Si l’affaire n’était que de la rumeur savamment entretenue, l’on aurait effectivement tord de s’en intéresser avec autant de frénésie. Si elle ne devait être qu’un ballon-sonde, l’on gagnerait tout de même à avoir la précaution de décrypter intelligemment les données qu’elle capterait dans les profondeurs abyssales de la politique malienne ou les signaux qu’elle enverrait depuis les lointains cieux vers lesquels vogue notre démocratie. Comme il n’y a pas de fumée sans feu, l’idée d’un Modibo Sidibé candidat de l’Adéma- Pasj à la prochaine élection présidentielle est tout sauf une élucubration de quelque magicien allé trop vite en besogne. Elle n’est pas non plus née de l’esprit fertile d’un romancier, encore moins de la petite tête obtuse d’un journaliste malien. La réalité est tout simplement que c’est une donne qui va compter et qu’il faut cerner avec un sens politiquement éveillé.
Autant l’éventualité d’une candidature à la prochaine élection présidentielle de Modibo Sidibé portée par le Pasj est dans l’ordre envisageable, autant l’évidence que l’Adéma se trouve dans la situation d’un tricot dont une maille est en train de filer est établie. Le Premier ministre actuel apparaît tout au moins comme un filet tendu prenant dans ses mailles les abeilles. Piège mortel pour le parti de l’insecte social qui compte déjà plusieurs accidents tragiques. Zoumana Mory Coulibaly, puissant vice- président d’entre ses pairs dans la Ruche, même s’il a fini par battre sa coulpe, avait quand- même proclamé son soutien à la candidature du chef du gouvernement à la plus importante élection attendue en 2012. Preuve qu’il existe bien un volcan sous- terrain. Mais passons.
L’on se souviendra que jusqu’au 20 septembre 2001, date à laquelle le décret présidentiel mettant l’actuel président de la République à la retraite anticipée de l’armée nationale, l’éventualité de la candidature d’ATT à la présidentielle de 2002 avait été régulièrement évoquée, rabâchée, retournée dans des sens souvent insoupçonnées, combattue, soutenue, moquée. Ceux qui en parlaient comme certitude absolue ont même été un temps traités de niais. Et, finalement, la réalité s’imposa. Qu’on en tire les leçons. Rappelons aussi qu’un an avant, c’était encore l’Adéma- Pasj qui a été soumise à des primaires en son sein pour la désignation de son porte-étendard à l’élection présidentielle.
On connaît les luttes de jactance qui ont alors rythmé la vie du parti, pour enfin déboucher à une guerre quasi fratricide entre des compagnons qui n’auraient jamais dû se quitter au regard de leurs parcours politiques, des combats de jadis pour la démocratie, des complicités nouées dans des circonstances périlleuses, des brimades psychologiques et physiques endurées, et parfois du sang versé vu ensemble. Le Rpm est ainsi né dans la douleur et l’Urd doit son existence à l’éprouvante et amère opération par césarienne.
L’histoire ne continuera pas moins sa mue. ATT, pendant tout le temps qu’ont duré les suspicions sur sa probable descente dans l’arène politique, a gardé le silence, entretenu le suspens et, parfois, jeté le trouble dans les esprits, voire créé l’atmosphère propice au développement des confusions. Puis, il y eut les appels de du Sénégal, du Niger, etc. La situation actuelle ne semble pas déroger à la même stratégie.
Stratégie minutieusement peaufinée
La probabilité de la candidature de Modibo Sidibé à la prochaine élection présidentielle est semée à tout vent, elle pénètre les salons et cercles politiques ; par moment, la chronique la concernant est boursouflée par les medias, un sondage aux allures des plus scientifiques donne le Premier ministre gagnant à plus de 56% s’il allait à franchir le Rubicon, le président du parti majoritaire condamné ainsi à le regarder sur l’autre rive. La stratégie a l’air d’être minutieusement peaufinée, elle force en tout cas l’admiration.
