Mali: L’ACCORD D’ALGER À L’ÉPREUVE DES CONCEPTS 

Boubacar Touré, juriste, Montréal-Canada

Jamais à travers le monde un accord n’a suscité autant d’intrigue politique  d’incohérence démocratique, d’inquiétude de la population malienne, de  rejet, mais surtout la volonté du gouvernement de transition qui multiplie  des slogans de sa mise en œuvre par des concepts. Après les groupes  armés qui se sont appuyés sur des concepts pour négocier un accord,  c’est maintenant le tour du gouvernement de transition d’utiliser la même  méthode. Après l’invention et l’acceptation du concept « Azawad » dans  l’accord d’Alger, on nous propose d’autres concepts comme « relecture et  mise en œuvre intelligence ».D’autres parlent de mise en œuvre  stratégique. Tous ces concepts assimilables à des variables indéterminées  n’ont pas de signification propre pour définir un plan d’action transparent  et claire. S’agit-il d’un piège ou d’une réalité ? Examinons d’abord le sens  de ces concepts : 

Description d’une relecture : 

« La relecture est une activité consistant à relire un texte comme l’accord  d’Alger. Cette opération peut avoir différentes motivations. Pour son  auteur, comme le gouvernement de transition, elle peut servir à détecter  d’éventuelles erreurs». « L’exercice d’une relecture est une action de relire  en vue d’apporter des corrections éventuelles » Que dit l’accord d’Alger  sur ce point ? Dans les dispositions finales, il est stipulé à l’article 65 ce qui suit: 

Article 65 : Les dispositions du présent Accord et de ses annexes ne peuvent être modifiées qu’avec le consentement express de toutes les parties signataires du présent Accord et après avis du comité de suivi. Avec cette condition, quel est l’intérêt pour les groupes armés d’accepter l’ouverture de l’Accord pour une relecture dont l’objectif est d’y apporter des modifications et corrections ? La tâche sera ardue pour la partie gouvernementale, si elle n’est pas capable de faire des propositions intéressantes. Maintenant, on nous parle de mise en œuvre intelligente de  l’accord. Quel est le sens de cette sémantique, et en quoi elle consiste ? 

Description d’une mise en œuvre intelligente : 

Le gouvernement de transition doit pouvoir informer les maliens sur l’état  de préparation et la capacité à réussir la mise en œuvre de l’accord. Cette  action implique que plusieurs initiatives ont été mises de l’avant au cours  des dernières années, notamment en lien avec l’accord d’Alger. Cela ne  semble pas être le cas, puisque les gouvernements successifs n’ont  adoptés aucune stratégie depuis la signature de ce fameux document.  L’initiative ayant été laissée aux groupes armés qui se sont reconstitués  militairement pour imposer un rapport de force et qui viennent de conclure 

une alliance (MNLA-CMA-GATIA) pour bloquer toute tentative de relecture,  de mise en œuvre intelligente ou stratégique dudit accord. 

Plutôt que de parler d’une mise en œuvre intelligence, nous proposons  une mise en œuvre « correcte et adéquate » basée uniquement sur la  procédure démocratique et constitutionnelle, celle qui nécessite une  évaluation et une planification minutieuse. A cet effet, le gouvernement de  transition doit statuer sur sa propre compétence en la matière. Ensuite  déterminer si l’adoption de lois organiques et règlements sont conformes  et compatibles avec les dispositions constitutionnelles pour la mise en  œuvre de ce document. Ces conditions ne sont pas réunies dans le  contexte actuel d’un pouvoir d’exception qui ne peut gouverner que par  décret et assurer les affaires courantes. La vocation n’étant pas de prendre  des décisions importantes qui engagent l’État avant les prochaines élections démocratiques. Cette remarque s’applique à la décision de mise  en œuvre de l’accord d’Alger. Après la signature de l’accord par les  parties, une procédure s’imposait au gouvernement de Ibrahim Boubacar  Kéita, celle qui consistait à vulgariser et expliquer à la population le  contenu de l’accord, saisir l’assemblée nationale et organiser un  référendum national pour valider le projet. Mais cette procédure n’a pas été suivie. 

Description d’une mise en œuvre stratégique : 

« c’est le fait de traduire sous forme d’objectifs, de sous-objectifs et de  chaînes de moyens (plan stratégique) basés sur le modèle de gestion  d’entreprise et la classification des processus de gestionCette opération soulève les questions suivantes : Comment mettre en œuvre un  plan stratégique, quelles sont les étapes du processus de ce plan  stratégique pour la mise en œuvre de l’accord d’Alger? Le gouvernement  de transition doit pouvoir répondre à ces questions et indiquer une  démarche analytique et participative qui vise à intégrer des considérations  des forces vives de la société par l’organisation d’une assise nationale ou  la prise en compte des actes de la Conférence d’Entente Nationale. 

