« Il y a une différence entre le militaire et le politique », a tenté d’expliquer le général Siphiwe Sangweni, responsable des opérations conjointes au sein des forces armées sud-africaines, lors d’une conférence de presse au port de Richards Bay (est), alors qu’ont débutés, le 17 février dernier, des exercices navals controversés entre l’Afrique du Sud, la Russie et la Chine.
Ces manœuvres navales ? appelées Mosi, qui signifie « fumée » en langue tswana et qui se déroulent dans l’océan Indien, au large des côtes sud-africaines ? étaient prévues de longue date, mais elles interviennent à l’issue d’une tournée en Afrique du chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, qui visait à asseoir la stratégie d’influence russe sur le continent, de Bamako à Khartoum en passant par Nouakchott, après avoir visité fin janvier l’Angola et l’Afrique du Sud.
Surtout, ces exercices se tiennent alors que le monde entier commémore le premier anniversaire de l’invasion russe de l’Ukraine. Comme plusieurs nations africaines, l’Afrique du Sud, principale puissance industrielle du continent, a refusé de condamner l’invasion russe de l’Ukraine lors des votes de l’Assemblée générale de l’ONU. Le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, a proposé (en vain) de servir de médiateur dans des pourparlers entre la Russie et l’Ukraine sous l’autorité des Nations unies.
Un défi diplomatique pour l’Afrique du Sud
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken, la secrétaire au Trésor Janet Yellen et d’autres hauts diplomates américains se sont tous rendus en Afrique du Sud depuis le début de la guerre, mais, conscients du poids de l’histoire, ils n’ont pas directement émis de critiques directes envers Pretoria. De son côté, le gouvernement sud-africain met en avant le fait que quatre exercices conjoints avec les États-Unis depuis 2011, ainsi qu’avec la France et l’Allemagne, ont été organisés ces dernières années.
L’armée est « guidée par le gouvernement » mais doit aussi apprendre de nouvelles compétences auprès d’autres armées pour protéger le pays et contribuer aux missions internationales de maintien de la paix, a encore esquissé le général Sangweni. « D’autres pays auront certes une autre approche que nous » de ces exercices conjoints avec la Russie et la Chine, mais « chaque pays est souverain et a le droit de gérer les choses comme il considère qu’elles doivent l’être », a-t-il souligné.
Des liens historiques ravivés
L’Afrique du Sud a annoncé le mois dernier l’organisation de ces exercices conjoints avec les marines russe et chinoise « dans le but de partager des compétences et des connaissances opérationnelles », précisant que la Russie en était le pays pilote. La Russie a annoncé qu’elle enverrait son navire de guerre Admiral Gorshkov, qui transporte des missiles hypersoniques Zircon. Ceux-ci volent à neuf fois la vitesse du son et ont une portée de 1 000 km (620 miles). L’occasion pour la Russie de montrer que, malgré ses revers dans la guerre en Ukraine, ses forces armées sont toujours très puissantes. Mais aussi pour les deux pays de mettre en avant leurs solides liens historiques.
Pendant l’apartheid, l’Union soviétique a fourni de l’argent, une formation militaire et d’autres formes de soutien au Congrès national africain, le mouvement de libération de feu Nelson Mandela, devenu parti au pouvoir. Dans les années 1970, un grand nombre de cadres de l’ANC fuyaient les brutalités policières, et trouvaient souvent refuge dans l’ex-URSS. Là-bas, ils rejoignaient la branche armée des mouvements de libération de l’ANC ou du Congrès panafricain, et pouvaient recevoir une formation militaire complète par des instructeurs soviétiques.
Le gouvernement des États-Unis, pour sa part, qualifiait alors l’ANC d’organisation terroriste et n’a officiellement soutenu les sanctions contre le régime d’apartheid qu’en 1986, quelques années seulement avant la chute définitive de ce régime raciste. Lorsque les pays occidentaux reprochent à la Russie d’avoir envahi l’Ukraine, les responsables sud-africains n’hésitent pas à évoquer les conquêtes coloniales européennes en Afrique et les invasions américaines de pays comme l’Irak et l’Afghanistan.
Ces dernières années, les liens entre l’Afrique du Sud et la Russie n’ont fait que s’approfondir avec la formation des Brics, le groupe des principales économies émergentes, qui compte également le Brésil, l’Inde et la Chine. Le bloc, fondé en 2001, s’est positionné comme un concurrent des Occidentaux et une voix défendant les intérêts des nations plus petites et en développement.
Source : msn.com