L’ambassadeur Mohamed Dibassy à propos de la crise politique «Unis, les Maliens gagnent toujours, mais divisés ils perdent » Natif de Nioro du Sahel, Mohamed Dibassy est ambassadeur de la République du Mali en Mauritanie depuis plus d’un an.  Économiste et diplômé en droit des affaires, il a accompli une carrière dans l’administration de son pays et a occupé plusieurs fonctions au sein des formations politiques telles que  l’US-RDA, où il a milité longtemps et le PDES, dont il fut membre fondateur et dirigeant. Dans l’entretien qui suit, il donne son appréciation de la crise qui secoue son pays et porte des indications sur le sort de son compatriote Soumaila Cissé, enlevé par des groupes dans son fief alors qu’il était en campagne électorale.

La Tribune : Cette semaine s’ouvre à Nouakchott, le sommet du G5 Sahel. Cette réunion des chefs d’Etat intervient après celle de la Coalition pour le Sahel tenue au format visioconférence  le 12 juin. On sait que les principaux piliers de l’action pour le Sahel concernent la lutte contre le terrorisme, le renforcement des capacités militaires des Etats du G5 Sahel, l’appui au retour de l’Etat et des administrations sur le territoire et l’aide au développement. Le contexte politique au Mali marqué par des mouvements d’humeurs contre le président de la République facilite-t-il la portée vers ces projets ? 

Mohamed Dibassy : Nouakchott accueillera effectivement ce 30 juin le Sommet du G5-Sahel qui sera l’occasion d’évaluer le niveau de réalisation des objectifs fixés suivant la feuille de route adoptée par les Chefs d’État du G5 Sahel et de la France à l’issue du sommet de Pau du 13 janvier 2020. Cette feuille de route est axée sur les quatre piliers que vous venez de citer et qui prennent en compte les préoccupations majeures des pays du Sahel en matière de sécurité et de développement.

Vous comprendrez aisément que le G5 Sahel est le fruit d’un engagement fort des Etats qui le composent.  A l’instar des autres Etats frères, le Mali, représenté par le Président de la République Son Excellence Monsieur Ibrahim Boubacar Keita, jouera toute sa partition et respectera tous ses engagements.

Certes, mon pays connait des mouvements que vous évoquiez tantôt. C’est aussi là, la preuve de la vitalité de la démocratie et de l’exercice des droits démocratiques dans mon pays qui est réputé être une terre de brassage et de dialogue.

Toutes les deux marches du 05 et du 19 juin ont été autorisées et se sont déroulées sans incidents majeurs. C’est le lieu de rappeler que le Président de la République demeure convaincu que le dialogue reste le moyen fondamental de règlement de tous différends.

Je vous rassure tout de suite, la tendance est actuellement à l’apaisement et le pouvoir est disposé à tout mettre œuvre pour une issue heureuse. Du début de ces mouvements à ce jour, le Président de la République a fait une adresse à la Nation. Il a  rencontré les forces vives de la Nation et a tendu la main aux leaders du Mouvement M5-RFP. Il a réglé le problème des enseignants dont la satisfaction des doléances avait une incidence financière de plus 58 milliards de FCFA. Ceux-ci ont repris le chemin de l’école.

Le Président a proposé un gouvernement d’union nationale et s’est dit ouvert à toute autre proposition, qui soit dans les limites du respect de notre Constitution, qui est la Loi Fondamentale et le seul référent pour le vivre ensemble. Aussi,  le mercredi 23 juin, les partis de la mouvance présidentielle ont convenu avec les leaders du mouvement d’un cadre d’échanges et de négociations autour des différentes revendications. A ces efforts nationaux, il faut noter également la contribution de la CEDEAO, de la Communauté Internationale et des pays amis.