A notre avis le gouvernement de transition issu d’un coup d’État militaire  n’a ni la légitimité ni la légalité de conduire une mise en œuvre de l’Accord, à condition d’exercer le pouvoir d’organiser un référendum national sur la  mise en œuvre impérative de cette entente. Une telle consultation populaire  du peuple malien n’affecte pas le principe de compétence. 

Les autres procédures de manœuvre politique qui visent à contourner  indirectement l’ordre constitutionnel établi, seront interprétées comme une  révision constitutionnelle qui violerait l’article 118 de la constitution. Celle-ci dispose à son paragraphe 1 de l’art. 118, que : « le projet de révision de  la constitution doit être voté par l’Assemblée Nationale à la majorité des  deux tiers de ses membres. La révision n’est définitive qu’après avoir été approuvée par référendum ». Le CNT (comité national de transition) n’étant  pas une législature régulièrement constituée au sens de la constitution,  cette instance ne peut nullement statuer sur un projet de révision  constitutionnelle. L’initiative doit être renvoyée à un gouvernement  responsable qui sera constitué après les prochaines élections. Aucune  démarche intelligente ne peut suppléer à cette procédure que d’organiser  une assise nationale pour convoquer un référendum sur l’Accord d’Alger. 

En vertu de l’art. 118, par.2 «aucune procédure ne peut être engagée ou  poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité territoriale ». Sur ce point  les groupes armés signataires ont porté atteinte à l’intégrité territoriale du  Mali, en plus de posséder des armes de guerre sans être désarmés, d’où  l’échec du DDR (désarmement, démobilisation et réinsertion). Ils  continuent à représenter une menace à la stabilité des institutions de la République. Toute décision contraire aux dispositions de l’article 118,  aboutira inlassablement à des remous sociaux et à des contestations  judiciaires dans le futur. 

Les conditions d’une mise en œuvre correcte et adéquate de l’accord sont  édictées à l’article 118 de la constitution malienne. Le comportement des groupes armés ne respecte pas la clause sur les engagements. 

Chapitre I : Principes et engagements 

Article 1 a) respect de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et de la  souveraineté de l’État du Mali, ainsi que de sa forme républicaine et son  caractère laïc. 

L’usage du concept de l’Azawad suscite beaucoup de controverse et de suspicion. 

Chapitre II : Article 5 (2) De l’appellation Azawad 

En vertu de l’Accord, l’appellation Azawad recouvre une réalité socioculturelle, mémorielle et symbolique partagée par différentes populations  du Nord du Mali, constituant des composantes de la communauté  nationale. Une compréhension commune de cette appellation qui réfère également une réalité humaine, devra constituer la base du consensus  nécessaire dans le respect du caractère unitaire de l’État malien et de son  intégrité territoriale. 

Concept Azawad : Le terme est une variable floue et indéterminée dont  l’objectif est d’identifier un espace géographique d’une manière  détournée.. Des groupes armés n’ont aucun mandat de la population du  Nord, et paradoxalement, ils usurpent de façon anti-démocratique le droit  de représentativité de l’ensemble de la population du Nord pour légitimer  l’usage d’un concept qui n’a pas fait consensus au sein des communautés. Cet article dispose que le concept recouvre une réalité socioculturelle partagée par différentes populations du Nord du Mali (Bellah, songhoi, sarakolé, Imghad, peulh, arabe). Cet énoncé ne reflète pas la réalité décrite  et va au-delà du pouvoir des négociateurs, car ces populations n’ont jamais été consultées sur cette affirmation tendancieuse. De plus quelle est  l’opportunité d’une telle appellation incohérente qui semble dissimuler une  certaine appropriation d’un espace géographique en contradiction avec  l’esprit du même article qui stipule le: « respect du caractère unitaire de  l’État malien et de son intégrité territoriale » Le caractère symbolique du  concept n’est ni approprié ni pertinent dans cet accord qui devait se limiter  uniquement à la réalité socioculturelle du petit groupe armé issu des  Ifoghas de Kidal. Le Nord est composé d’une diversité de communautés  qui n’ont rien en commun en dehors du (territoire malien commun à tous  les citoyens du Nord) et dont les réalités socio culturelles sont différentes 

(traditions, modes de vie, langues, valeurs etc.).Contrairement au groupe armé issu des Ifoghas, les autres communautés n’utilisent pas des moyens  violents. C’est fallacieux de prétendre que l’Azawad recouvre une  quelconque valeur revendiquée par la minorité Ifoghas et partagée par les  autres communautés. 