Seulement, voilà : l’argument d’un Modibo Sidibé militant de l’Adéma- Pasj n’est rien de moins qu’une vue de l’esprit, un mensonge à la dimension de la colline de Koulouba. Dans les conditions actuelles des dispositions électorales maliennes, nul ne peut contester à Modibo Sidibé le droit d’être candidat à l’élection présidentielle s’il décidait à le faire. Mais le faire en s’imposant à l’Adéma- Pasj reviendrait à user de faux, à mentir aux électeurs, partant au peuple, et à apparaître sur le coup un dictateur en puissance. Ceux qui veulent que le Premier ministre se présente à la prochaine présidentielle doivent avoir d’autres arguments.
Ils peuvent mettre en avant sa présence ininterrompue depuis vingt ans dans les arcanes du pouvoir, une réalité qui le crédite de maîtriser les rouages de l’Etat et, donc, à endosser la toge de grand commis de la République, compétent et consciencieux. Mais on pourrait bien leur demander à quel prix Modibo Sidibé s’est maintenu durant cinq ans à la tête du ministère de la santé, cinq ans comme ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, cinq ans en qualité de secrétaire général de la présidence de la République et, depuis bientôt cinq ans, en tant que chef du gouvernement. Quel rôle véritable joue-t-il dans les saisons politiques au Mali ? Gris-gris pour Alpha ? Joker d’ATT ? Débat qui ne tardera pas à se tenir.
Modibo Sidibé est un policier comme il faut. D’ailleurs, ses thuriféraires confessent, sans peut-être se rendre compte de leur maladresse en le disant, que c’est parce que leur champion est un officier de la police qu’il ne peut militer ouvertement dans un parti politique. La réalité est que Modibo Sidibé na jamais été un homme politique, il est constamment demeuré le policier qu’il est. En la police, il croit. Mais des associations, des partis politiques, des groupements corporatistes, il se méfie toujours. Il voit donc mal l’homme politique.
D’ailleurs, ceux qui l’ont connu dans la vie estudiantine affirment qu’il a été d’un anti- communisme primaire qui fait qu’il soupçonne aujourd’hui tous les hommes politiques de sympathie avec le communisme. De lui, on sait seulement qu’il a aimé le tennis au point d’assumer des responsabilités le concernant. Au-delà, méfiance, qui frise souvent la phobie. C’est donc un homme loin des idées et des cercles politiques, des débats doctrinaires. Contrairement à Alpha Oumar Konaré, il n’a pas d’idée, pas de programme. En tout cas, en vingt ans, Modibo Sidibé n’a rien fait sur lequel on peut identifier son engagement politique. Alpha Oumar Konaré, qu’on l’aime ou qu’on le déteste, est l’homme des idées, voire de grands rêves, celui qui porte toujours de grands projets. Modibo Sidibé est tout le contraire. La seule initiative qu’on lui connaît est sa mystérieuse Initiative- riz qui reste à ce jour un gouffre financier à élucider alors qu’elle était sensée faire du Mali une puissance agricole à l’orée 2012.
Nous sommes à neuf petits mois de cette année qui devait être l’achèvement de la construire du nouvel Eldorado malien, le pays de cocagne où afflueraient les autres en quête de bonheur. Mais l’Initiative- riz n’a accouché que des effets pervers : des importateurs d’intrants agricoles et de riz, qui ont bénéficié d’exonérations sans précédent dans notre pays, sont devenus de richissimes hommes d’affaires alors que le prix du kilogramme de riz a atteint des niveaux insupportables pour les ménages. La puissance agricole n’est plus que le cauchemar qui hante les jours et les nuits des Maliens aux revenus précaires. Modibo Sidibé, au regard de cela et pas que ça, il faut l’admettre avec bon sens, ne peut prétendre au bénéfice des circonstances particulières dont a profité ATT pour accéder au pouvoir.
Fabriquer une biographie politique qui n’a nulle part existé
En effet, l’actuel chef de l’Etat a tout simplement été béni par les dieux de l’histoire. Il était chef de la garde présidentielle au moment où le peuple s’est révolté contre la gouvernance de l’époque et, à la tête d’un commando, il a joué l’acte décisif de la révolution en s’emparant du général Moussa Traoré aux premières heures du 26 mars 1991, parachevant ainsi le travail populaire insurrectionnel auquel ont sacrifié les patriotes et les démocrates de longues années durant. Une telle circonstance exceptionnelle n’existe pas aujourd’hui.
