La sécurité et l’avenir de l’Afrique passent par son industrialisation

L’Afrique est presqu’intégralement jeune. Un Africain sur deux a moins de 25 ans, ce que les économistes présentent comme un atout majeur. Cependant, cette jeunesse est une bombe à retardement car le chômage touche en moyenne plus de 25% des nouvelles générations. Ce non emploi est une question de sécurité nationale et continentale. Depuis plus d’un siècle, l’Occident et les multinationales puisent en Afrique de quoi assurer le développement des sociétés industrialisées du Nord.  Le continent exporte ses matières premières mais importe quasiment tout ce qui y est consommé, car rien n’est transformé sur place. Certains pays anglophones et lusophones, comprenant que le développement dépend de l’industrialisation, en ont fait un des fers de lance de leur politique nationale. On les compte aujourd’hui parmi les pays émergeants.

L’Afrique francophone est à la traîne. Les régions y sont enclavées. Les villages sont coupés des lieux de consommation. L’Afrique produit, mais il n’y existe quasiment pas d’infrastructures industrielles ou agricoles. Du cacao au bois, du coton au phosphate, des tomates à la viande, la production devrait être transformée sur place. Il n’en est rien. Et pourtant, cela créerait des emplois, donc des richesses, donc du développement. Les pays doivent créer les infrastructures de transformation nécessaires et proposer à leurs jeunes l’enseignement qui correspond. Aujourd’hui, l’Afrique forme principalement des jeunes généralistes, trop souvent littéraires, qui n’ont que le chômage comme avenir puisque le secteur tertiaire ne peut pas tous les absorber. L’Afrique a besoin de menuisiers, d’électriciens, de mécaniciens, de métallurgistes, de plombiers. L’Afrique a besoin de professionnels qualifiés et compétents dans les secteurs des mines, de l’eau, des technologies, de l’agriculture, de la viande, du lait. Les jeunes Africains devraient pouvoir bénéficier d’une formation professionnelle qualifiante, devenir des techniciens supérieurs, des ingénieurs opérationnels, des  professionnels capables de faire fonctionner une industrie locale compétitive et d’assurer la maintenance.

Les pays africains doivent se doter d’écoles professionnelles de pointe, de centres de formation technique, d’instituts technologiques, tous axés sur le secteur qui correspond aux ressources naturelles locales ou régionales. En Afrique, le maraîchage, l’élevage, la pêche, toutes les ressources agricoles existent. Mais elles sont largement sous-exploitées. La production reste trop artisanale, trop faible par rapport au besoin des populations. L’Afrique importe trop. Les prix sont trop élevés. La jeunesse devrait donc pouvoir choisir une formation professionnelle agricole qualifiante afin de mettre en valeur la richesse naturelle du continent, seule solution pour assurer l’autosuffisance alimentaire. L’Afrique se bat contre la concurrence internationale, et particulièrement contre les contraintes imposées par les pays du Nord, via les APE, accords de partenariat économique, en cours de négociations depuis des années.

OXFAM, le mouvement mondial qui lutte pour la mise en œuvre de programmes de développement à long terme,  souligne que «les APE sont des règles commerciales qui favorisent les industries européennes avancées technologiquement et les agriculteurs européens fortement subventionnés. Les APE, tels que proposés aujourd’hui, fragilisent les économies des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) et contribuent à y renforcer la fracture sociale déjà très prononcée. Il faut donc que les négociations entre l’Europe et les pays africains amènent à des accords de partenariats équitables qui serviront à la transformation structurelle des économies nationales pour que le continent entre enfin dans l’échelle globale d’approvisionnement. Si les APE ne sont pas révisés, les pays ACP ne les signeront pas. Autrefois, les échanges n’étaient que Nord/Sud. Aujourd’hui, l’Afrique a l’opportunité de choisir des offres plus intéressantes, car les alternatives des pays émergeants existent. L’Afrique peut donc dorénavant décider quels sont les partenaires avec lesquels elle commercera pour, enfin, aller de l’avant».

L’Afrique doit relever tous ces défis. Tous les chefs de gouvernement africains le savent. Ils en parlent dans leurs déclarations de politique générale. Mais la plupart des promesses faites restent dans les tiroirs, et trop de jeunes Africains, désillusionnés, choisissent les vagues mortelles du rêve occidental. En Afrique et ailleurs, des spécialistes se réunissent régulièrement autour de ces thèmes. Leurs conclusions sont les mêmes à chaque fois. C’est ce qui s’est passé le mardi 29 avril 2014, à Paris, lors du 2ème Forum économique de la CADE. La Coordination pour l’Afrique de Demain, depuis 1996, propose «aux médias, aux associations, aux responsables politiques et économiques, un autre regard sur l’Afrique, en organisant des conférences débats pour mieux appréhender la réalité de l’Afrique d’aujourd’hui».

Cette année, la CADE avait choisi les locaux de l’antenne parisienne de la prestigieuse Ecole Nationale de l’Administration pour une journée de réflexion sur le thème «Bâtir des industries modernes et compétitives en Afrique». Parmi les intervenants, Lionel ZINSOU, président de PAI Partners, Rakiatou Christelle KAFFA JACKOU, ministre déléguée, chargée du développement industriel du Niger, Achille BASSILEKIN III, groupe ACP, et Jean-Marie TALLET, délégué France du GICAM (Cameroun), ont tous, malgré quelques différences de point de vue, fait le même constat. La tâche est immense mais la sécurité et l’avenir des populations africaines ne seront assurés que par l’industrialisation du continent.

Françoise WASSERVOGEL

L’ Indicateur Du Renouveau 2014-05-07 19:25:52