De mon point de vue, les positions maximalistes ne siéent pas à un pays en guerre comme le Mali, qui traverse une crise sans précédent de son histoire. Comme disait le sage Ahmadou Hampate Bah, nul ne détient la vérité absolue en dehors d’Allah SAW. A ce propos l’auteur disait qu’ily a trois sortes de vérités : ta vérité, ma vérité et la Vérité. La Vérité appartient à Dieu et ressemble à la pleine lune. Nos deux vérités ressemblent à des croissants, qui se tournent le dos. Face à cette situation, le dialogue, la retenue et le sens de la mesure sont la seule voie plausible. Car, il n’y a pas de petites querelles et nul n’a besoin d’éteindre la lumière de l’autre pour que la nôtre brille, disait Mahatma Gandhi.

Dans l’histoire du Mali, les Maliens ont démontré qu’unis ils gagnent toujours mais divisés ils courent à leur perte.

La Tribune : Le Sommet a lieu également alors  que Soumaila Cissé, une figure politique de l’opposition demeure introuvable depuis qu’il a été enlevé dans son fief, où il se trouvait en campagne. Qu’a fait le pouvoir de Bamako pour permettre d’identifier ses éventuels ravisseurs, l’enlèvement n’ayant toujours pas été revendiqué, et permettre qu’il soit libéré et qu’il puisse retrouver ses proches ?

Mohamed Dibassy: Le Gouvernement, par la voix de son Porte-parole Yaya Sangaré, puis le Président Ibrahim Boubacar Keïta en personne, a vivement condamné le rapt dès le lendemain de ce crime abominable. Le communiqué officiel stipulait, je cite : « Le Président de la République, SEM Ibrahim Boubacar Keïta, le Premier ministre et l’ensemble du Gouvernement de la République du Mali, appellent toutes les bonnes volontés à s’impliquer pour que nos concitoyens soient retrouvés.

Tous les moyens sont d’ores et déjà mis en œuvre, en étroite collaboration avec la Cellule de crise mise en place par l’URD, pour les retrouver avec le concours des FAMAs et des Forces internationales engagées pour la paix et la sécurité au Mali… Le Gouvernement rassure le peuple malien qu’il n’épargnera  aucun effort, aucune expertise pour la libération du Chef de file de l’Opposition dans les meilleurs délais ». Fin de citation.

En outre, S.E Monsieur Ibrahim Boubacar KEITA, Chef de l’État, a mis en place une cellule de Crise présidée par Monsieur Ousmane Issoufi MAIGA, ancien Premier ministre, pour la libération de l’honorable Soumaila CISSE et de ses compagnons. Cette cellule de crise a pour mission d’assurer la coordination de l’ensemble des actions en vue de la libération du Chef de file de l’opposition politique et de ses compagnons, libérés par la suite.

Lors de sa rencontre avec les forces vives, le Président a déclaré que l’honorable Soumaïla Cissé va bien, les tractations en vue de sa libération sont très avancées et l’intéressé, qui n’est autre que son frère, pourrait rejoindre sa famille très prochainement.

La Tribune : Le Sommet des Chefs d’Etat consacrera surement un point de ses travaux à l’examen de cette situation, ne serait-ce que dans une perspective de sécurité des opposants dans l’espace G5 Sahel….

Mohamed Dibassy :(Sourire) C’est vous qui le dites. Je me réjouis du fait que le Mali, héritier de la charte de KOUROUKAN FOUKA (en 1222), ait ratifié tous les traités relatifs aux droits de l’homme et érigé tout un département ministériel dans l’architecture gouvernemental consacré aux droits de l’homme.

La Tribune : Vous, en tant que représentant de la diplomatie malienne en Mauritanie, avez-vous discuté de ce sujet avec les autorités de ce pays dans un esprit de sollicitation d’un soutien à des actions de recherches pour la libération de Soumaila Cissé   ?

Mohamed Dibassy: Mon cher frère, en diplomatie tout ne se dit pas sur la place publique. Je puis vous assurer que les relations cordiales entre nos deux pays frères sont excellentes. Nous travaillons à les entretenir et à les approfondir davantage conformément à la volonté des deux présidents MM. Mohamed Ould El Ghazwani et Ibrahim Boubacar Keita.

La Tribune : Pour reparler de la crise politique au Mali induite par le  Mouvement du 5 juin-RFP, qui demande le départ du président Ibrahim Boubacar Keïta,  on note que le camp de l’imam Mahmoud Dicko met beaucoup de pression sur le pouvoir. Pensez-vous que l’opposition aurait été radicale si son chef de file qu’est Soumaila Cissé avait été  présent et libre ?