Une autre incohérence dans cet accord est l’Article 17, chapitre 7 Les  questions de défense et de sécurité. Cette disposition est claire sur le  principe d’unicité : Unicité des forces armées et de sécurité du Mali,  relevant organiquement et hiérarchiquement de l’État central». Ce qui sous-entend que l’autorité centrale n’abandonne pas ses attributs de  souveraineté. Aujourd’hui avec l’architecture de l’accord, la réalité est  différente sur le terrain, on constate qu’insidieusement, l’armée  reconstituée est un piège qui s’oppose à l’armée nationale, car les  éléments des groupes armés fonctionnent comme s’ils appartenaient à une  entité particulière et autonome. Rappelons également, que ces éléments  des groupes armée sont majoritaires dans l’armée reconstituée et ne  relèvent pas du commandement de l’État central, contrairement au  paragraphe 1 de l’article 17 de l’accord. Cette situation anachronique est  consacrée par l’article 22 qui dispose que : « les forces redéployées  devront inclure un nombre significatif de personnes originaires des  régions du Nord, y compris dans le commandement, de façon à conforter le  retour de la confiance et faciliter la sécurisation progressive de ces régions  ». Cette réforme du secteur de la sécurité prévoit deux types d’armées dont  l’une est constituée sur une base ethnique et discriminatoire. 

Durée du délai de mise en œuvre de l’Accord d’Alger : 

Le délai transitoire des réformes est expiré, et le délai raisonnable de mise  en œuvre est prescrit par les faits suivants : 

→ Accroissement de l’insécurité qui découle de l’action de déstabilisation  des institutions du pays par les groupes armés signataires

→ Le MNLA et CMA ont toujours conservé leur branche militaire avec des  armes de guerre et constituent une menace à l’intégrité du territoire malien 

→ Kidal constitue le sanctuaire du « terrorisme » où des attaques sont  planifiées selon Mahamadou Issoufou, ancien président du Niger 

→ L’Accord d’Alger n’a jamais été expliqué à la population ni soumis à une  Assemblée Nationale régulièrement constituée. 

→ L’effet de l’écoulement du temps normal ayant altéré les attentes et  espoirs de la population du Mali, de retrouver la paix et la stabilité 

Mahamat S Annadif, SRSG sortant de la MINUSMA a présenté dans son  rapport de fin de mission, les critiques suivantes qui doivent être prises en  considération pour justifier la caducité de cet accord: 

Selon le représentant du Secrétaire général des Nations Unies, l’Accord  d’Alger souffre de deux péchés originels; « l’Accord aurait dû être  médiatisé le plus possible, en parler et expliquer dans les stations de radio  et télévision. Il aurait dû être présenté à l’Assemblée Nationale pour  prendre connaissance et intérioriser, non pas pour ratifier. Le contenu  devait être porté à la connaissance de la population pour qu’elle  comprenne et s’engage à la mise en œuvre. De ce fait personne n’aurait pu  se plaindre comme c’est le cas actuellement. D’après le SRSG Annadif,  l’Accord devait prévoir une clause transitoire stipulant qu’après un certain  délai passé, si les réformes ne sont pas faites, tel que nous le constatons  avec l’impasse qui prévaut, dans ce cas en espèce, les mouvements armés  se transforment en Parti politique ou procèdent à une fusion avec d’autres  Partis politiques existants, abandonnant la lutte armée. Il s’agit pour eux,  de se déconnecter avec l’outil militaire pour revendiquer des valeurs et des  objectifs par voie démocratique. Ces groupes armés signataires, devraient  opter pour le choix du champ politique, être des acteurs politiques sur le  terrain pacifique et civil. Selon M. Annadif, les mouvements armés sont  devenus des acteurs qui siègent au gouvernement, qui négocient et qui  conservent une aile militaire. D’après sa critique, ces choses auraient pu  être évitées. » 

Conclusion : La gestion de l’Accord d’Alger n’est plus une affaire de  pédagogie sémantique, mais une question de réalisme et de volonté  politique que les autorités de la transition doivent assumer avec le sens de  responsabilité et de transparence. La gestion de l’accord d’Alger repose 

exclusivement sur deux options : soit renégocier, soit organiser un  référendum national. Après les slogans comme Traorékéni, Foulakéni,  Kankélétigui, le Mali d’abord, les dirigeants maliens qui se sont succédés  ont habitué les maliens à la gouvernance par des « mots » et très peu  d’actions. Où va le Mali depuis 1968 ? Le Mali est devenu un pays où domine les discours flamboyants (vestige de la colonisation) où règne  l’expression du culte de la parole à travers la récupération de la « tradition orale ». On invente les astuces et subterfuges politiques, on adopte des lois organiques et des règlements afin de justifier et contourner  les institutions de l’État. Un véritable leadership s’impose pour mettre fin à  la dérive collective et l’injustice sociale envers les plus vulnérables et  démunis de notre société. 

Préparé par : Boubacar Touré, juriste, Montréal, Canada  

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