Jamais à travers le monde un accord n’a suscité autant d’intrigue politique d’incohérence démocratique, d’inquiétude de la population malienne, de rejet, mais surtout la volonté du gouvernement de transition qui multiplie des slogans de sa mise en œuvre par des concepts. Après les groupes armés qui se sont appuyés sur des concepts pour négocier un accord, c’est maintenant le tour du gouvernement de transition d’utiliser la même méthode. Après l’invention et l’acceptation du concept « Azawad » dans l’accord d’Alger, on nous propose d’autres concepts comme « relecture et mise en œuvre intelligence ».D’autres parlent de mise en œuvre stratégique. Tous ces concepts assimilables à des variables indéterminées n’ont pas de signification propre pour définir un plan d’action transparent et claire. S’agit-il d’un piège ou d’une réalité ? Examinons d’abord le sens de ces concepts :
Description d’une relecture :
« La relecture est une activité consistant à relire un texte comme l’accord d’Alger. Cette opération peut avoir différentes motivations. Pour son auteur, comme le gouvernement de transition, elle peut servir à détecter d’éventuelles erreurs». « L’exercice d’une relecture est une action de relire en vue d’apporter des corrections éventuelles » Que dit l’accord d’Alger sur ce point ? Dans les dispositions finales, il est stipulé à l’article 65 ce qui suit:
Article 65 : Les dispositions du présent Accord et de ses annexes ne peuvent être modifiées qu’avec le consentement express de toutes les parties signataires du présent Accord et après avis du comité de suivi. Avec cette condition, quel est l’intérêt pour les groupes armés d’accepter l’ouverture de l’Accord pour une relecture dont l’objectif est d’y apporter des modifications et corrections ? La tâche sera ardue pour la partie gouvernementale, si elle n’est pas capable de faire des propositions intéressantes. Maintenant, on nous parle de mise en œuvre intelligente de l’accord. Quel est le sens de cette sémantique, et en quoi elle consiste ?
Description d’une mise en œuvre intelligente :
Le gouvernement de transition doit pouvoir informer les maliens sur l’état de préparation et la capacité à réussir la mise en œuvre de l’accord. Cette action implique que plusieurs initiatives ont été mises de l’avant au cours des dernières années, notamment en lien avec l’accord d’Alger. Cela ne semble pas être le cas, puisque les gouvernements successifs n’ont adoptés aucune stratégie depuis la signature de ce fameux document. L’initiative ayant été laissée aux groupes armés qui se sont reconstitués militairement pour imposer un rapport de force et qui viennent de conclure
une alliance (MNLA-CMA-GATIA) pour bloquer toute tentative de relecture, de mise en œuvre intelligente ou stratégique dudit accord.
Plutôt que de parler d’une mise en œuvre intelligence, nous proposons une mise en œuvre « correcte et adéquate » basée uniquement sur la procédure démocratique et constitutionnelle, celle qui nécessite une évaluation et une planification minutieuse. A cet effet, le gouvernement de transition doit statuer sur sa propre compétence en la matière. Ensuite déterminer si l’adoption de lois organiques et règlements sont conformes et compatibles avec les dispositions constitutionnelles pour la mise en œuvre de ce document. Ces conditions ne sont pas réunies dans le contexte actuel d’un pouvoir d’exception qui ne peut gouverner que par décret et assurer les affaires courantes. La vocation n’étant pas de prendre des décisions importantes qui engagent l’État avant les prochaines élections démocratiques. Cette remarque s’applique à la décision de mise en œuvre de l’accord d’Alger. Après la signature de l’accord par les parties, une procédure s’imposait au gouvernement de Ibrahim Boubacar Kéita, celle qui consistait à vulgariser et expliquer à la population le contenu de l’accord, saisir l’assemblée nationale et organiser un référendum national pour valider le projet. Mais cette procédure n’a pas été suivie.
Description d’une mise en œuvre stratégique :
« c’est le fait de traduire sous forme d’objectifs, de sous-objectifs et de chaînes de moyens (plan stratégique) basés sur le modèle de gestion d’entreprise et la classification des processus de gestion.» Cette opération soulève les questions suivantes : Comment mettre en œuvre un plan stratégique, quelles sont les étapes du processus de ce plan stratégique pour la mise en œuvre de l’accord d’Alger? Le gouvernement de transition doit pouvoir répondre à ces questions et indiquer une démarche analytique et participative qui vise à intégrer des considérations des forces vives de la société par l’organisation d’une assise nationale ou la prise en compte des actes de la Conférence d’Entente Nationale.
