attirent des jeunes d’autres communautés du pays?
Ces enjeux sont ensuite d’ordre socioculturel. La société touarègue, comme celle de toutes les autres communautés d’ici et d’ailleurs, connaît des mutations profondes. Les aspects spécifiques de cette crise de civilisation sont la fin de l’esclavage et la remise en cause de la suprématie de certaines familles et fractions. Ces mutations sont fort mal vécues par les catégories dominantes de ces sociétés, catégories qui ont été jusqu’ici les alliés traditionnels de l’Etat central dans sa recherche de solution aux crises dans ces régions. Ces mutations ont aussi vu émerger de nouveaux «leaders», des «seigneurs de guerre» dont le fonds de commerce est le chantage à la paix et à la sécurité, La lutte entre les différentes composantes, pour ou contre l’émergence de nouveaux rapports sociaux à l’intérieur des communautés touarègues, explique aussi la tentation pour les uns et les autres de s’adonner aux différents trafics que connait la région, pour renforcer leurs capacités respectives d’intervention. Comment peut faire l’Etat malien pour arrêter cette escalade de la violence et promouvoir les forces de progrès et de paix internes aux communautés touarègues et à l’ensemble du pays?
Ces enjeux sont, enfin, politiques avec une composante interne très forte et des aspects géopolitiques importants. Le pouvoir politique s’est affaibli dans notre pays, parce que les institutions publiques centrales et locales ont progressivement perdu toute légitimité. Cette perte de légitimité s’explique aussi en grande partie par le fait que les élections sont truquées (par la généralisation des pratiques de fraudes et d’achat des consciences) et que les nominations aux postes politiques et administratifs importants obéissent aux mêmes règles de corruption et de clientélisme.. Le Président Obama a certainement raison de dire que l’Afrique a besoin d’institutions fortes. Notre association, l’ASARED, ajoute que la situation est telle aujourd’hui qu’il faut des hommes forts pour assurer la mise en place et le renforcement de telles institutions. Quel programme politique mettre en œuvre pour avoir dans notre pays des institutions fortes et des dirigeants intègres et compétents, afin de mettre fin, de façon durable si ce n’est définitive, aux rébellions et aux agissements des bandes armées, ainsi qu’à l’ingérence répétée de puissances étrangères sur notre territoire national?
Ces défis peuvent être relevés. Des pays aussi pauvres que le Mali y sont déjà parvenus. C’est pourquoi l’Association pour la Sauvegarde et le Renforcement de la Démocratie (ASARED) déclare que – L’intégrité territoriale de notre patrie commune ne saurait être remise en cause; – L’unité de notre Nation commune et la cohésion de nos communautés sont des acquis que nous devons préserver et renforcer; – La paix et la sécurité dans notre pays sont des objectifs cruciaux, mais ne sauraient être restaurés dans n’importe quelle condition; – La solution aux différentes épreuves que connait notre pays devant passer par la mise en place d’institutions fortes, conduites par hommes compétents et intègres; – Il faut aller aux élections dans le respect des échéances déjà retenues par notre peuple.
C’est pourquoi l’ASARED condamne toute atteinte à l’intégrité territoriale du Mali, à son unité et à sa cohésion sociale. L’ASARED présente ses condoléances aux familles des victimes. Elle souhaite prompt rétablissement aux blessés et partage les peines des déplacés et réfugiés. Elle réitère son soutien indéfectible à l’armée malienne et affirme ici sa pleine détermination à travailler avec toutes les forces de paix et de progrès pour la construction d’un Mali uni, prospère et démocratique.
Bamako, le 27 février 2012
Le Président de l’ASARED
Pr Chéibane Coulibaly
Le 22 septembre 01/03/2012