Modibo Sidibé n’a pas non plus les atouts que le destin a donnés à Ibrahim Boubacar Keïta. Celui-ci a été appelé aux affaires à un moment de troubles où le pays, attaqué de toutes parts, risquait de brûler, situation qui n’a pas permis à ses deux prédécesseurs, Younoussi Touré et Me Abdoulaye Sékou Sow, de résister chacun durant une année pleine et entière. Les luttes intestines au sein de l’Adéma- Pasj, les débrayages incessants dans l’arène scolaire et universitaire ainsi que la rébellion armée au nord de notre pays ébranlaient alors les fondements de l’Etat. IBK s’est révélé être un homme de poigne, un nationaliste qui a rappelé aux citoyens désemparés les pères de l’indépendance : il a pu éteindre les feux et remis le pays au travail.
De toutes ces circonstances, de toutes ces valeurs, Modibo Sidibé est très éloigné. La raison ? C’est que, fondamentalement, il est sans ambition politique. Oui, il n’a eu d’ambition que sa propre promotion sociale. D’où le rôle qui est depuis et aujourd’hui le sien : gérer la maison au quotidien, sans perspective. C’est dans ces circonstances que certains veulent fabriquer un Modibo Sidibé politique. S’ils le réussissent, ce serait un vrai miracle. Pour l’heure, le Modibo Sidibé politique est une découverte qui reste à faire. La tâche ressemble à un travail de prestidigitateur, qui revient donc à des laudateurs professionnels à qui il sera assigné le devoir de sortir une biographie politique qui n’a existé nulle part.
Car l’actuel Premier ministre a de tout temps été réfractaire à l’organisation politique. Dans sa tête de policier, une constance : le parti, c’est l’ennemi public numéro 1 et tous ceux qui y militent sont à surveiller parce qu’ils sont tous potentiellement fauteurs de troubles et de désordres. Voilà pourquoi, toutes proportions gardées, on peut affirmer que contrairement à sa sœur aînée Oumou Louise qui a un vrai passé de militante, Modibo Sidibé n’a pas de passé militant à faire valoir. Voilà pourquoi aussi on pourrait se risquer à dire qu’il a toujours été, sans être le mouchard abhorré, un vrai flic dans la mêlée. Ou simplement le type de la bonne société qui n’a jamais voulu prendre le moindre risque.
Si la trajectoire imprimée depuis 2002 à la politique au Mali, à savoir promouvoir un homme providentiel sans parti politique pour chapeauter toutes les formations politiques, devait être la règle d’or, Modibo Sidibé devrait être admis à la retraite anticipée vers septembre prochain. Alors, au lieu de rechercher l’onction du Pdes, le parti des amis du Président, il tâchera de coloniser la Ruche en déclanchant l’offensive généralisée. Ses fantassins prendront d’assaut le Ce de l’Adéma- Pasj. Pour la déstabilisation du parti, les moyens conséquents seront déployés. Les structures de base seront assiégées, les militants et les cadres soumis à de multiples chantages et à des matraquages psychologiques. Parce qu’il faudra coûte que coûte contrôler le parti majoritaire.
Si Modibo Sidibé est admis à la retraite anticipée, nul doute que son principal allié ne sera autre personne qu’ATT. Ils secoueront l’Adéma- Pasj, l’affaibliront au profit de leur plan et, au besoin, la feront éclater. Ils ne reculeront devant rien. Ils feront un usage abusif de l’argent, de l’appareil d’Etat, des intimidations. La police et la Sécurité d’Etat ne seront jamais loin. L’armée restera en alerte, armes à portée de main. La presse sera mise à contribution, de représailles s’abattront sur les acteurs politiques qui ne s’inscriront pas sur le registre voulu. Des intérêts ont été acquis sous ATT, il faut les préserver. Des délits ont été commis, il faut assurer à leurs auteurs l’impunité absolue. Telle est l’atmosphère à redouter si le nouveau diablotin de la scission, dont on aperçoit déjà la silhouette, venait à découvrir ses cornes.
Amadou N’Fa Diallo
Le National 23/03/2011