A notre avis le gouvernement de transition issu d’un coup d’État militaire n’a ni la légitimité ni la légalité de conduire une mise en œuvre de l’Accord, à condition d’exercer le pouvoir d’organiser un référendum national sur la mise en œuvre impérative de cette entente. Une telle consultation populaire du peuple malien n’affecte pas le principe de compétence.
Les autres procédures de manœuvre politique qui visent à contourner indirectement l’ordre constitutionnel établi, seront interprétées comme une révision constitutionnelle qui violerait l’article 118 de la constitution. Celle-ci dispose à son paragraphe 1 de l’art. 118, que : « le projet de révision de la constitution doit être voté par l’Assemblée Nationale à la majorité des deux tiers de ses membres. La révision n’est définitive qu’après avoir été approuvée par référendum ». Le CNT (comité national de transition) n’étant pas une législature régulièrement constituée au sens de la constitution, cette instance ne peut nullement statuer sur un projet de révision constitutionnelle. L’initiative doit être renvoyée à un gouvernement responsable qui sera constitué après les prochaines élections. Aucune démarche intelligente ne peut suppléer à cette procédure que d’organiser une assise nationale pour convoquer un référendum sur l’Accord d’Alger.
En vertu de l’art. 118, par.2 «aucune procédure ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité territoriale ». Sur ce point les groupes armés signataires ont porté atteinte à l’intégrité territoriale du Mali, en plus de posséder des armes de guerre sans être désarmés, d’où l’échec du DDR (désarmement, démobilisation et réinsertion). Ils continuent à représenter une menace à la stabilité des institutions de la République. Toute décision contraire aux dispositions de l’article 118, aboutira inlassablement à des remous sociaux et à des contestations judiciaires dans le futur.
Les conditions d’une mise en œuvre correcte et adéquate de l’accord sont édictées à l’article 118 de la constitution malienne. Le comportement des groupes armés ne respecte pas la clause sur les engagements.
Chapitre I : Principes et engagements
Article 1 a) respect de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’État du Mali, ainsi que de sa forme républicaine et son caractère laïc.
L’usage du concept de l’Azawad suscite beaucoup de controverse et de suspicion.
Chapitre II : Article 5 (2) De l’appellation Azawad
En vertu de l’Accord, l’appellation Azawad recouvre une réalité socioculturelle, mémorielle et symbolique partagée par différentes populations du Nord du Mali, constituant des composantes de la communauté nationale. Une compréhension commune de cette appellation qui réfère également une réalité humaine, devra constituer la base du consensus nécessaire dans le respect du caractère unitaire de l’État malien et de son intégrité territoriale.
Concept Azawad : Le terme est une variable floue et indéterminée dont l’objectif est d’identifier un espace géographique d’une manière détournée.. Des groupes armés n’ont aucun mandat de la population du Nord, et paradoxalement, ils usurpent de façon anti-démocratique le droit de représentativité de l’ensemble de la population du Nord pour légitimer l’usage d’un concept qui n’a pas fait consensus au sein des communautés. Cet article dispose que le concept recouvre une réalité socioculturelle partagée par différentes populations du Nord du Mali (Bellah, songhoi, sarakolé, Imghad, peulh, arabe). Cet énoncé ne reflète pas la réalité décrite et va au-delà du pouvoir des négociateurs, car ces populations n’ont jamais été consultées sur cette affirmation tendancieuse. De plus quelle est l’opportunité d’une telle appellation incohérente qui semble dissimuler une certaine appropriation d’un espace géographique en contradiction avec l’esprit du même article qui stipule le: « respect du caractère unitaire de l’État malien et de son intégrité territoriale » Le caractère symbolique du concept n’est ni approprié ni pertinent dans cet accord qui devait se limiter uniquement à la réalité socioculturelle du petit groupe armé issu des Ifoghas de Kidal. Le Nord est composé d’une diversité de communautés qui n’ont rien en commun en dehors du (territoire malien commun à tous les citoyens du Nord) et dont les réalités socio culturelles sont différentes
(traditions, modes de vie, langues, valeurs etc.).Contrairement au groupe armé issu des Ifoghas, les autres communautés n’utilisent pas des moyens violents. C’est fallacieux de prétendre que l’Azawad recouvre une quelconque valeur revendiquée par la minorité Ifoghas et partagée par les autres communautés.
