Ce blocage était prévisible. N’oubliez pas que Gbagbo est surnommé le boulanger, pour ses capacités à rouler ses adversaires dans la farine. La confiance pour trouver un accord n’est donc pas immense. La constitution d’un gouvernement d’union nationale a déjà été tentée au Zimbabwe entre Mugabe et son opposition, mais elle n’a résolu aucun problème de fond. On voit mal les conditions d’un compromis.
Quelles alternatives ?
Aucune n’est engageante. Gbagbo tient déjà Abidjan grâce aux escadrons de la mort qui contrôlent les quartiers acquis à Ouattara. Son maintien au pouvoir par la force entraînerait une situation similaire à celle d’Haïti du temps de Duvalier.
Ni l’Union africaine ni l’Onu ne semblent envisager l’usage de la force ?
L’intervention militaire, c’est l’occupation de la Côte d’Ivoire par des armées étrangères, notamment par l’armée nigériane. Ce choc pourrait entraîner de sérieux remous au Nigeria. Sans compter le risque de guerre civile, puisque Gbagbo peut s’appuyer sur une véritable base sociale, ses milices. Le conflit serait violent. Nous sommes dans une impasse.
Elle dure depuis longtemps…
Oui, mais ce n’est pas l’Afrique éternelle avec ses tribus qu’il s’agirait de séparer. C’est une crise très moderne, qui met en jeu à la fois le droit de vote et la question foncière. C’est une crise agraire, même si cette dimension est occultée. Quel que soit le vainqueur, ces deux questions resteront entières.
La France privilégie les pressions financières…
L’arme monétaire est dotée d’une certaine efficacité, mais à terme, s’il ne part pas, Gbagbo va accentuer la part informelle de l’économie ivoirienne et continuer à bénéficier de ressources, comme l’exploitation du cacao, difficile à contrôler militairement.
Le vent de révolte en Tunisie et en Égypte peut-il se propager au sud du Sahara ? Dans les années 1989-1990, des régimes autoritaires furent balayés (Ghana, Mali), d’autres ébranlés tout en se maintenant (Gabon, Togo, Cameroun) et puis certains se sont perpétués (Zimbabwe). À l’époque, le renversement par Ben Ali de Bourguiba, en 1987, avait eu un écho considérable au sud du Sahara. Le parti tunisien était un modèle de parti unique en Afrique. On ne peut pas exclure un écho similaire aujourd’hui. Par exemple au Sénégal, où le malaise social et politique grandit.
La conjoncture économique y est propice ?
L’Afrique subsaharienne a connu une certaine croissance ces dernières années, du fait de la demande chinoise et de la flambée des cours des matières premières. Mais c’est une croissance en trompe-l’oeil. En fait, elle accentue les inégalités.
Au Sahel, quelle résistance les États de la région peuvent-ils opposer aux terroristes ?
La France contribue à affaiblir ces États par ses décisions et ses discours. En érigeant Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique) en ennemi principal, Nicolas Sarkozy confère à ce mouvement, tout à fait groupusculaire et étranger à la région, des lettres de noblesse nationalistes, anti-impérialistes et religieuses, dont il est dépourvu. Le vrai risque, c’est de conférer une légitimité idéologique et une base sociale à Aqmi, et d’affaiblir des pays comme le Niger et le Mali en intervenant militairement sur leur sol.
Mais ces pays sont perméables aux réseaux mafieux…
Ces groupes armés ont une relation commerciale avec les habitants des régions sahariennes du Mali et du Niger. Trafic de drogue, de cigarettes, de migrants. La politique de l’Europe contribue à créer des rentes de situation et on risque de créer une situation comme en Amérique centrale. C’est très dangereux et cela dépasse de loin la question d’Aqmi.
Après le Mali, le Niger, le Sénégal peut-il être une cible des réseaux terroristes ?
Le Sénégal peut être une cible sous la forme d’un acte terroriste, d’un attentat. En revanche, Aqmi n’a aucune possibilité de s’implanter au Sénégal, où l’Islam confrérique représenterait un rôle de résistance. Le vrai risque serait plutôt la jonction avec le mouvement Izala, un mouvement salafiste du nord du Nigeria, dont l’influence commence à s’étendre au Niger et au Mali. C’est là le vrai talon d’Achille.
Recueilli par Laurent MARCHAND.