 Mohamed Dibassy, :(Sourire), Je ne suis pas de l’opposition qui pourrait mieux répondre à cette question. Toutefois, je peux vous confier que Monsieur Soumaïla  Cissé et le président IBK sont des parents et des connaissances de très longue date. Tous les deux sont réputés être des hommes politiques ouverts au dialogue et au consensus. Tous les Maliens sont frères  et le Mali est une seule et même nation avec un seul et même peuple.

Entretien conduit par Kissima-Tocka pour La Tribune

 

Forcer la « démission du président de la République »

Quelle lecture entre le pour et le contre ?

Pour certains, il n’est pas acceptable que l’on tente de pousser le président de la République démocratiquement élu à démissionner. D’autres trouvent la démarche parfaitement légale. Ce qui n’empêche pas les citoyens d’être circonspects.

Pour l’Ambassadeur des USA au Mali, Dennis Hankins,, “Il faut accepter la démocratie. On ne peut pas changer un système, on ne peut pas forcer le départ d’un Président élu démocratiquement, on ne peut pas forcer le changement du système du gouvernement”, dira-t-il. Avant de préciser : “alors, c’est important d’avoir des discussions entre toutes les parties, société civile, gouvernement et partis politiques. Nous sommes engagés comme gouvernement américain pour nos amis maliens et nous sommes prêts à travailler avec tous les pays de la région afin de trouver des solutions parce que maintenant, il y a assez de problèmes devant la nation du Mali et tout le monde doit travailler ensemble”.

Et l’Ambassadeur Dennis Hankins d’ajouter : « …Je sais que les systèmes démocratiques sont compliqués, je ne suis pas juriste, mais je pense que l’engagement des partenaires du Mali, de ses voisins, ‘est important. Dans les détails, c’est de voir comment on peut résoudre les problèmes. Alors c’est important d’avoir des discussions entre toutes les parties.”.

En revanche, dans un récent article publié par notre confrère MALIKILE, le haut magistrat, ancien président de la Cour suprême du Mali, Amadou Aliou N’Diaye s’est penché sur ce sujet d’actualité qui divise l’opinion.  Il se réfère à la Constitution pour souligner que le Pouvoir appartient en conséquence au Peuple, qui peut le confier pour une mandature donnée au Président de la République. « Ce Pouvoir souverain, déterminé et précisé par le Peuple, dans une Constitution, qui est sienne, (car résultat d’un referendum), est confié dans son exercice, au Président de la République, après le passage de celui-ci par le moule d’une voie sélective : la voie électorale.

Une fois élu, poursuit-il, le nouveau Président de la République prête serment devant le Peuple de respecter la constitution, de rester toujours auprès de son Peuple et de défendre ses intérêts dans la justice, l’honneur et la dignité. Et le Haut magistrat de souligner : « Lorsque ce Peuple constate, les preuves à l’appui, que ce Chef d’Etat a lourdement failli à ces obligations, il est en droit de lui reprendre démocratiquement le Pouvoir confié en exigeant

sa démission. Le Président peut accepter ou refuser de démissionner:

1) S’il accepte, dans ce cas, il remet le Pouvoir à son légitime propriétaire, à savoir le Peuple souverain, c’est là une voie régulière à suivre, pleine de dignité, la voie légale.

2) S’il refuse, peut-on l’obliger à démissionner? Bien sûr que oui :

a.) Cela constituerait-il une violation de la CONSTITUTION ? Pas du tout, car la constitution ne concerne pas d’une certaine manière le Peuple mais plutôt et directement l’exercice du Pouvoir que ce Peuple lui a confié. Le Peuple est en dehors de la constitution laquelle n’est autre que l’émanation du Peuple ?

b.) Par ailleurs une telle obligation à démissionner constitue-t-elle UN COUP D’ETAT ? Pas du tout, car le coup d’Etat se définit selon le Dictionnaire Larousse français comme suit : « La prise illégale du Pouvoir par une personne ou un groupe qui exerce des fonctions ».