Une autre incohérence dans cet accord est l’Article 17, chapitre 7 Les questions de défense et de sécurité. Cette disposition est claire sur le principe d’unicité : Unicité des forces armées et de sécurité du Mali, relevant organiquement et hiérarchiquement de l’État central». Ce qui sous-entend que l’autorité centrale n’abandonne pas ses attributs de souveraineté. Aujourd’hui avec l’architecture de l’accord, la réalité est différente sur le terrain, on constate qu’insidieusement, l’armée reconstituée est un piège qui s’oppose à l’armée nationale, car les éléments des groupes armés fonctionnent comme s’ils appartenaient à une entité particulière et autonome. Rappelons également, que ces éléments des groupes armée sont majoritaires dans l’armée reconstituée et ne relèvent pas du commandement de l’État central, contrairement au paragraphe 1 de l’article 17 de l’accord. Cette situation anachronique est consacrée par l’article 22 qui dispose que : « les forces redéployées devront inclure un nombre significatif de personnes originaires des régions du Nord, y compris dans le commandement, de façon à conforter le retour de la confiance et faciliter la sécurisation progressive de ces régions ». Cette réforme du secteur de la sécurité prévoit deux types d’armées dont l’une est constituée sur une base ethnique et discriminatoire.
Durée du délai de mise en œuvre de l’Accord d’Alger :
Le délai transitoire des réformes est expiré, et le délai raisonnable de mise en œuvre est prescrit par les faits suivants :
→ Accroissement de l’insécurité qui découle de l’action de déstabilisation des institutions du pays par les groupes armés signataires
→ Le MNLA et CMA ont toujours conservé leur branche militaire avec des armes de guerre et constituent une menace à l’intégrité du territoire malien
→ Kidal constitue le sanctuaire du « terrorisme » où des attaques sont planifiées selon Mahamadou Issoufou, ancien président du Niger
→ L’Accord d’Alger n’a jamais été expliqué à la population ni soumis à une Assemblée Nationale régulièrement constituée.
→ L’effet de l’écoulement du temps normal ayant altéré les attentes et espoirs de la population du Mali, de retrouver la paix et la stabilité
Mahamat S Annadif, SRSG sortant de la MINUSMA a présenté dans son rapport de fin de mission, les critiques suivantes qui doivent être prises en considération pour justifier la caducité de cet accord:
Selon le représentant du Secrétaire général des Nations Unies, l’Accord d’Alger souffre de deux péchés originels; « l’Accord aurait dû être médiatisé le plus possible, en parler et expliquer dans les stations de radio et télévision. Il aurait dû être présenté à l’Assemblée Nationale pour prendre connaissance et intérioriser, non pas pour ratifier. Le contenu devait être porté à la connaissance de la population pour qu’elle comprenne et s’engage à la mise en œuvre. De ce fait personne n’aurait pu se plaindre comme c’est le cas actuellement. D’après le SRSG Annadif, l’Accord devait prévoir une clause transitoire stipulant qu’après un certain délai passé, si les réformes ne sont pas faites, tel que nous le constatons avec l’impasse qui prévaut, dans ce cas en espèce, les mouvements armés se transforment en Parti politique ou procèdent à une fusion avec d’autres Partis politiques existants, abandonnant la lutte armée. Il s’agit pour eux, de se déconnecter avec l’outil militaire pour revendiquer des valeurs et des objectifs par voie démocratique. Ces groupes armés signataires, devraient opter pour le choix du champ politique, être des acteurs politiques sur le terrain pacifique et civil. Selon M. Annadif, les mouvements armés sont devenus des acteurs qui siègent au gouvernement, qui négocient et qui conservent une aile militaire. D’après sa critique, ces choses auraient pu être évitées. »
Conclusion : La gestion de l’Accord d’Alger n’est plus une affaire de pédagogie sémantique, mais une question de réalisme et de volonté politique que les autorités de la transition doivent assumer avec le sens de responsabilité et de transparence. La gestion de l’accord d’Alger repose
exclusivement sur deux options : soit renégocier, soit organiser un référendum national. Après les slogans comme Traorékéni, Foulakéni, Kankélétigui, le Mali d’abord, les dirigeants maliens qui se sont succédés ont habitué les maliens à la gouvernance par des « mots » et très peu d’actions. Où va le Mali depuis 1968 ? Le Mali est devenu un pays où domine les discours flamboyants (vestige de la colonisation) où règne l’expression du culte de la parole à travers la récupération de la « tradition orale ». On invente les astuces et subterfuges politiques, on adopte des lois organiques et des règlements afin de justifier et contourner les institutions de l’État. Un véritable leadership s’impose pour mettre fin à la dérive collective et l’injustice sociale envers les plus vulnérables et démunis de notre société.
Préparé par : Boubacar Touré, juriste, Montréal, Canada
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